Ces églises défroquées…

Discothèques, cafés, demeures privées, musées ou salles d’exposition, on ne sait plus quoi imaginer pour réaffecter d’anciens lieux de culte. En Belgique, comme ailleurs, on préfère réadapter plutôt que détruire. Même les églises

Cinq hommes baraqués, lunettes noires, surveillent l’entrée de l’église. Une foule bariolée se bouscule devant le détecteur de métaux. Des basses sourdes d’une musique rythment l’attente de ces jeunes dans le froid. Ils préféreraient être à l’intérieur. En effet, cette ancienne église d’Amsterdam est une boîte de nuit : l’Arena . Plus question d’y célébrer un enterrement, un mariage ou une messe dominicale. Il est minuit. Une autre cérémonie y sera consacrée ce soir, dédiée à la danse et au show.

A l’entrée, sous la grande rosace, un bar flamboyant. Le serveur, dans un tee-shirt noir moulant, tend un whisky à une main perdue dans la masse gesticulante. En face de lui, sur l’ancien autel, le DJ toise les silhouettes informes qui se font et se défont au son de la techno. Des panneaux noirs, suspendus au mur, remplacent les statues de saints d’autrefois. L’unique touche moderne de l’endroit. Les colonnes, séparant la nef des collatéraux, sont restées intactes. Des podiums sur lesquels se déchaînent des danseuses scintillantes ont remplacé la chaire de vérité. Seuls témoins du passé, un ange doré observe de l’étage la foule déchaînée et un  » Gloria in excelsis Deo « , en lettres d’or, surplombe l’ancien autel.

Bien sûr, le côté provocant attire danseurs et rats des boîtes, mais ce n’est pas pour autant la débauche.  » Il y a cinquante ans, on n’aurait jamais imaginé cela. Les nonnes qui ont habité ici doivent se retourner dans leur tombe « , commente Steven, le serveur. L’église faisait partie d’un orphelinat dirigé autrefois par un ordre de religieuses. Une chaîne d’hôtels a entièrement réaménagé l’ensemble des bâtiments. C’est aujourd’hui un lieu branché d’Amsterdam.

La réaffectation d’une église en discothèque n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent. La réhabilitation de lieux sacrés est pourtant devenue une chose courante en Europe, plus spécialement en Hollande et en Angleterre. On trouve en effet des églises transformées en école, loft, musée, salle de sport, café, garage, bureau et parfois même en étable, en stand de tir ou en piscine publique comme à Saint-Pétersbourg. Tous les usages sont permis, après la désacralisation des lieux.

En Belgique, sur 3 918 églises recensées par Luc Vervliet, responsable du service juridique du centre interdiocésain, Marie Muselle, historienne de l’art, a dressé, de son côté, un inventaire non exhaustif de 67 cas de réaffectation en Wallonie. Ces transformations restent moins audacieuses qu’à l’étranger.  » J’y vois plusieurs raisons, explique Raphaël Collinet, représentant à Liège de la fabrique d’église. L’attachement symbolique aux bâtiments sacrés est vécu autrement dans les pays à majorité protestante. Pour les catholiques, l’église est la maison de Dieu. Pour les protestants, c’est simplement le lieu de la profession de foi. De plus, la taille des édifices est différente. En Grande-Bretagne, par exemple, les églises sont plus petites que chez nous. Elles sont donc plus faciles à réadapter. Et puis, il y a des raisons budgétaires qui distinguent les réaffectations. Aux Pays-Bas, chaque communauté doit financer la restauration de son église, au contraire de la Belgique, où les pouvoirs publics y participent largement. Ce sont des investissements énormes. On comprend mieux que des communautés se séparent de certains de leurs biens immobiliers plutôt que de les retaper.  »

Il y a église et église

Il faut observer une certaine distinction dans la réaffectation de lieux de culte. D’une part, il y a les églises, souvent liées à un bâtiment privé, appartenant à une personne physique. Ces églises sont à la merci de leurs propriétaires et donc susceptibles d’être vendues, démolies ou transformées à leur gré. Ensuite, il y a les édifices, comme les cathédrales, protégés par le droit canon et la loi. L’évêque y exerce un droit de regard sévère et un acte légal est indispensable pour qu’ils soient désaffectés. Enfin, il y a les églises conventuelles qui appartiennent à une congrégation. L’institution ecclésiastique peut jouer d’une certaine pression afin de leur trouver, en cas de réhabilitation, une application conforme à ses attentes. C’est-à-dire une affectation sociale ou culturelle. Mais qui est parfois bien différente…

A Bruxelles, l’église des Brigittines est aujourd’hui une salle de théâtre et d’expositions. Les spectacles s’y succèdent depuis 1975, souvent mis en scène en harmonie étroite avec le lieu. Il faut dire que le bâtiment jouit, par ses antécédents sacrés et historiques, d’une dimension qui retient l’attention. Depuis plus de deux siècles et demi, l’église a servi successivement de dépôt pour prisonniers de guerre, de chauffoir public, d’école, de magasin de bières et de bois, de boucherie et de salle de bal.

La réaffectation des bâtiments sacrés existe depuis toujours. Conformément à la résolution 916 du Conseil de l’Europe, l’Eglise s’oppose à la démolition de ses édifices, sauf pour des raisons de sécurité,  » parce que, explique Marie Muselle, l’église est avant tout un lieu de souvenirs collectifs. Elle est le témoin de l’histoire d’une communauté, des efforts investis pour sa construction. De plus, les édifices religieux ont souvent un intérêt architectural « . Comme c’est le cas à Namur, où l’évêque Léonard vient de donner son accord pour la réaffectation de l’église Notre-Dame. Elle conservera sa structure et son mobilier, mais deviendra désormais un centre culturel.

Selon l’étude réalisée par Marie Muselle, on observe plus particulièrement ce genre de réhabilitation depuis la crise des années 1970 qui a poussé les hommes à se pencher sur des bâtiments délaissés, notamment les églises. La présence à l’église tous les dimanches diminue, le nombre d’ordinations aussi. Les prêtres vieillissent et des congrégations s’éteignent. Les religieux se tournent donc vers des couvents plus petits. Certaines paroisses sont supprimées. Les lieux de culte se vident parfois au point d’être abandonnés. Et, pour ne pas les réduire à un tas de pierres, il a fallu leur trouver une raison d’être. Se développe alors un important mouvement de désacralisation et de réaffectation d’églises, de reconversion en bâtiments fonctionnels.  » Mais ce n’est pas neuf, ajoute Marie Muselle. Quand les chrétiens ont construit leurs premiers sanctuaires, ils ont adopté les anciens monuments païens parce que les populations évangélisées restaient très attachées à ces monuments. Les temples sont donc convertis en églises.  » Puis les églises en des locaux très différents de leur destination d’origine.

A Marche-en-Famenne, l’ancienne église des pères jésuites s’appelle aujourd’hui Le Quartier Latin, un restaurant réputé de la région. Entre-temps, elle a connu de nombreuses transformations.  » Quand j’étais petit, c’était l’école primaire communale, explique Benoît, le boulanger qui fêtera bientôt ses 66 ans. Ensuite, les pompiers l’ont occupée pour y garer leurs camionnettes. Et puis, c’est devenu la salle communale, Le Casino. Je me rappelle avoir dansé sur les balustrades il y a vingt ans.  » Du vieux décor sacré, il ne reste rien. Mais la ville et les habitants ne regrettent pas ces nombreuses métamorphoses. Selon certains, celles-ci sont même plutôt positives.  » Il vaut mieux la voir comme ça qu’en ruine ou à l’abandon !  »

Laure d’Oultremont

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