Comédie grecque
Il y a vingt-cinq ans, le jeune Denis Podalydès débarque à Athènes pour son premier tournage. Il en tire aujourd’hui un roman plein d’humour et de lucidité.
Une fin d’après-midi de 1988, sur la colline de Fiesole surplombant Florence. Denis Podalydès, alias Mathieu, alias Gabriel, commence à paniquer. Voilà des heures que l’équipe de son film l’a oublié là, au milieu des touristes. La nuit et la fraîcheur tombent. De quoi grelotter et se poser des questions » existentielles « . » Est-ce de ma faute ? » » Suis-je un petit être aussi peu affirmé ? »
Le sociétaire de la Comédie-Française, lui, n’a rien oublié de cette scène plus qu’improvisée. » J’ai eu l’impression que cet épisode était soit le terme, soit le début de quelque chose, explique aujourd’hui le Versaillais. A la réflexion, j’y ai vu la naissance d’un acteur par autoengendrement. » Rupture, naissance, renaissance : à 25 ans, Denis Podalydès » s’enfuit » en Grèce pour tourner son premier film ; à 50 ans, il tire de ce road-movie un merveilleux roman, Fuir Pénélope.
Une charnière dans la formation d’un homme
Quatre ans de travail, entre deux prises, deux plateaux, deux lectures, pour composer le récit aussi drôle qu’émouvant, aussi lucide que rigoureux de ce que peut être une année charnière dans la formation d’un homme. L’écrivain Podalydès n’est pas un bleu, Scènes de la vie d’acteur (2006), Voix off (2008) et La Peur, matamore (2010) ayant déjà convaincu de l’étendue de ses talents, mais Fuir Pénélope est de facture plus complète, résultante aboutie d’un exercice délicat : la recréation romanesque d’un substrat autobiographique.
Zoom arrière : fin des années 1980, le petit frère de Bruno Podalydès balance encore entre la philo (il passe plusieurs fois, sans succès, le concours de l’Ecole normal supérieure) et la comédie ( » en dilettante « , dit-il, alors qu’il vient de finir le Conservatoire). Même hésitation côté coeur : du coup, lassée, sa petite amie prend le large. La proposition d’un beau rôle dans le premier film d’un assistant du réalisateur Theo Angelopoulos (son idole) tombe à pic. Denis, ou plutôt Gabriel, le narrateur, sera Mathieu, jeune acteur français au chômage débarquant à Athènes et bientôt entraîné dans une dérive européenne (l’Italie, la France, l’Espagne…) au côté d’une femme enceinte. Le titre de ce curieux scénario ? L’Etrangère (Xenia, de Patrice Vivancos, dans la vraie vie). Un rôle sur mesure – sauf que Gabriel, on l’aura noté, doit savoir conduire. Premier apprentissage, drolatique. Après avoir passé son permis ( » Un cran de plus dans la conquête de soi « ), Gabriel emboutit distraitement quelques voitures. Le tournage peut commencer, baroque, fruit de belles improvisations, d’engueulades mémorables et de travellings épiques » à la Antonioni « .
La plume de Podalydès virevolte : tandis que Gabriel teste son grec ancien, babille le moderne, se plonge dans la Pléiade de Rabelais, tente d’oublier Marianne (la fiancée perdue) et s’interroge sur sa légitimité, l’équipage grec se déchire peu à peu, en proie à des états d’âme que l’écrivain facétieux décline à sa manière, » homérique » : le Divin Stelios, Juan l’Obscur, le Bouillant Yorgos, Michalis le Révolté, Themis la Rétive, la Sage Angeliki…
Financièrement étranglée et moralement malmenée, l’équipée s’achève avec quelques mois de retard et L’Etrangère voit le jour subrepticement – le film est à peine distribué. Denis Podalydès n’a pas encore trouvé son équilibre (les encouragements de son frère, de Jean-Pierre Miquel et de Christian Rist l’y aident très vite), mais il a acquis deux certitudes : être acteur est une sorte d’idéal pour qui veut revêtir un masque, et le plateau de cinéma constitue un lieu parfait pour lire. » Riflandouille riflait andouille, Tailleboudin taillait boudins ! » chantonne en boucle Denis, alias Panurge.
Fuir Pénélope, par Denis Podalydès. Mercure de France, 280 p.
Marianne Payot
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