
«C’est aux ayants droit de décider si l’œuvre s’achève ou survit»
Pour Benoît Mouchart, directeur éditorial BD chez Casterman, une maison d’édition ne peut passer outre les volontés d’un auteur, même en l’absence de testament.
Que vous inspire «l’affaire Gaston»?
Je ne souhaite pas m’exprimer sur l’aspect juridique de l’affaire. En revanche – et sans volonté aucune de juger ce qu’a choisi de faire un concurrent – il me semble qu’on a là une sorte de passage en force. J’ai été étonné par l’annonce de la sortie du nouvel album de Gaston alors que la personne dépositaire du droit moral n’était pas favorable au projet.
Comment s’exprime la volonté d’un auteur en ce qui concerne le devenir de son œuvre après sa mort?
Chez Casterman, on compte trois cas emblématiques. On a l’œuvre de Hergé, où l’auteur a exprimé à de nombreuses reprises le souhait que Tintin ne lui survive pas sous forme de bande dessinée, volonté qui a été respectée par les ayants droit Fanny (NDLR: Vlamynck, seconde épouse de l’auteur) et par son mari Nick Rodwell. Il n’a jamais été question de revenir sur cette décision, bien qu’il n’y ait pas d’écrit testamentaire. A partir du moment où le droit moral est transmis aux ayants droit, c’est à eux de décider. Si vous héritez d’un château et que vous décidez d’en raser une aile, vous pouvez le faire. Si vous préférez restaurer la toiture et rénover, vous le pouvez également. A contrario, si on prend l’exemple de Jacques Martin, auteur des séries Alix et Lefranc, on constate qu’à de nombreuses reprises, il a exprimé dans des interviews qu’il n’était pas opposé à la poursuite de l’œuvre. C’est aussi le cas de Hugo Pratt, qui a clairement déclaré à la télévision qu’il voulait que Corto lui survive. On a donc les deux cas de figure: l’œuvre qui s’achève avec la mort de l’auteur parce qu’il l’a décidé et celle qui se poursuit pour les mêmes raisons.
Contrôler les parodies qui circulent sur Internet est compliqué, mais on est parvenus à faire fermer des sites.
Aujourd’hui, les auteurs ont-ils davantage tendance à exprimer leur volonté contractuellement, pour éviter de futurs problèmes d’interprétation?
A la rentrée, nous allons publier le tome 10 des Aventures extra- ordinaires d’Adèle Blanc-Sec, de Tardi. Nous avons eu une discussion avec lui la semaine qui a suivi l’annonce de la reprise de Gaston. Il m’a clairement fait savoir que ce dixième album serait le dernier de la série, qu’il n’y en aurait plus après. Mais j’ignore encore si cette décision sera contractualisée et quelle serait la valeur de ce contrat dans la mesure où ses droits seront transmis plus tard à ses héritiers. Pour reprendre l’exemple du château dont vous héritez, même si vos parents vous ont dit de ne pas toucher à la déco, ça reste à vous d’en décider. Ceci dit, en toute honnêteté, si demain Fanny Vlamynck et Nick Rodwell nous appellent en disant qu’ils souhaitent faire un nouvel album de Tintin, il y aura trois personnes en moi: le passionné de bande dessinée un peu radical qui dirait que l’œuvre est achevée et qu’il n’y a aucune raison de la poursuivre, l’enfant qui aurait bien aimé lire une histoire inédite de Tintin et celui qui travaille dans une entreprise et qui se dit que ce serait formidable pour financer d’autres projets. Ce serait un véritable cas de conscience.
Sexisme, racisme, antisémitisme: Tintin, publié chez Casterman, a été plusieurs fois pris dans la tourmente. Comment une maison d’édition gère-t-elle le droit moral d’un tel auteur?
Le rôle de l’éditeur est de permettre que l’œuvre soit diffusée et comprise, donc il faut contextualiser, expliquer pourquoi et comment cette œuvre a été réalisée. Mais notre rôle est évidemment de défendre nos auteurs (NDLR: lire aussi page 62).
Pourquoi ne pas préfacer les albums?
On en a beaucoup discuté mais, à ce moment-là, ce n’était pas le souhait de l’ayant droit. On est en train de préparer une édition colorisée de la première version des Cigares du Pharaon, qui sortira à la rentrée, et on a prévu une préface expliquant la genèse de l’album. Comme quoi, en discutant, parfois les choses peuvent évoluer.
Casterman édite aussi Martine, dont les couvertures font l’objet de parodies sur les réseaux sociaux. Celles-ci déplaisent fortement aux héritiers de Marcel Marlier. Comment défendez-vous leurs intérêts?
On attaque. Casterman édite des dérivés, Martine au Louvre et Martine à Versailles mais ça reste les dessins de Marcel Marlier. Le texte a été changé avec l’autorisation des ayants droit et les personnages ont été incrustés dans des photos des lieux. Il est vrai que contrôler ce qui circule sur Internet est plus compliqué. Mais on est quand même parvenus à faire fermer des sites.
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