Comment doper votre épargne

Philippe Berkenbaum Journaliste

Plutôt que de laisser fondre vos économies en vous résignant à des rendements réels négatifs, Le Vif/L’Express vous propose quelques pistes alternatives pour leur redonner du tonus. Suivez le guide.

Sécurité et disponibilité. Telles sont les deux mamelles de l’épargne des Belges, à en juger par l’encours des comptes d’épargne qui vient de battre un nouveau record historique, à 230 milliards d’euros… contre 140 milliards quatre ans plus tôt.  » La crise a engendré une préférence sans précédent pour les actifs sans risque, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié du portefeuille des Belges « , relève la banque ING en marge d’une étude sur l’épargne de nos concitoyens.

 » Le contexte incite à la prudence, confirme Alain Deneef, responsable de la gestion thématique à la banque Degroof. Chômage, faillites, fermetures d’entreprises, crise financière, austérité… Une enquête récente montrait qu’à peine 3 Belges sur 10 ont confiance en l’avenir. Il est logique que ceux qui ont des économies cherchent à les protéger. Ils préfèrent mettre leur capital en sécurité pour pouvoir en disposer en cas de coup dur, plutôt que de se dire : n’est-ce pas le moment d’en profiter pour retourner vers des placements plus rémunérateurs ? « 

La sécurité des carnets de dépôt est effectivement garantie à concurrence de 100 000 euros par personne et par banque, de quoi protéger la plupart des épargnants en cas de faillite d’une institution financière – ce qui n’est plus une hypothèse fantaisiste, ces temps-ci. Et l’argent reste parfaitement liquide puisqu’il peut être retiré à tout moment. Côté rendement, en revanche, ce n’est pas Byzance. Plutôt la bérézina !

 » Dans l’immense majorité des cas, maintenir ses économies sur un compte d’épargne classique équivaut à s’appauvrir, souligne Nicolas Claeys, analyste financier chez Test-Achats Invest. Avec des taux de base inférieurs à 1 % dans la plupart des banques, on reste très en deçà de l’inflation, qui oscille actuellement entre 2 et 3 %. Il est vrai que les primes de fidélité permettent d’aller chercher jusqu’à 1, voire 1,5 % supplémentaires dans de rares cas, mais cela implique de laisser l’argent en compte au moins une année complète. « 

Et même ainsi, on ne bat pas l’inflation.  » Pour obtenir un rendement supérieur à la hausse du coût de la vie, il faut être prêt à prendre un peu de risque, prévient Pol Pierret, CEO d’Axa Investment Managers Benelux. Aucune alternative au carnet d’épargne n’offre une rémunération supérieure avec le même degré de sécurité. « 

Prendre des risques ? Beaucoup d’épargnants n’y sont pas encore prêts.  » Chat échaudé craint l’eau froide, remarque Nicolas Claeys. Les gens ont en tête les pertes subies lors des crises successives des années 2000, depuis l’éclatement de la bulle Internet jusqu’à la crise des subprimes et ses conséquences en cascade, dont on n’a pas fini de sentir les effets.  »

Certains, pourtant, ne s’y trompent pas.  » Depuis un mois ou deux, on sent le client à nouveau demandeur d’alternatives plus rémunératrices, précise Laurent Loncke, directeur des relations pour les clients particuliers chez BNP Paribas Fortis. Mais il a besoin d’un canevas sécurisant, basé sur des règles strictes de transparence, des produits simples et des certitudes (garanties, durée claire…).  » Plus question d’acheter un chat dans un sac.

Ces alternatives existent-elles ? Les spécialistes que nous avons interrogés pour ce dossier sont unanimes : oui, absolument ! Parmi l’ensemble des instruments de placements disponibles, trois catégories ont leurs faveurs, parce qu’elles offrent à la fois des perspectives de rendement attrayant et un degré de sécurité suffisant. Dans le désordre : les assurances-vie de la branche 21, les obligations d’entreprises qui distribuent de gros dividendes et les actions européennes de certains secteurs.

