Business et petites pépées

Philippe Cornet Journaliste musique

Armé d’un pseudonyme, Yvonnick Denoël, prof d’histoire-français quadra, échantillonne, dans Sexus Economicus, les coucheries tarifées qui font vaciller les affaires internationales. Call-girls et business, le mariage s’avère – parfois – explosif.

Après avoir été secrétaire à la Défense de Bush père, Dick Cheney essaie de se bâtir une carrière politique, mais cela fait flop. Il accepte alors de diriger Halliburton, un énorme consortium travaillant pour le ministère américain de la Défense, qui a fait beaucoup d’argent en Irak et ailleurs. Cheney se fait attribuer une belle résidence de fonction à Washington DC et y fait aménager le sous-sol en club de strip-tease avec des tables de lap dance. Dans une ville qui compte des dizaines d’agences de call-girls, Dick Cheney devient un gros client et utilise des femmes plutôt mûres et expérimentées dans le bar de sa résidence. Cette affaire est à peine sortie dans la presse américaine. Et bien que mon livre soit sorti depuis presque trois mois, je n’ai pas entendu de protestation de la part de Mr Cheney…  » De Jean-Marie Messier espionné et espionnant aux imprudentes galipettes du prince Albert de Monaco, Denoël dresse ainsi des histoires en rose et noir. La première couleur pour le défilé incessant de séductrices – généralement des professionnelles hautement tarifées – la seconde, parce que cette série d’affaires compilées et investiguées par l’auteur français ont tendance à tourner mal… Denoël (un pseudonyme), spécialiste du renseignement, a déjà publié Le Livre noir de la CIA, en 2007, et Comment devient-on un espion ? , l’année dernière. Pour des raisons de discrétion, il ne désire pas être photographié ou passer à la télévision…

Le Vif/L’Express : Kissinger disait  » Le pouvoir est le meilleur des aphrodisiaques  » : à quand peut-on faire remonter ce Sexus Economicus (1) ?

Yvonnick Denoël : Le Sexus Politicus date de la naissance du pouvoir lui-même et j’ai estimé ne pas devoir revenir là-dessus, mais cela semble encore tabou de parler du pouvoir financier ou économique et de ses galipettes. C’est vraiment dans les années 1950-1960 que le phénomène démarre aux Etats-Unis et en France ; la modernité amène la systématisation de ces pratiques.

Toujours au secteur présidentiel, vous parlez de Brigitte Lahaye (ex-actrice de porno)  » sollicitée par un grand fauve de la politique (française)  » : entre les lignes, on peut penser qu’il s’agit de Chirac, non ?

J’observe simplement que Lahaye explique qu’elle a été sollicitée par un  » futur président « quelques mois avant que Jacques Chirac n’affronte François Mitterrand à la présidentielle…. En France, plusieurs présidents successifs ont été de grands séducteurs, tous ont eu des aventures : cela aussi est de notoriété publique. Les Français trouvent que c’est là un signe de vitalité.

Quand on lit les histoires entourant Omar Bongo (président du Gabon, mort en 2009), on est un peu atterré par sa conduite de très chaud lapin, notamment lorsqu’il fait venir à son palais présidentiel une Miss Pérou dont il veut abuser comme si elle n’était qu’une call-girl consentante. La fille s’enfuit et le scandale est étouffé… La France savait tout des obsessions de Bongo et n’hésitait pas à les satisfaire, pourquoi ?

L’impunité est réelle pour les chefs d’Etat africains et leur entourage direct, idem pour les dirigeants des pays du Golfe. Bongo a financé la politique française et on connaît bien l’emprise d’Elf au Gabon : se fâcher avec Bongo, c’était priver Elf d’une de ses sources d’approvisionnement les plus importantes en pétrole. Il faudrait vraiment qu’un chef d’Etat africain éventre à coups de couteau une call-girl lors d’une visite à Paris pour que la police réagisse.

