La secrétaire d'Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD), au côté du Premier ministre.

Déficit public: « La Belgique risque un retour aux années 1980 »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Faut-il s’inquiéter de la situation budgétaire de la Belgique ? Pour l’économiste Geert Noels, les politiques belges le savent très bien, mais ne le disent pas publiquement: le retour du bâton européen nous pend au nez.

La Belgique fonce-t-elle droit dans le mur?

La situation est inquiétante. Il faut tenir compte des engagements importants pour les années à venir, que ce soit en matière de lutte contre le dérèglement climatique ou pour financer le vieillissement de la population, la Défense… A cela, s’ ajoutent les charges d’intérêt qui semblent remonter sur du long terme. Dès lors, si nous ne changeons pas de politique, la Belgique risque d’aller dans le mur, oui. Et de dépasser les 10% de déficit d’ici à dix ans, ce qui marquerait un retour aux années 1980.

Certaines Régions sont-elles plus concernées que d’autres? La Région wallonne?

Oui. Le problème se situe moins au fédéral que pour certaines Régions. On assiste, par exemple, à une prise de distance de la banque Belfius avec la Région wallonne, à cause de sa mauvaise situation budgétaire. Or, Belfius est une banque commerciale, elle doit respecter des règles imposées par la BCE.

Le déficit est-il plus préoccupant parce qu’il aura des répercussions sur la dette?

Tout à fait. Le déficit précède la dette. Les politiques ont essayé d’expliquer qu’il était dû à des facteurs conjoncturels, comme le Covid ou les prix de l’énergie, mais la BNB a établi qu’il s’agissait bien d’un déficit structurel qui dépassera les 5% l’an prochain.

La hausse des taux durera-t-elle forcément?

On assiste à une hausse partout en Europe et dans le monde. Vu les décisions prises par les banques centrales, en Europe et aux Etats-Unis, je ne vois pas comment on pourra revenir en arrière, avec des taux nuls ou négatifs comme il y a deux ans. En outre, même si l’inflation a tendance à se réduire un peu, les taux, eux, ne diminuent pas. D’où l’avertissement de la Cour des comptes qui craint l’effet boule de neige. Les politiques devraient s’en alerter. Certes, ce n’est pas pour tout de suite. Mais on peut facilement prévoir l’avenir. Les effets boule de neige sont connus et très difficiles à maîtriser.

Le gouvernement belge a dû réagir au Covid et aux prix de l’énergie, comme dans la plupart des pays européens. A-t-il été trop généreux?

La Belgique a été beaucoup plus généreuse que d’autres. La Commission européenne vient de l’ épingler pour la croissance trop rapide de ses dépenses et le manque de ciblage des aides accordées, en soulignant qu’il existait déjà un mécanisme d’indexation des salaires. Le gouvernement belge a surcompensé l’ effet de la hausse des prix. Il ne faut pas oublier non plus qu’on paie toujours le gaspillage des gouvernements Verhofstadt (NDLR: entre 1999 et 2008), dont les effets se font encore ressentir, par exemple à cause des «sale and lease back» qui nous coûtent un demi-milliard par an pour louer les bâtiments publics vendus à l’époque. Et ce, alors qu’à la fin des années 1990, nous avions les finances publiques les plus saines d’Europe, grâce à Jean-Luc Dehaene.

Geert Noels, économiste et CEO d’Econopolis.
Geert Noels, économiste et CEO d’Econopolis. © photo news

Pour vous, il y a donc dans tout cela une grande responsabilité politique?

Absolument. Chaque parti au pouvoir veut plaire à son électorat, en prenant des décisions qui coûteront cher longtemps. Mais quand la facture arrivera dans quelques années, comme avec les «sale and lease back», les responsables de ces décisions ne seront plus en poste. Ce n’est même pas de la politique à court terme. C’est de l’irresponsabilité. Aujourd’hui, après la pandémie et la crise énergétique, on a l’impression que les politiques attendent la crise suivante pour excuser de nouvelles dépenses. A moins qu’une autorité comme la Commission européenne vienne frapper à la porte en disant «Stop, vous ne pouvez plus continuer comme ça!».

Le risque est le retour de bâton européen et de l’austérité? Est-ce inévitable?

En coulisse, les politiques avouent qu’ils s’attendent à ce retour de bâton. Mais ils ne font rien. J’y vois un certain fatalisme, mais aussi un manque de connaissance de la dynamique budgétaire. Quand j’entends que la secrétaire d’Etat au Budget – notez qu’il ne s’agit plus d’un ministre – dit qu’elle prendra connaissance du budget en un week-end, cela me fait sourire. En Belgique, il n’y a que quelques dizaines de personnes qui connaissent vraiment la dynamique du budget. C’est un métier.

La dette belge est élevée, mais c’est le cas, aussi, dans beaucoup de pays européens où la situation est pire: France, Italie…

C’est vrai, la Belgique est très proche de la France dont la situation est tout aussi inquiétante. En Italie, c’est vrai que la dette est élevée, mais le coût du vieillissement y est moins important que chez nous.

Aux Pays-Bas, la dette avoisine 50% du PIB. Comment font-ils?

Les Néerlandais ont une culture de discipline budgétaire bien plus développée. Cela dit, on peut y observer des signes d’une belgicisation des comportements politiques car la coalition au pouvoir est fort bigarrée. Elle a aussi augmenté les dépenses publiques de manière électoraliste afin de préserver la coalition. Mais bon, leur dette et leur déficit sont loin d’atteindre nos niveaux…

Vous êtes pessimiste pour la Belgique?

Oui. Surtout que les élections ne sont pas loin, ce qui n’améliorera pas les réflexes électoralistes. Evidemment, avec une inflation élevée, on stabilise le taux d’endettement. Pour le moment.

Qu’est-ce qui pourrait être décidé, si cela ne dure pas?

La confiscation de l’épargne par des taxes sur le patrimoine. Cela pénaliserait ceux qui se sont montrés plus prudents que le gouvernement en ne dilapidant pas leur argent. Autre solution radicale: le défaut de paiement ou le non-remboursement de la dette en la mettant davantage dans les mains de la Banque centrale. Mais cela revient à cacher la poussière sous le tapis. Or, la poussière finit toujours par ressortir.

Le contexte

Une dette qui se rapproche des 110% du PIB, un déficit qui dépasse les 5%. La Commission européenne qui pointe des dépenses publiques trop importantes. La Cour des comptes qui avertit d’un risque d’effet boule de neige avec les taux d’intérêt à la hausse. La Belgique est-elle au bord du gouffre? Plusieurs économistes tirent la sonnette d’alarme depuis cet été. Mais de là à donner raison à Bart De Wever qui a annoncé que la Belgique risquait de devenir la nouvelle Grèce…

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