Cinéma La passion selon Breillat

Louis Danvers Journaliste cinéma

Une vieille maîtresse, adapté de Barbey d’Aurevilly, recèle de belles richesses visuelles et humaines, sans jamais céder à l’ostentation.

Je n’aime guère le xixe siècle, qui a vu le triomphe de la bourgeoisie et de son étroitesse d’esprit, celle qui domine aujourd’hui encore notre société française par sa tartuferie. Le xviiie siècle pensait bien plus librement !  » Catherine Breillat ne s’est pas aventurée au hasard dans l’univers littéraire de Barbey d’Aurevilly, auteur des Diaboliques et d’ Une vieille maîtresse qu’elle adapte aujourd’hui de remarquable manière. Le projet ne date pas d’hier, mais des difficultés de financement, des aléas de production et les problèmes de santé rencontrés en 2004 par la réalisatrice de Romance et de A ma s£ur en ont longtemps retardé la concrétisation.

 » J’avais fini de poser la question de l’identité sexuelle avec Anatomie de l’enfer « , explique Catherine Breillat qui aborde désormais, avec son mélange d’approche frontale et de subtilité, le thème de la passion amoureuse. L’histoire de Ryno de Marigny, le jeune aristocrate libertin pris entre son amour sincère pour la jeune et pure Hermangarde mais revenant toujours à la sensuelle Vellini, la vieille maîtresse du titre, est pour elle l’occasion d’explorer – sans l’ombre d’un jugement moral – comment c£urs, corps et âmes se confrontent  » sous le signe du sang « . Asia Argento est la Vellini, plutôt qu’elle ne la joue, Fu’ad Aït Aattou campant Marigny et Roxanne Mesquida (déjà employée par Breillat dans A ma s£ur et Sex Is Comedy) jouant Hermangarde.

 » J’aime inventer mes acteurs « , déclare la réalisatrice qui a, une fois de plus, recherché un style épuré, avec des cadrages à forte valeur picturale.  » Le cadre est une pensée « , commente celle dont la démarche  » artisanale  » l’a conduite à se procurer elle-même, de marchés en boutiques et autres brocantes, les étoffes où ont étés coupés costumes et éléments décoratifs du film… C’est en  » visant la vérité, plus que le réalis-me « , que Catherine Breillat s’est attaquée à ce qui est sans doute son film le plus accessible, mais dans lequel elle dit n’avoir  » en rien renoncé à quelque bribe d’intégrité que ce soit « . La cinéaste décrit Une vieille maîtresse comme  » assurément romantique, revenant à l’essence de la vie, au plaisir bien sûr, et à cette passion qui brûle, qui dévore, où la souffrance côtoie le bonheur et qui bascule dans le désastre dès que son idéal est atteint.  »

Comme libérée des révoltes animant ses films précédents, Breillat aime chacun de ses personnages, n’opère pas de hiérarchie entre élans sensuels et aspirations de pureté. Elle décoche bien au passage une flèche à ce catholicisme culpabilisant qu’elle a  » en horreur « , mais on se retire du film sur une note apaisée, mélancolique et sereine à la fois.  » Seule compte finalement l’émotion « , clame cette artiste qui fut romancière avant de s’épanouir derrière la caméra, et dont la transposition du texte de Barbey d’Aurevilly est à plus d’un égard exemplaire. A travers la succession des dialogues, c’est une pensée qui se déroule et nous touche, nous fait réfléchir. Une pensée attachée aux désirs plus qu’à ce qui les bride, et qui vient nous rappeler que c’est la capacité à se réfléchir soi-même, à dépasser la logique de l’espèce et celle de la divinité qui fonde notre liberté d’humains.

Louis Danvers

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