Avec deux bémols. Mieux vaut passer par des fonds ou des sicav dont les gestionnaires ont fait leurs preuves et, surtout, il faut di-ver-si-fier !  » Cela ne veut pas dire, comme certains le croient encore, se contenter d’investir dans cinq actions différentes !  » ponctue Nicolas Claeys. Cela signifie investir dans des instruments variés pour pondérer les risques et à durées échelonnées pour conserver une marge de man£uvre. Tous nos interlocuteurs s’accordent encore sur ce point : ne vous privez pas de conserver une part raisonnable de votre épargne à l’abri sur un carnet de dépôt. Ou même plusieurs.

1. Le compte-épargne, pierre angulaire

Vos économies doivent-elles déserter le traditionnel carnet de dépôt ? Non. Aucun conseiller en placements ne le recommande.  » Le compte-épargne doit rester la pierre angulaire de toute stratégie de placement « , considère Nicolas Claeys (TA Invest).

Tous suggèrent cependant de ne pas y laisser dormir plus que nécessaire. Combien ? Cela dépend de votre situation.  » On dit généralement qu’il faut garder l’équivalent de 3 à 6 mois de revenus sous forme d’épargne de précaution, mais c’est du cas par cas. Tout dépend de votre âge et de celui de vos enfants, de votre situation familiale, de vos besoins actuels et futurs (pension)… Le bon critère est : ce que vous ne risquez pas d’avoir besoin à court terme. Le surplus mérite de trouver des pistes plus rémunératrices « , poursuit Nicolas Claeys.  » Dans le contexte actuel, je n’hésiterais pas à garder entre six mois et un an de salaire sous forme d’épargne liquide, glisse Pol Pierret (Axa Investment Managers). Mais en optimisant le rendement, en faisant son shopping. « 

Rappelons-le, le compte-épargne bénéficie de la couverture du Fonds de garantie belge à concurrence de 100 000 euros par épargnant et par banque. Voilà pour la sécurité. Deuxième atout : les intérêts sont exonérés d’impôts à concurrence de 1 830 euros par contribuable. Quant à en optimiser le rendement, cela revient à aller chercher les taux les plus élevés ( notre infographie). On les trouve en général sur les comptes Internet et  » premium  » des principales banques ainsi qu’auprès de certaines institutions financières qui n’opèrent qu’en ligne – mais sont, bien entendu, agréées par les autorités financières belges.

Les taux de base peuvent aller jusqu’à 1,50 %. Prime de fidélité incluse, le meilleur taux actuel sur le marché est à 2,65 %. Pour en bénéficier, l’argent doit rester en compte au moins 12 mois. Rien n’empêche, bien entendu, de panacher en ouvrant plusieurs comptes… En revanche, précise Pol Pierret,  » inutile de se tourner vers les comptes à terme : ils ne rapportent guère plus « .

N’espérez cependant pas mieux, au contraire. Comme le souligne Alex Clinckx, conseiller en stratégie d’investissement chez Belfius Banque,  » on ne s’attend pas à une remontée des taux dans les prochains mois « . Du coup, si Belfius recommande de conserver jusqu’à 11 % de liquidités dans un portefeuille dynamique, donc supposé aller chercher des rendements supérieurs, c’est pour une raison simple : pouvoir saisir les opportunités de placements au moment où elles se présenteront.

2. Bourse, le retour gagnant

La principale opportunité du moment pour  » battre l’inflation  » – même si personne ne se risque à en chiffrer le rendement potentiel -, c’est en Bourse qu’il faut aller la chercher. Dans une optique de moyen à long terme, 3 à 4 ans minimum.  » L’attitude volontariste des banques centrales, ces derniers mois, commence à porter ses fruits, se réjouit Luc Charlier, spécialiste investissements chez ING. Des signaux positifs sont en outre perceptibles au niveau des carnets de commandes et des stocks des entreprises. Cela ne signifie pas que tous les risques macroéconomiques se sont volatilisés. Mais en réduisant considérablement le risque systémique dans un contexte où le rendement des actifs sécurisés est historiquement bas, les banques centrales ont créé un environnement favorable aux actifs plus risqués. « 

Traduction : les Bourses ont à nouveau le vent en poupe. Tous nos interlocuteurs partagent cette analyse et suggèrent de renforcer la part des actions dans les portefeuilles de placement, dans une proportion qui varie de 30 à 60 % du total selon les analystes. Mais attention : pas n’importe comment. Et surtout, pas n’importe quoi.

