Bye-bye la provoc
Despentes et Angot, les deux trublions des lettres françaises, abandonnent la posture qui a fait leur succès. Moins agressives mais toujours incisives
Bye bye Blondie, par Virginie Despentes. Grasset, 330 p. Les Désaxés, par Christine Angot. Stock, 210 p.
Seraient-elles devenues » vieilles et sages « , comme l’écrit Virginie Despentes, 35 ans, de son héroïne Gloria ? Certes non. Mais plus calmes, moins agressives, assurément. » Arrêter de puiser dans sa vieà raconter une histoire claire, et complètement imaginaire « à A 44 ans, Christine Angot, grande prêtresse de l’autofiction, s’amuse à rentrer dans le rang, s’affranchit du » je » û tout du moins sur le papier û et joue le narratif pur. De même sa cadette a-t-elle trempé sa plume dans une encre quasi normative. Comme si l’auteur de Baise-moi, apaisée et quelque peu lasse de violenter ses textes, avait décidé de baisser la garde.
Moins de provocation, donc, pour les deux trublions des lettres françaises, qui, depuis une dizaine d’années, agitent méthodiquement et avec un plaisir évident le marigot parisien. Résultat de cette nouvelle posture : des romans moins pimentés mais qui respirent l’honnêteté, la franchise de l’écrivain confronté à l’âpreté de l’acte créateur. Mais ne nous méprenons pas : la violence subsiste, chez les protagoniste, à même la vie. Cette vie hachée, mouvementée, qui a pareillement égratigné nos jeunes auteurs.
Ainsi de Gloria, principal personnage û et double û de Virginie. Un nom flamboyant pour une réalité qui l’est moins. Elle a 35 ans, la rage au c£ur et les larmes aux yeux dans cette rue sinistre d’un Nancy pluvieux. Larguée par son petit ami, dont elle vient de saccager, consciencieusement, l’appartement, elle échoue, comme d’habitude, au Royal, derrière une bière. Passée de » colérique folklo » à » pauvre dingue dangereuse « , Gloria est plus qu’à la dérive. Trop d’alcool, trop de drogues, trop de pétages de plombs. Et ce n’est pas la rencontre fortuite avec Eric, un ex d’il y a vingt ans devenu star d’un petit écran exécré comme le reste, qui va la soulager.
Et pourtant, les souvenirs affluent. Là voilà, adolescente aux cheveux rouges, cloîtrée à l’hôpital psychiatrique pour soigner ses excès de » punkitude « . Très vite surgit Eric, » tout blond, tout bourge, propret » et adepte des substances chimiques. Il n’a d’yeux que pour elle. Ils vont écouter Bérurier noir à Saint-Etienne, fuguent, traînent à Paris, à Evry. Le retour au réel est moins romantique. Eric est expédié en Suisse, dans une école ultradisciplinaire ; Gloria s’embourbe dans la rébellion, vouant aux gémonies tous » les bouffons qui ne se mettent jamais en danger « . 2004 : les retrouvailles entre la RMIste et le nanti se font houleuses, amoureuses, dangereuses. Le ton est juste, tout comme la description de cette jeunesse désorientée, inapte à tout compromis.
Sérénité, un terme étranger
Ces mêmes compromis qui, finalement, pourrissent la vie des héros de Christine Angot. Aucune révolte tangible, en effet, chez François, cinéaste de 45 ans, juste une grande lassitude, un sentiment de gâchis. Son couple se liquéfie, son talent se perd dans des commandes commerciales. A-t-il mérité cela ? Ne vaut-il pas mieux que ce quotidien médiocre ? Les moments de répit s’espacent, tandis que les traitements aux électrochocs de Sylvie, sa femme, maniaco-dépressive, se multiplient. François fuit sur son scooter, part écrire d’ineptes scénarios dans les cafés branchés de Saint-Germain-des-Prés. Il aime Sylvie ou croit l’aimer. Mais Sylvie, l’élève douée de la Femis, minée par la maladie, lui échappe. Leurs analyses se succèdent, sans succès.
A coups d’incessants allers et retours dans le temps, Christine Angot fouille, triture, ausculte le couple. Elle cherche à comprendre la faille, les failles ; se met à la place de l’homme, observe ses efforts, son immobilisme aussi ; détaille le désamour, s’étonne de sa rapidité. L’exercice est épuisant et passionnant. Reste le constat, pas gai gai, de nos deux jeunes femmes : l’incapacité de trouver la sérénité. Avec ou sans compromissions.
Marianne Payot
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