Chacun fourbit ses nouvelles armes
Douze mois après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le front militaire bouge peu et Vladimir Poutine surjoue la confrontation avec les Occidentaux. Le «calme» avant la tempête?
«Compte tenu de son envergure, de la diversité des moyens militaires engagés et de l’ampleur des enjeux, la guerre d’Ukraine constitue un tournant stratégique de premier ordre dans l’histoire de l’Europe et peut-être du monde», analyse le géopolitologue François Heisbourg dans son dernier livre Les Leçons d’une guerre (1). L’ actualité des dernières jours de la première année du conflit lui ont donné raison.
Vladimir Poutine, au premier chef, et Joe Biden, par discours interposés, ont paru «élever» au rang de confrontation mondiale un conflit qui, depuis un an, est resté circonscrit au territoire ukrainien, hormis quelques attaques ciblées et non revendiquées en Russie. Mais le président russe, parce que le bilan de son «opération militaire spéciale» est loin d’être probant, a intérêt à feindre d’être défié par l’Occident diabolique et de le défier. La manœuvre alimente le nationalisme qui assure son maintien au pouvoir.
Prolifération nucléaire?
Le 21 février, devant les élites du pays réunies pour son allocution sur l’état de l’union, il a donc à nouveau rejeté la responsabilité du déclenchement de la guerre sur les Européens et les Américains qui ambitionnent d’«infliger une défaite stratégique à la Russie, c’est-à-dire en finir avec nous une bonne fois pour toutes». Il a reformulé son antienne de la provocation qu’aurait constituée l’absorption supposée de l’Ukraine par l’Otan. «Contrairement à ce qu’[affirme] la propagande russe, ce n’est pas l’élargissement de l’Otan aux voisins immédiats de la Russie, dont la dernière étape remonte à 2004, qui a déclenché la guerre, mais bien l’invasion russe qui a provoqué l’actuel élargissement de l’Otan. L’Ukraine n’était pas engagée dans un processus d’adhésion à l’Otan lorsque que Poutine a lancé son invasion en 2022», corrige le conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique François Heisbourg.
Ce n’est pas l’élargissement de l’Otan aux voisins immédiats de la Russie qui a déclenché la guerre, mais bien l’invasion russe qui a provoqué l’actuel élargissement de l’Otan.
Comme pour signifier que cette guerre relevait bien dans son entendement d’une confrontation avec les Occidentaux, Vladimir Poutine a annoncé suspendre la participation de la Russie au traité New Start, conclu en 2010 avec les plus puissants d’entre eux, les Etats-Unis, pour limiter le recours aux armes stratégiques offensives. Il a aussi affirmé se laisser la possibilité de reprendre des essais nucléaires. Agiter le spectre du recours à l’arme atomique fait partie des artifices régulièrement utilisés par Vladimir Poutine pour dissuader les alliés d’aider l’Ukraine.
Les défaites russes
Depuis un an, il devrait pourtant avoir compris que cette tactique ne fonctionne pas. En visite surprise et express à Kiev le 20 février, Joe Biden a promis une nouvelle assistance de cinq cents millions de dollars en munitions pour lance-roquettes multiple, missiles antichars et radars de surveillance aérienne à l’Ukraine. «Un an après, Kiev tient toujours. La démocratie tient. L’ Amérique se tient à vos côtés, le monde se tient à vos côtés», a lâché le président américain dans une envolée prétentieuse au moins dans sa dernière affirmation.
«La guerre de conquête de la Russie est en train d’échouer», a assuré, confiant, Joe Biden. «Ils [les Occidentaux] ne se rendent pas compte que sur le champ de bataille, il est impossible de battre la Russie», lui a répondu le lendemain Vladimir Poutine. Les faits, implacables, démontrent pourtant que l’armée russe a bien été défaite à plusieurs reprises: à Kiev, lors de l’opération commando qui, à l’entame du conflit, devait forcer l’installation d’un pouvoir vassal en remplacement de celui de Volodymyr Zelensky ; à Kharkiv et à Kherson, à l’automne 2022 à la faveur d’une contre-offensive menée par les Ukrainiens. L’ échec russe en a étonné plus d’un. «C’était là le produit d’une analyse idéologique selon laquelle les Ukrainiens n’étaient pas un peuple, les Européens étaient les pleutres décadents et les Américains désormais intéressés par la seule Chine», estime François Heisbourg dans Les Leçons d’une guerre.