Comment ?  » Mieux vaut les sicav d’actions que le stock picking, l’achat d’actions individuelles, qui demande d’avoir les nerfs solides « , recommande Nicolas Claeys. Aucun titre n’est en effet à l’abri de corrections ou de mouvements erratiques. Pol Pierret suggère lui aussi de  » faire confiance aux gestionnaires de fonds, c’est la meilleure façon de diversifier  » ses placements en actions.

Laurent Loncke conseille pour sa part  » d’y aller par étapes pour lisser les prix d’achat « . Comme d’autres, sa banque propose des fonds d’actions ouverts qui permettent d’investir progressivement, en profitant des opportunités. Alain Deneef plébiscite également ces fonds réactifs basés sur des  » momentums  » où il est opportun d’acheter et d’autres où il vaut mieux abandonner une position… Tout en précisant que  » chaque client est unique et nos private bankers proposent des solutions sur mesure selon le profil d’investisseur du client. Pour ceux qui veulent prendre des risques, les actions sont une bonne opportunité pour battre l’inflation et ne pas perdre son pouvoir d’achat, comme c’est le cas lorsque l’on dépose de l’argent sur son compte- épargne. « 

Quel type d’actions privilégier ? Globalement, les valeurs de rendement, celles qui ont  » une politique de haut dividende et assez de cash-flow pour le payer « . Géographiquement, il n’y a pas photo :  » Les actions américaines sont pratiquement revenues à leur niveau de 2009 alors que les européennes restent sous-évaluées. Il faut se préparer au retour de la confiance « , estime Pol Pierret. Tout comme Luc Charlier :  » Je conseille de surpondérer la zone euro par rapport aux Etats-Unis. Elle est très bon marché et les entreprises y ont une politique de dividendes très active.  » Alex Clinckx partage cette analyse, mais ajoute de ne pas oublier les marchés émergents. Seul Nicolas Claeys recommande d’éviter les européennes, jusqu’à nouvel ordre.

Quant aux secteurs les plus prometteurs, nos analystes pointent les valeurs cycliques (les premières à bénéficier d’un redémarrage de l’activité), les industrielles, les matériaux, la santé (biotechnologies, médicaments génériques et qui se vendent sans prescription, restrictions budgétaires obligent), les pétrolières et parapétrolières (matériel de forage, etc.), les biens de consommation (notamment les entreprises européennes qui vendent beaucoup sur les marchés émergents), l’agroalimentaire (en particulier celles qui permettent d’augmenter le rendement agricole), etc. A éviter : les technologiques, les utilities, les télécoms. Et les entreprises trop sensibles à la consommation des Européens, qui pourrait rester en berne encore un moment.

3. Obligations corporate plutôt que souveraines

Ces titres qui représentent des emprunts d’Etat (obligations souveraines) ou d’entreprises (obligations corporate) pour une certaine durée (échéance) et assortis d’un certain taux d’intérêt (rendement) forment l’autre gros morceau des portefeuilles types recommandés par nos spécialistes. Egalement dans une optique de rendement si pas supérieur à l’inflation, au moins meilleur que celui de l’épargne. Et avec une part de risque plus réduit que celui qu’exigent les actions, ce qui leur permet de jouer un rôle d’amortisseur, de  » matelas de sécurité au cas où la stratégie offensive ne fonctionne pas « , résume Nicolas Claeys.

 » Nos clients ne s’y trompent pas, opine Laurent Loncke, chez BNP Paribas Fortis. Nos fonds d’obligations « investment grade » [NDLR : IG, dont la note est égale ou supérieure à triple B], qui promettent un rendement de 2,5 à 3 % par an, fonctionnent très bien.  » Reste que, comme le souligne Alex Clinckx (Belfius),  » les obligations d’Etat de qualité sont chères et ne rapportent rien, quand leur rendement n’est pas négatif « , comme avec l’Allemagne.

Deux possibilités, donc. Soit se tourner vers des pays périphériques comme l’Irlande, l’Italie ou l’Espagne, qui  » ne sont plus bannis « , dit un investisseur, et peuvent offrir des taux de 5 ou 6 % ; soit préférer les obligations d’entreprises. C’est la solution plébiscitée.

