» C’est le client qui a le pouvoir « 

Belfius, c’est lui. Umicore, Acerta, Yazoo, SP.A ou CD&V, aussi. Thierry Cattoir est un expert en marketing. Son business ? Vendre à des consommateurs de plus en plus craintifs et exigeants.

Il parle avec fébrilité, comme si ses mots s’essoufflaient derrière sa pensée. Puis il s’interrompt et s’inquiète :  » Ai-je été clair ?  » Thierry Cattoir plane entre Gand, où il vit, Bruxelles et Paris où il mène ses affaires. Après avoir fondé Remarkable, bureau de conseils en stratégie et création de marques, ce Vlerick boy de 50 ans devient le président de Stima, lieu de réseautage entre pros du marketing. Belfius porte sa griffe. Comme Umicore, Acerta, Yazoo, SP.A ou CD&V. Son répertoire ne contient que des noms d’entreprise de grande taille.

Le Vif/L’Express : Le marketing n’a pas toujours une bonne image. Partagez-vous ce sentiment ?

Thierry Cattoir : Il y a quelques années oui, ce métier était déprécié. On prétendait que les marketeurs étaient dépensiers, que notre métier se bornait à claquer de l’argent pour augmenter les ventes d’un produit. Mais le marketing ne peut plus se contenter de promouvoir un produit fini. Il est loin le temps où nous devions connaître un marché, s’appuyer sur un plan de communication de masse. Aujourd’hui, nous devons capter un individu sur ce marché, pas la masse, et cerner ses moindres aspects : c’est à ce profil que je dois m’adresser, sur un mode plus intime.

Jusqu’à considérer les gourous du marketing comme des ringards ?

Nous devons remettre certaines théories en cause. Une marque, c’est trois fonctions : la provenance (d’où vient le produit ?), la qualité et la communication (pour se distinguer, elle doit faire parler d’elle). Or, depuis dix ans, la marque a une nouvelle fonction : celle que j’appelle  » socioculturelle « . Elle va devenir incontournable. Il s’agit de repérer, cibler et prendre en considération les besoins de minorités, liées à une langue, une religion… Dans le marketing comme dans la société en général, le sujet demeure sensible. Mais nous le savons et nous utilisons le marketing ethnique, même si d’aucuns se défendent d’en faire…

Des exemples…

Lorsque nous avons travaillé sur le changement de nom de Dexia Banque – devenue Belfius -, nous avons dû faire attention aux moindres détails, jusqu’aux couleurs utilisées. Nous avons ainsi évacué le jaune car, aux yeux des Wallons, il symbolise une Flandre flamingante, agressive… Il ne s’agit pas de communautarisme, mais d’une forme de segmentation de marché. Notre métier a muté : le marketing requiert plus de subtilité et plus d’éthique.

La révolution numérique a-t-elle considérablement modifié la relation consommateur-marketeur ?

C’est, avec le bouleversement socioculturel dont nous avons parlé, la seconde révolution majeure : le transfert de pouvoir du côté du consommateur.

Le consommateur aurait quand même du mal à vous croire : prenons l’exemple de la présence de viande de cheval dans des plats cuisinés au boeuf…

Je n’affirmerais pas ce que vous dites… Google n’existait pas il y a quinze ans, pas plus que Facebook il y a sept ans, Twitter n’était rien il y a quatre ans. Et en quelques années, Internet, conjugué à l’explosion des réseaux sociaux, a radicalement changé la relation entre les consommateurs et les entreprises. D’abord, la relation n’est plus à sens unique et, surtout, le consommateur est bien plus puissant qu’hier. Il a en main cette arme redoutable : les médias sociaux qui permettent une remontée en temps réel de son insatisfaction, avec, pour les entreprises et leurs marques, un impact immédiat et décuplé.

Du coup, le consommateur exige de la transparence.

Et il a raison ! Le client veut savoir d’où vient le produit, comment il a été acheminé… Les entreprises ont tout intérêt à répondre à cette demande : parce que le consommateur est capable de trouver lui-même les informations et de dénoncer les dysfonctionnements d’un produit, d’un service qu’il a acheté la veille. C’est une menace considérable. Chaque semaine, nous voyons des entreprises se faire descendre par leurs clients en un simple clic. Certaines sociétés l’ont parfaitement compris, d’autres pas.

