Cuisine et références

Philippe Berkenbaum Journaliste

Dans les années 1960 et 1970, Bruxelles était un haut lieu de la gastronomie. Aujourd’hui, les  » foodies  » ne jurent que par Londres, Barcelone, Copenhague, New York, Madrid… A tort ?

E n 2012, Bruxelles va vous régaler !  » C’est ce qu’affirme le slogan de Brusselicious, cette opération marketing qui consacre 2012  » Année de la gastronomie bruxelloise  » et encadre une brochette d’événements gourmands tout au long de l’année (1). Des grands chefs sont mis à l’honneur dans différentes manifestations, de même qu’une série de spécialités aussi typiques que caricaturales : la bière, le chocolat, les frites, les moules, on en passe et des moins bonnes.

La gastronomie bruxelloise se réduit-elle à ces quelques clichés ? Au fond, quels en sont les ingrédients ? Et quelle est la place de la capitale de l’Europe sur la carte mondiale du bien manger ? René Sépul, auteur, journaliste et critique gastronomique, a mitonné le savoureux Mange Bruxelles (2), sélection éclectique d’une vingtaine de restaurants qui incarnent le renouveau de la cuisine bruxelloise. Laquelle n’a pas à rougir, loin s’en faut, mais  » devrait réapprendre à se vendre pour exister sur la scène internationale « , estime cet expert. Nous l’avons rencontré au Pigeon Noir, à Uccle, l’un de ces  » bistrots gourmands  » qu’il érige en exemple.

Le Vif/L’Express : Existe-t-il une gastronomie typiquement bruxelloise ?

René Sépul : Si je compare Bruxelles à Stockholm, Copenhague, Paris, Rome, Londres ou Barcelone, c’est une ville très différente mais qui n’a pas à être gênée de sa gastronomie. On y mange très bien… à tous les prix : on peut trouver un plat du jour à 15 euros, le midi, dans un restaurant étoilé ! La grande différence, c’est que la cuisine y est à son image, européenne, multiculturelle, traversée par 36 nationalités. A Rome, on mange italien ; à Barcelone, on trouve une certaine idée de la cuisine espagnole avec ce qui s’y passe depuis 10 ans ; à Paris, on cherche le repas français, qu’il se situe au niveau de la  » bistronomie  » ou que l’on s’offre l’expérience exceptionnelle d’un grand étoilé comme Ducasse. A Bruxelles, les étrangers peuvent conserver leur culture et s’imposer. Le premier restaurant italien étoilé hors d’Italie est à Bruxelles, c’est le Senza Nome. Ça n’aurait pas été possible à Paris, où il aurait fait une cuisine influencée par la France et n’aurait pas osé s’adresser dans sa langue aux clients.

Que reste-t-il des grands noms qui ont jadis fait la renommée de la cuisine à Bruxelles ?

Il y a trente ou quarante ans, la gastronomie bruxelloise était à la pointe de l’innovation. Mais les grandes maisons n’ont pas toujours su se remettre en question et cette image a pris un coup de vieux. Les unes ont disparu, d’autres ont périclité. Aujourd’hui, on retrouve enfin une certaine audace dans les institutions classiques, par exemple au Comme chez soi ou même à la Villa lorraine. Ils n’ont plus peur d’affirmer ce qu’ils sont.

Pas mal de nouveaux venus surclassent aujourd’hui les anciens. Qu’apportent-ils de neuf ?

Bruxelles est une ville qui vit et qui bouge, avec des institutions qui traversent le temps et d’autres qui naissent en sortant de nulle part… et s’avèrent de tout premier plan. Mais il n’y a pas de règle. Ce qui fait sa force, c’est précisément son offre économique, sociale et culturelle très diversifiée. Avec des pépites comme la Buvette (l’ancien Café des Spores), plutôt dans le genre  » cave à manger  » avec un très petit choix de produits et dont le chef a travaillé avec Jamie Oliver ; ou Neptune, l’adresse qui monte, à la fois très chic et très simple, dont le chef va tous les jours chercher ses produits frais à vélo au marché, propose 3 entrées et 3 plats en prenant des risques, et figure à l’affiche du projet Omnivore, ce mouvement lancé en France qui regroupe ce qui se fait de plus novateur. Il y a aussi des maisons tenues par des femmes comme Les Filles, ce qui est rare, ou les bistrots gourmands style Orphyse Chaussette ou le Pigeon Noir, tenus par deux  » intellos de la bouffe « , deux passionnés de cuisine qui peuvent en parler des heures. Leur point commun, c’est qu’ils ne se prennent pas au sérieux.

On a quand même du mal à distinguer ce qui sort vraiment du lot… Comme si les maisons belges les plus renommées étaient hors de Bruxelles ?

Il y a trois éléments. Tout d’abord, il n’est quasi plus possible aujourd’hui de monter des institutions comme le Comme chez Soi, cela coûterait trop cher, fut-ce au niveau de la cave. Ensuite, à Bruxelles, on est dans quelque chose de plus diffus, où il n’y a plus vraiment de hiérarchie parce qu’il n’y a plus de codes. Enfin, il y a un phénomène typiquement bruxellois : on n’est pas assez fier de nos grandes maisons. Et le grand défaut de nos chefs est qu’ils ne savent pas encore gérer leur communication, pourtant devenue un élément central du développement de la restauration au niveau international.

D’où l’intérêt d’une Année de la gastronomie ?

Sauf que pratiquement rien ne se fait avec les grands chefs ! C’est typique : au lieu d’en être fier, on crucifie les gens qui réussissent. Regardez l’Espagne : il y a quinze ans, personne n’y allait pour manger. Aujourd’hui, l’événement planétaire où 300 chefs du monde entier réfléchissent à la gastronomie de demain, c’est le festival Madrid Fusion, créé il y a dix ans. Et Madrid est désormais considérée comme l’une des villes où les choses se passent, dans ce domaine. Brusselicious, c’est une très bonne idée dotée, apparemment, de gros moyens financiers, mais on ne voit pas très bien où l’on va, c’est du bricolage. Surtout, ça manque de manifestations susceptibles d’amener la vraie gastronomie à la portée du grand public. Sur la carte mondiale, Bruxelles a sa place, mais elle doit oser le dire ! Sa gastronomie souffre d’un énorme besoin de communication.

(1) www.brusselicious.be

(2) René Sépul & Cici Olsson,  » Mange Bruxelles « , Sh-Op Editions.

LES BONNES ADRESSES DE RENÉ SÉPUL SUR WWW.LEVIF.BE

PHILIPPE BERKENBAUM

 » Sur la carte mondiale, Bruxelles a sa place, mais elle doit oser le dire! »

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