Braises arabes
On voudrait ne pas l’écrire, mais comment ne pas le dire ? Ce ne sont pas un restaurant, un hôtel, le cercle espagnol, le cimetière et le centre communautaire juifs û cinq lieux symboliques de l’ouverture marocaine, du tourisme, du maintien d’une communauté juive et de liens étroits avec les anciennes puissances coloniales û qui ont été frappés, la semaine dernière, à Casablanca.
C’est tout le Maroc qui est ébranlé, fissuré, par ces déflagrations, ramené à la norme û islamisme, violence et fragilité û d’un monde arabe où ce pays faisait figure d’exception, crédible et rassurante. Même pendant ses années de lutte pour l’indépendance, le Maroc avait toujours refusé la violence. Il n’y eut alors qu’un seul véritable débordement terroriste, une bombe au marché central de Casa. Mais, vendredi soir, les kamikazes étaient marocains.
Comme en Palestine, des jeunes gens se sont transformés en bombes vivantes car les moins de 30 ans, comme dans tout le monde arabe, constituent actuellement l’immense majorité des Marocains. Le Maroc d’aujourd’hui, c’est cette nouvelle génération, forte de son nombre et de sa révolte, d’un désir d’exister dans un siècle globalisé par l’Occident, dans cette opulence à la fois si proche et si inaccessible que toute une partie de cette jeunesse ne voit plus d’autre horizon que le grand soir musulman.
Ce n’est pas que tous les jeunes Marocains soient des fanatiques. Tous ne rêvent pas de guerre sainte et de sang, bien loin de là. Comme en Turquie, il existe même, au Maroc, des partis islamistes décidés à jouer la légalité parlementaire. Pourtant, le fait est là. L’utopie communiste est morte et l’utopie libérale, le rêve américain, n’est pas à la portée des » déshérités « , de cette armée de gueux que sont les jeunes chômeurs musulmans. C’est dans le vide politique, franges terroristes comprises, que l’islamisme progresse et marque tant de points, même dans le royaume chérifien, que Mohammed VI avait dû se résoudre, il y a quelques semaines, à repousser les élections municipales.
Les barbus les auraient remportées haut la main. Il y aurait eu un raz-de-marée islamiste, comme en Algérie à la veille de la décennie sanglante, comme lors des dernières législatives marocaines, aussi, si les partis intégristes n’avaient pas accepté, en sous-main, de ne pas se présenter partout. En coulisse, des tractations de ce genre devaient s’amorcer pour les municipales, mais maintenant ? Après ces attentats, le roi va devoir choisir entre la poursuite de la libéralisation et un très incertain retour en arrière.
C’est un maillon faible, un pays en fragile transition que le terrorisme a frappé, avec l’évident objectif d’y tuer le tourisme, l’une des premières ressources du royaume. Alors ? La certitude est qu’il est plus difficile d’éteindre les braises arabes que d’entrer dans Bagdad.
Riyad un jour, Casablanca l’autre, Jérusalem ensuite, ailleurs bientôt û les réseaux islamistes savent où souffler pour provoquer l’incendie que George Bush croyait aller étouffer. Pour l’heure, il l’étend.
Jacques Attali
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