Enfin, on n’est pas plus informé sur ce qui se passe en cuisine…

J’ai été très surpris par le scandale de la viande de cheval. Je n’imaginais pas que cela puisse encore arriver… Je pense qu’il faut qu’on se revoie dans dix ans ! Ici, nous accusons toujours un retard par rapport à l’Angleterre, aux Pays-Bas. Les réseaux sociaux et la technologie ont créé un monde de transparence absolue. C’est, d’une certaine manière, un retour en arrière. Mais je suis fondamentalement convaincu que plus les technologies évoluent, plus on en revient à l’essentiel, au coeur du métier : le produit. C’est l’occasion pour les entreprises de se demander si leur produit, leur service est bon.

Le consommateur a-t-il envie de s’impliquer davantage dans la vie de la marque ?

Il veut du lien, du contact. Les entreprises ne peuvent plus rester dans le monologue, et la tendance marketing la plus actuelle, c’est la consommation participative ou la cocréation. Il s’agit d’affirmer que les meilleures idées sont dans la tête des consommateurs. Je pense à la marque de chips Lays, qui propose à ses clients de créer eux-mêmes les goûts qu’ils souhaitent. L’invention la plus appétissante peut devenir un produit de masse distribué par les grandes enseignes. Le client gagne 25 000 euros et 1 % sur les ventes durant un an. Lotus et Delacre font pareil. Il s’agit de réduire la distance que ressentent les consommateurs. En participant, ceux-ci ne peuvent plus dire qu’un produit ou une communication ne leur correspond pas.

Dans cette société sous surveillance permanente, le monde de l’entreprise doit se réformer en profondeur ?

C’est un enjeu de taille. Il ne suffit plus de proclamer une promesse, il faut la réaliser. Le consommateur exige transparence, instantanéité et dialogue. Il attend de la disponibilité en permanence pour avoir des réponses à des questions élémentaires. Pour les entreprises, cela implique une rapidité de réaction, de régler très vite les plaintes et problèmes, de mener une veille sur les questions susceptibles de surgir. Une réaction immédiate de la part d’une société disant qu’elle a lu et pris en considération le message suffit sans doute à éteindre le buzz.

Partage, vitesse, transparence. Comment fait-on pour gérer ces mots dans l’entreprise ?

C’est l’autre enjeu : cela oblige à repenser leurs relations, avec les consommateurs mais aussi avec leurs salariés. Tout va converger. La communication interne des entreprises rejoint la communication externe. Cela consiste à impliquer l’entreprise dans son ensemble, à fédérer tout le monde sur le consommateur, pas seulement le marketing, la communication, le service client. Car de plus en plus de personnes sont exposées à la relation client. Chez Colruyt, toute l’entreprise a le même souci du consommateur. L’enseigne prend beaucoup de temps à expliquer à ses chauffeurs qu’au feu orange, il faut à tout prix s’arrêter : ils défendent l’image de marque de l’entreprise ; un client pourrait les voir et en prendre ombrage. Colruyt a aussi imaginé des camions hybrides spécialement développés pour effectuer des livraisons silencieuses, tôt le matin ou tard le soir : eh bien moi, consommateur, je vous assure que depuis ce jour-là, si j’habite à côté d’un Colruyt, j’irai à vie y faire mes courses, car la marque tient compte de mon sommeil, de son entourage proche.

L’autre tendance, selon vous, c’est le marketing responsable : il promeut une société socialement responsable.

Il faut que les entreprises agissent aussi pour le bien de la société et de la collectivité qui l’entourent. Ce n’est pas de la charité. Elles doivent être rentables mais elles peuvent l’être de manière convenable et créer des valeurs. Toutes les entreprises responsables réalisent de meilleurs affaires que leurs concurrentes. Le consommateur est fier de son achat, le salarié, lui, est fier de travailler pour cette entreprise qui s’engage. Je pense à Douwe Egberts et son action en faveur des SDF, à Pampers et à la contribution financière qu’il verse à l’Unicef. Ce n’est pas du gadget, c’est une lame de fond qui prendra de l’ampleur. Car le consommateur s’estime en droit de sanctionner une entreprise dont le seul souci est le profit, rien que le profit : ça, c’est très nouveau.

PROPOS RECUEILLIS PAR SORAYA GHALI

La tendance marketing la plus actuelle, c’est la consommation participative ou la cocréation

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