Alex Clinckx et Luc Charlier recommandent les entreprises de bonne qualité (IG) ou  » disposant d’une bonne qualité de crédit « .  » Le return moyen de cette classe d’actifs s’élève à 10,4 % (en euros), soit quasi le triple du return moyen dégagé par les obligations souveraines (3,3 %) « , précise Charlier. Pol Pierret suggère tout de même de ne pas négliger les obligations corporate à haut rendement ( » high yield « , dont la note est inférieure à triple B). En faisant  » confiance aux fonds diversifiés gérés par les spécialistes « . S’y risquer seul ou sur une seule valeur demande en effet une bonne expertise du marché… et une solide dose de sang-froid.

4. La belle assurance de la branche 21

Dans un tout autre genre, certaines assurances-vie peuvent également constituer un instrument de placement alternatif à l’épargne traditionnelle. Il s’agit essentiellement des produits appartenant à la fameuse branche 21. Le capital y est investi pour une certaine durée au terme de laquelle il est reversé à l’assuré, assorti d’un intérêt de base et d’une éventuelle participation bénéficiaire.

Comme dans le cas du compte- épargne, le capital est garanti, c’est donc un instrument sécurisé. Le taux de base est fixé par l’émetteur et varie actuellement entre 1,75 et 2,25 %. La participation bénéficiaire, elle, n’est nullement garantie. Selon Test Achats Invest, les rendements réels moyens des assurances de la branche 21 ont atteint entre 2,25 et 3,5 % en 2011, ce qui n’est déjà pas si mal.

Il faut cependant tenir compte des frais liés à ce type de placement. La plupart des émetteurs exigent un droit d’entrée pouvant grimper jusqu’à 6 % (!) du capital, mais c’est négociable et, dans les faits, il est souvent possible de le ramener à zéro. Il faut également s’acquitter d’une taxe d’assurance de 1,1 %. Des frais de gestion peuvent également être imputés (à négocier) ainsi que des frais en cas de sortie anticipée.  » Souvent peu transparents « , avertit Nicolas Claeys.

Le gros atout de la branche 21, c’est que les intérêts sont exonérés de précompte si l’argent reste investi au moins huit ans. C’est donc un placement à long terme, souvent utilisé comme outil de planification successoral : rien ne vous empêche de désigner vos héritiers comme bénéficiaires de cette assurance-vie.

Pour Désiré Godfroid, courtier en assurances, il n’est cependant pas nécessaire d’attendre aussi longtemps pour obtenir un rendement supérieur à celui de l’épargne classique.  » Il suffit d’inclure dans le contrat d’assurance une couverture décès à hauteur de 130 % du capital pour couvrir le précompte et les frais en cas de sortie anticipée « , résume-t-il. Il faudra bien sûr s’acquitter d’une prime mais elle sera couverte par la rentabilité du fonds. Encore faut-il bien choisir son contrat. On se fiera pour cela à la rentabilité du passé, aux conseils de Test Achats ou de courtiers spécialisés.

5. L’or et la brique, refuges peu rentables

Les analystes ne partagent pas tous cet avis, mais plusieurs estiment qu’un portefeuille de placements équilibré peut également inclure un peu d’or et d’immobilier comme alternatives à l’épargne. Bien que, dans les deux cas, les hausses considérables de ces dernières années aient peu de chances de se poursuivre au même niveau. Luc Charlier, chez ING, reste cependant optimiste pour le métal jaune :  » Depuis 1970, les prix de l’or ont toujours été stimulés par des taux d’intérêt réels inférieurs à 2 % « , remarque-t-il.

Quant à l’immobilier, Pol Pierret (Axa IM) estime qu’on  » peut encore aller chercher du 7 % avec certaines sicafi [NDLR : sicav investies dans l’immobilier], si l’on est prêt à accepter une part de risque « . De l’avis général, les plus attractives sont investies dans les appartements de luxe ou les maisons de repos. Pas les bureaux ni les centres commerciaux.

PHILIPPE BERKENBAUM; PH. B.

 » Les actions américaines sont pratiquement revenues à leur niveau de 2009 « 

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