Comme des poisons dans l’eau

Les dérivés de pesticides, de détergents et de médicaments menacent la faune et la flore

Des alligators au pénis microscopique, des poissons qui changent de sexe, des spermatozoïdes humains paresseux. Toutes ces anomalies inquiètent les scientifiques. Ils soupçonnent l’eau de contenir des produits, jusqu’ici peu étudiés, dangereux pour la santé. Accusés : les dérivés de certains produits chimiques, pesticides et médicaments. Ces pollutions ne sont quasiment pas éliminées par les stations d’épuration. La plupart d’entre elles ne sont pas prises en compte dans les réglementations. Cette semaine, à la conférence mondiale de l’eau qui se tient à Kyoto, au Japon, une partie des débats y sera consacrée.

Les naturalistes américains ont été les premiers à s’en inquiéter. Dans les années 1970, les pygargues à tête blanche de Californie deviennent de plus en plus rares, sans cause évidente. Une décennie plus tard, l’alligator de Floride, un des animaux mythiques du continent, disparaît quasiment sans descendance. Des chercheurs d’Atlanta (Etats-Unis) cherchent les raisons au fond du lac d’Apopka, au centre de la Floride. Dans les £ufs de ces grands reptiles, ils trouvent une concentration anormale de résidus de pesticides utilisés par les agriculteurs pour se débarrasser des vers dans les vergers. Puis c’est le tour des batraciens. Non seulement on trouve des grenouilles difformes, ayant plus de quatre pattes ou dépourvues d’yeux, mais la plupart des habitants des cours d’eau meurent avant de faire des petits. Accusés : certains produits chimiques et, notamment, l’atrazine, un puissant insecticide destiné au maïs. Jusqu’à présent, les chercheurs ont affirmé que les quantités en cause sont en doses trop faibles dans l’eau pour affecter la santé humaine…

Aujourd’hui, un autre type de substances, les xenohormones, également présentes dans les eaux douces, sont mises en accusation. On craint leurs effets sur la vie sexuelles des êtres vivants. Selon un spécialiste français, ces produits, qualifiés de perturbateurs endocriniens, proviennent des plastifiants, des agents surfactants des lessives et des shampooings ainsi que de certains médicaments. Les promoteurs de croissance et les £strogènes donnés au bétail, par exemple, se retrouvent via leurs déjections, dans les cours d’eau. Les résidus de contraceptifs féminins également.

Les stations d’épuration ne sont pas conçues pour éliminer tous ces produits. D’ailleurs, les réglementations européennes ne les y obligent pas. Certains équipements filtrent l’eau avec des systèmes à base d’ozone et de charbon actif, ou grâce à des membranes d’ultra-filtration. Insuffisant. Un endocrinologue français propose, lui, de mettre en place des méthodes de surveillance et de traitement encore plus complexes. Pour ce faire, il faudrait revoir les pesticides homologués il y a quarante ans. Et inclure dans les tests des données sur l’accumulation tout le long de la chaîne alimentaire, sur les effets combinés de plusieurs molécules et leurs conséquences à long terme. Enfin, la simple installation de  » bio-indicateurs « , tels que des moules d’eau douce, à la sortie d’usines d’épuration des eaux, comme on le fait au nord de l’Europe, permettrait d’être alerté dès que des substances invisibles passent toutes les barrières prévues. Les scientifiques sont d’accord. Mais les politiques tergiversent encore.

Françoise Monier

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