Le «calme» avant la tempête?
Depuis les succès ukrainiens, les positions le long de la longue ligne de front sont restées quasiment figées, hormis des avancées réelles mais limitées des troupes russes dans la région de Bakhmout, épicentre des combats depuis plusieurs mois. La perplexité domine pour les analyser. Prémices de la grande offensive russe annoncée? Diversion pour épuiser les mercenaires du groupe Wagner peu appréciés de la hiérarchie militaire russe? Ou signe renouvelé de l’incapacité de l’appareil de défense à forger de nouveaux succès? Mystère.
Un an après le début de l’invasion russe, le temps, vu de l’étranger lointain, semble comme suspendu. Il ne l’est évidemment pas pour les Ukrainiens qui souffrent dans leur chair des bombardements et des privations. Les civils ont payé un tribut extrêmement lourd à la volonté impérialiste de Vladimir Poutine. Dans les «dommages collatéraux» des combats, mais aussi dans les bombardements délibérés d’infrastructures civiles (au terme d’une longue enquête, l’organisation Human Rights Watch a attribué à un tir de missile russe la mort de 61 personnes à la gare de Kramatorsk, le 8 avril 2022) et dans des massacres organisés, comme à Boutcha, à Borodianka ou Izioum.
Pour résumer, la perspective d’un règlement négocié du conflit semble illusoire, même si la tournée en France, Italie, Hongrie, Allemagne et Russie ces derniers jours du directeur du bureau central des Affaires étrangères du Parti communiste chinois Wang Yi préfigure peut-être une initiative sous forme d’un plan de paix. Mais quelle chance de succès? La reconquête ukrainienne n’est pas assez avancée pour qu’après tant de souffrances endurées par sa population, Volodymyr Zelensky soit en position d’accepter une issue aux airs de reddition.
L’ abécédaire de la guerre
Azovstal. Dernier réduit du bataillon Azov lors de la bataille de Marioupol.
Boutcha. Massacre de la soldatesque russe, crime de guerre présumé.
Cyberattaques. Russie vs Ukraine, Russie vs Otan, Occident vs Russie, l’autre guerre.
Drone. Bayraktar TB2 turcs pour les Ukrainiens, Shahed-136 iraniens pour les Russes, la «démocratisation» des armes.
Enfants. Ensevelis dans le théâtre de Marioupol ou déportés en Russie, toujours victimes.
F-16. Avion en grand nombre en Europe, le rêve pour les Ukrainiens.
Gazoduc. Nordstream 1 et 2 sabotés en mer Baltique, mystère non élucidé.
Himars. Lance-roquettes multiple, marqueur de la suprématie technologique américaine.
Istanbul. Rare accord entre belligérants, pour permettre l’exportation de céréales.
Javelin. Arme antichar portative américaine déterminante pour stopper les Russes aux portes de Kiev.
Kherson. Ville occupée puis libérée.
Leopard. Char allemand, instrument de la reconquête ukrainienne.
Moskva. Croiseur russe, touché coulé en mer Noire.
Nucléaire. Civil de l’antre de Zaporijia, militaire dans la bouche Poutine, la menace ultime.
Otan. Alliée, pas belligérante, quoique…
Pologne. La prochaine cible si Kiev tombe.
Quantité. Argument le plus solide avancé par les Russes pour espérer ne pas perdre.
Résilience. Valeur la plus répandue en Ukraine, avec le courage.
Starlink. Internet gracieusement servi par Elon Musk, jusqu’à un certain point.
Tchétchènes. Soldats de Ramzan Kadyrov plus visibles sur Telegram que sur le front.
UA. Immatriculation en exil devenue fréquente en Belgique.
Victoire. Ne peut être que militaire, selon les Ukrainiens.
Wagner. Mercenaires aguerris quand ils ne servent pas de chair à canon.
Xi. Président chinois, acteur clé pour contenir et Vladimir Poutine et une extension de la guerre.
Yser. A Bakhmout, le champ de bataille qui renvoie à 14-18.
Zaloujny. Chef d’état-major de l’ombre, bouclier de Zelensky.
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