Chefs, la tentation du melon

Michel Verlinden Journaliste

Toujours plus haut, au propre comme au figuré, les grands cuisiniers ont aujourd’hui la tête dans les (leurs) étoiles. Une stratégie de communication qui pourrait dénaturer tout l’attrait de leur art.

Il y a décidément quelque chose de pourri en ce moment au royaume de la gastronomie. L’année 2014 ne s’est pas montrée avare en pièces à conviction. Tout se passe comme si un complot généralisé avait été mis sur pied pour transformer les chefs en ballons frivoles à l’ego surdimensionné. Bien sûr, nulle manigance là-dedans, juste l’époque qui s’est trouvé des marionnettes de choix en la personne des cuisiniers. C’est que la toque vend aujourd’hui du rêve comme personne ; elle est  » bankable « , qu’il s’agisse de plats préparés, de voitures ou de montres. Le marketing est en train de faire perdre leurs racines aux ténors du secteur, qui n’ont plus les pieds sur terre, pas plus qu’ils ne sont aux fourneaux. Sceptique ? Il suffit de pointer les très révélatrices initiatives qui consistent à leur faire quitter le plancher des vaches. On connaît depuis un moment Dinner in the Sky, un concept estampillé  » eatertainment  » faisant place à une structure permettant d’embarquer vingt-deux convives à bord d’une nacelle hissée par une grue de 90 tonnes. Au bout du voyage ? On déjeune ou dîne, c’est selon, à 40 mètres de hauteur. Dans la foulée, la toute nouvelle adresse bruxelloise Villa in the Sky (photo) se présente comme  » un restaurant dans le ciel pour flirter avec les étoiles « . Situé au sommet de l’IT Tower, l’endroit domine l’avenue Louise et l’abbaye de la Cambre. En charge de cette tour de Babel gastronomique, Alexandre Dionisio, chef médiatique – rappelez-vous la première saison de Top Chef – qui semble bien avoir bénéficié d’un passe-droit de la part de Michelin en ce qu’il a pu emporter avec lui son étoile forgée dans son restaurant de la rue du Midi. La justification du célèbre guide rouge :  » Pourquoi attendre un an pour renseigner une superbe adresse, à Bruxelles, à des clients internationaux ? C’est une cuisine magnifique, dans un endroit superbe avec une vue imprenable sur la ville. Nous sommes certains de notre affaire…  » (1). De fait, pourquoi ennuyer une star du genre avec une procédure lente et contraignante qui est pourtant l’essence même de la critique gastronomique ? Difficile de faire mieux en matière de peignage d’ego. Mais il y a plus haut et plus fort. En Suisse, le chef Andreas Caminada, du Schauenstein Schloss (Fürstenau), s’est carrément vu offrir un avion par la compagnie Swiss International Air Lines. But de la manoeuvre ? Imaginer un restaurant éphémère sur la ligne Zurich-New York. En clair, le ciel n’est plus la limite, plus rien ne s’oppose au moi triomphant des chefs.

(1)  » Michelin réagit à l’étoile accordée à La Villa in the Sky « , par Hubert Heyrendt, La Libre Belgique du 24 novembre dernier.

MICHEL VERLINDEN

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