Les chefs d’entreprise sont plus fragiles…

Il y a peut-être un sentiment d’impunité et de toute puissance chez les grands chefs d’entreprise, mais il leur arrive de trébucher parce qu’ils ont mal évalué le danger. Les entreprises dépensent des millions d’euros chaque année pour protéger leur secret industriel, mais leurs dirigeants se vantent parfois sur l’oreiller de tel ou tel gros changement de stratégie industrielle. D’où les chantages sexuels : un homme d’affaires australien avait été piégé en Chine avec une mineure, suite à quoi, il est devenu un prosélyte des intérêts chinois. Quand Jean-Marie Tessier était à la tête de Vivendi et qu’on essayait d’obtenir sa démission, on a fait travailler une équipe de renseignement économique sur sa vie privée pour voir s’il y avait moyen de le faire chanter.

Et lui a employé les mêmes méthodes…

Oui, il faisait travailler une équipe sur la vie privée d’un jeune analyste du Crédit Lyonnais qui, pour la première fois, avait émis un avis défavorable sur sa stratégie…

Lors des JO de Pékin, les Chinois préparent une escouade de mille jeunes femmes ainsi que des hôtels complètement mis sous surveillance dans l’espoir d’obtenir du renseignement : là, on peut parler de bataille industrielle par le sexe !

Oui, pour la Chine, c’est une ressource naturelle abondante : ce sont des escort-girls qui sont salariées par l’Etat. Leur boulot consiste à séduire des hommes d’affaires occidentaux, de passer la nuit avec eux, de récupérer le disque dur de leur ordinateur ou d’aspirer les données de leur BlackBerry. Les services secrets occidentaux expliquent aux groupes industriels qu’il faut prendre d’énormes précautions. Malgré cela, des cadres, y compris des groupes de défense et d’armement, se font avoir.

Dans le cas de Rupert Murdoch qui va épouser une Chinoise, Wendi Deng Murdoch, de 38 ans sa cadette, il s’agit d’une affaire plus trouble : coup de foudre ou coup monté ?

C’est troublant : pendant quinze ans, Murdoch a essayé d’implanter son groupe de communication sur le territoire chinois avec un succès très modéré. Il rencontre alors une stagiaire, brillante jeune femme ayant passé un MBA aux Etats-Unis et divorce de sa femme. Quinze jours après son mariage avec Wendi, il rencontre personnellement le président chinois et les choses semblent se débloquer pour ses affaires, créant même une joint venture avec le fils du président chinois. C’est un mariage d’amour et de convenance comme il pouvait y en avoir dans la grande bourgeoisie au xixe siècle.

Dans les années 1970, on n’aurait pas imaginé une call-girl à la télévision : aujourd’hui, plus personne ne s’étonne de la présence d’une Christine Deviers-Joncour (2) dans les talk-shows. Pourquoi cette banalisation ?

Ce n’est pas tout à fait une call-girl mais quelqu’un qui a été recruté par Elf pour sa proximité avec Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères sous Mitterrand. Elle a monnayé son influence sur Dumas, et on est dans une époque de surmédiatisation de ce type de profils – escort-girls, porno stars etc. – au détriment de penseurs et d’intellectuels qui doivent simplifier leur discours et trouver des formules chocs.

Restent les familles royales : vous prenez l’exemple d’Albert de Monaco pris dans une sombre histoire de chantage par son propre chargé de la sécurité. A-t-il fait preuve de naïveté ?

Son ex-espion lui réclame des indemnisations pour  » services rendus « tout en le menaçant de dévoiler des éléments de sa vie privée, qu’en fait, on connaît déjà : son faible pour les jeunes femmes en général et son grand nombre d’aventures. Je dis dans le livre que pour faire oublier ses soucis judiciaires avec son ancien barbouze, Albert chercherait prochainement un mariage grandiose, histoire de détourner l’attention et de créer du buzz. C’est ce qui vient d’être annoncé, il y a quelques jours.

(1) Sexus Economicus – Le grand tabou des affaires, Nouveau Monde Editions.

(2) Condamnée à trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis et 229 000 euro d’amende pour recel d’abus de biens sociaux dans les affaires Elf et des Frégates de Taïwan.

de notreENVOYé SPéCIAL à PARIS; PHILIPPE CORNET

 » Pour la Chine, c’est une ressource naturelle abondante « 

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