Communes au bord de la faillite: la crainte de licenciements massifs
Les finances communales sont en souffrance. En fonction de leur profil, les villes et communes de Wallonie et de Bruxelles vivent des réalités différentes. Mais les responsables politiques locaux semblent s’accorder sur un fait: elles vont au-devant de choix budgétaires difficiles, même les mieux loties.
«En deux décennies, je n’ai jamais vu une telle imprévisibilité en matière de finances communales. Le financement des pensions est un gros risque, surtout pour les grandes villes. Et je ne vous cache pas une certaine inquiétude par rapport à l’inflation, l’indexation des salaires, la flambée des coûts de l’énergie, les charges de CPAS qui augmentent, etc., lâche Philippe Close (PS), bourgmestre de la Ville de Bruxelles. Je reste optimiste, parce que c’est ma nature. Mais il est certain que les pouvoirs locaux ne savent pas très bien vers où ils vont.»
Le constat n’est pas neuf, mais il a empiré au fil des crises. De nombreuses villes et communes pressentent de grandes difficultés pour se maintenir à flot budgétairement.
Parmi toutes ces entités, il en est une où le spectre du passé refait surface. A Liège, en effet, on se souvient de la situation dramatique des années 1980. On parlait alors carrément de «faillite». «Ce traumatisme est toujours là. C’est ce qui nourrit mes insomnies, à vrai dire», confie l’échevine des finances, Christine Defraigne (MR). «Il faut à tout prix éviter un scénario identique, ajoute celle qui qualifie la situation d’ «apocalyptique, extrêmement difficile». C’est la raison pour laquelle la Ville a adopté en juin une actualisation de son plan de gestion, avec au menu une soixantaine de mesures qui doivent permettre d’économiser 143 millions.
La Cité ardente endure les difficultés structurelles qui touchent toutes les grandes villes. Il s’agit en particulier des dotations CPAS et du fameux financement des pensions, particulièrement problématique en bord de Meuse. Selon les projections, ces pensions représentent pour Liège un montant estimé à 722 millions d’euros sur la période 2013-2027. «C’est plus que tout un budget annuel de la ville, de l’ordre de 590 millions. Rien que pour la période 2022-2027, ce devrait être 436 millions au total. C’est épouvantable, souligne la libérale. On a eu les inondations, un piratage informatique et tout le reste. Il ne manque plus que les nuées de sauterelles et on aura eu toutes les plaies d’Egypte.»
Il y aura un licenciement massif du personnel communal. C’est le bas de l’échelle qui risque de casquer.
A Charleroi, autre grande ville wallonne, le bourgmestre Paul Magnette (PS) explique avoir «un jugement très froid» sur la situation. «Je pense que les villes en général, les grandes villes en particulier, sont sous-financées depuis longtemps. On est arrivés au bout du modèle», compte tenu de la centralité des villes, qui supportent des charges bénéficiant à une population dépassant largement le territoire communal. «Les communes ont de moins en moins de recettes propres et dépendent de plus en plus des dotations, subsides, etc. Nous vivons sous perfusion.»
Le président socialiste a, lui aussi, vu «exploser» les dépenses de transfert vers le CPAS et les zones de police et de secours. Il plaide spécifiquement «pour que le fédéral paie la totalité du revenu d’intégration sociale. On parle d’environ 700 millions d’euros à l’échelle du pays. C’est beaucoup, mais ce n’est pas colossal par rapport au budget fédéral. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une réforme de l’Etat, mais que le fédéral puisse financer totalement ses propres politiques.»
«Des licenciements massifs dans les communes»
Certains bourgmestres sont plus pessimistes que d’autres. C’est le cas de Claude Eerdekens (PS), bourgmestre d’ Andenne, qui prédit «une faillite inéluctable des communes wallonnes». Parmi les conséquences redoutées, «25 000 licenciements sont à craindre dans la fonction publique communale en Wallonie d’ici à 2027, à situation inchangée».
A Woluwe-Saint-Lambert, le bourgmestre ne dit pas autre chose. «On n’en peut plus de trouver des marges, tant la liste des difficultés et des reports de charges est longue, dénonce Olivier Maingain (DéFI). Le résultat est simple: il y aura un licenciement massif du personnel communal. Je ne le dis pas de gaieté de cœur. Qui va trinquer? Pas les statutaires, mais les derniers entrants, des contractuels, souvent peu diplômés. C’est le bas de l’échelle qui risque de casquer.»
Ce sentiment d’avoir épuisé tous les leviers se fait ressentir également à Ath, commune à la fiscalité sur le précompte immobilier la plus élevée de Wallonie, en raison d’une dette historique indigeste. «A un moment, on ne peut pas faire l’impossible. Comme je dis souvent, on ne va pas se mettre à faire du recto-verso avec le papier toilette pour faire des économies», ironise l’échevin des finances, Christophe Degand (MR).
Lasne est, à l’inverse, la commune wallonne à la fiscalité la plus légère. «Ce n’est pas un secret, ce n’est pas pour nous que c’est le plus compliqué, ce qui ne signifie pas non plus que c’est simple, commente l’échevin des finances, Pierre Mévisse (MR). La période est difficile pour les communes, elle l’est aussi pour beaucoup de gens. C’est pourquoi je refuse que nous augmentions la fiscalité. Nous ne voulons pas non plus toucher au personnel, qui travaille déjà à flux tendu.» Il faudra cependant postposer ou revoir quelques projets d’investissement inscrits au budget extraordinaire. «Ces budgets étaient de l’ordre de 7 à 9 millions, je pense qu’on va revenir à une fourchette de 4 ou 4,5 millions. L’ échevin des finances n’est pas toujours là pour annoncer des bonnes nouvelles», sourit-il.
«On tient un peu le mauvais rôle en cette période», confirme Corinne Borgnet (Ecolo), échevine des finances d’Amay. Elle est en charge de cette compétence depuis un an et entend conserver une forme d’optimisme. «La trajectoire budgétaire est à l’équilibre pour les cinq prochaines années, donc la situation n’est pas dramatique. Mais il est certain que nous allons devoir faire attention à toutes les dépenses. Et faire des choix, ce qui est assez frustrant.» Ainsi va la vie des responsables politiques communaux en période de troubles.
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