Caractères afghans
Après la chute des talibans, Åsne Seierstad a partagé la vie de famille d’un libraire, musulman modéré. Et saisi ses édifiantes contradictions
Le Libraire de Kaboul, par Åsne Seierstad. Trad. du norvégien par Céline Romand-Monnier. Le Livre de poche, 347 p.
C’était en février 2002 : une jeune femme blonde s’installait chez Sultan Khan, prospère libraire de Kaboul. Arrivée dans la capitale afghane avec les troupes de l’Alliance du Nord après la chute des talibans, en novembre 2001, Åsne Seierstad, reporter norvégienne réputée, avait sympathisé avec cet élégant lettré. Son dessein ? Témoigner des heurs et malheurs de Sultan et des 11 membres de sa famille vivant sous son toit. Le résultat ? Un récit passionnant, loin de toute hypocrisie et de toute mièvrerie.
Sultan, le personnage central, se révèle être un homme contradictoire : musulman modéré, apôtre d’un pays moderne aux relations harmonieuses, il se conduit dans son propre foyer en patriarche autoritaire. Interdits d’école, ses trois fils û le cadet a 12 ans û travaillent dans ses librairies ou ses échoppes, tandis que ses filles et ses s£urs attendent, cloîtrées, qu’un inconnu vienne demander leur main. Sharifa, sa femme, se fait vieille û 50 ans et des poussières. Il la rejette et prend une seconde épouse, Sonya, 16 ans. De victime û il a été emprisonné par les occupants soviétiques ; ses livres ont été pillés par les moudjahidine puis brûlés par les talibans û Sultan apparaît peu à peu comme un implacable colporteur des pires traditions séculaires de son pays.
Dans ce tableau instructif, qui nous permet de suivre au plus près le destin de ces hommes et femmes en quête de liberté et de solitude, c’est Leïla, la petite s£ur de Sultan, qui se montre la plus émouvante. Véritable Cendrillon, la jeune fille de 19 ans s’épuise à servir toute la famille avant d’être promise au triste beau-fils de sa s£ur. On soupçonne Åsne, la blonde trentenaire du Nord, de bouillonner intérieurement à la vue de ces vies brisées, alors même que le premier printemps de l’après-talibans laisse entrevoir un fragile espoir.
Cette indignation contenue fait d’ailleurs tout le sel de ce récit, qui a connu un succès considérable dans plus de 30 pays. Publié en 2003 chez Lattès, puis en poche un an plus tard, il vient de recevoir le prix des lecteurs du Livre de poche dans la catégorie » Le choix des libraires « . Un choix plus que judicieux.
Marianne Payot
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