Bonjour tendresse

Marianne Payot Journaliste

Après avoir hésité pendant des années, Denis Westhoff a fini par brosser le portrait de Françoise Sagan. Loin des habituelles biographies, le regard complice et pudique d’un fils sur une mère pas comme les autres. Rencontre.

Denis Westhoff aura 50 ans le 27 juin. Sa mère, Françoise Sagan, en aurait eu 77 le 21 juin. C’était une Gémeaux, il est Cancer, mais leur ressemblance est troublante. Même visage émacié, même sourire ironico-timide, même regard tourné vers l’ailleurs, même allure nonchalante. Quand il s’approche, en ce vendredi de mai, de la place des Ternes, on voit d’abord Utah, son griffon, et puis, au bout de la laisse, une figure fort juvénile, le fils du  » charmant petit monstre « . Un fils qui a mis soudainement les bouchées doubles. Ce mercre-di 30 mai, il décerne le prix Françoise-Sagan, 3e du nom, à l’hôtel Lutetia et, surtout, publie son premier livre, Sagan et fils (Stock). Non pas une énième biographie (la 9e, signée Pascal Louvrier, vient de sortir, voir l’encadré page 84), mais le tendre récit d’un long compagnonnage. Ce livre, que les éditeurs lui réclament depuis la disparition de sa mère, en septembre 2004, Denis Westhoff s’est enfin décidé à l’écrire, sous l’amicale pression, n’en doutons pas, de Jean-Marc Roberts, le patron de Stock, qui s’est lancé dans la réédition d’une partie de l’£uvre de sa mère. Pour l’aider, il lui a même adjoint un confesseur, un accoucheur. C’est que Denis n’est pas écrivain, mais un  » piteux photographe « , selon ses propres termes. Echec,  » la petite musique  » ne s’est pas fait entendre.  » Je ne me reconnaissais pas. Alors, après la Toussaint, je suis parti m’enfermer à double tour dans le Lot avec Utah et des boîtes de conserve. Et j’ai écrit, spontanément, jusqu’à il y a trois semaines.  » D’où la structure très libre de l’ouvrage, avec pour seule règle chronologique celle du c£ur.

Dès l’introduction, Denis West-hoff, témoin  » aussi attentif et objectif qu’il put être  » d’une moitié de vie de sa mère, le reconnaît, c’est sa vérité qui se reflète dans ces pages. Une vérité tronquée (Denis, né en 1962, n’a pas connu la  » corrida  » entamée au lendemain de Bonjour tristesse) et embarrassée par la légende – sa mère n’était-elle pas elle-même prisonnière de son personnage, elle qui disait :  » J’étais une héroïne de bande dessinée qui s’appelait Sagan. On ne me parlait plus que d’argent, de voitures, de whiskyà  » Reste qu’il entend bien ici tordre le cou aux allégations des  » biographes tricheurs « , qui se sont autorisé des  » libertés inacceptables  » (voir le jeu des 12 erreurs à la page précédente). Pas un nom, pourtant, ne sera couché sur le papier.  » Ils se reconnaîtront bien « , sourit l’auteur. De même, à l’exception de Guy Schoeller, le premier mari  » un peu mufle  » et futur créateur de la collection Bouquins, certains protagonistes de la saga Sagan, comme Ingrid, la dernière personne avec qui elle a vécu, ne sont pas mentionnés.  » L’indifférence n’est-elle pas la pire des peines ? Et puis, je ne veux pas déterrer la hache de guerre.  » En digne fils de sa mère, Westhoff, on le sent, déteste les confrontations et les éclats de voix. Le directeur de Julliard, détenteur de 17 des 39 titres de la romancière, dont Bonjour tristesse, que Denis a attaqué en justice pour manquement à ses obligations, n’est jamais nommé non plus. Il est vrai que les deux hommes se retrouveront en appel derrière la barre, le 12 septembre prochainà

 » Ma mère et moi avons partagé trente vraies années de gaieté, d’inattendu, d’intelligence, d’humour, d’esprit, d’idées [à] Elle aimait à l’excès, maniait l’humour à l’excès, donnait et se donnait à l’excès.  » Difficile de trouver sous la plume du fils unique la moindre remarque acerbe sur cette mère, qualifiée de  » sainte athée « . Son éducation ?  » Malgré la prétendue vie dissolue de mes parents, j’ai eu une enfance très choyée et un quotidien très organisé, notamment chez mes grands-parents, avec des horaires, des contraintes. Françoise était une grande bourgeoise, c’est ce qui l’a sauvée « , poursuit-il, l’air amusé. Ce même air amusé qu’il prendra quand on s’étonnera des multiples déménagements de sa mère – on en décompte au minimum huit, presque autant que de voitures :  » Oh, vous savez, cela ne la fatiguait guère, elle allait quelques jours à l’hôtel et quand elle entrait dans son nouvel appartement, tout était prêt, les meubles étaient à leur place. « 

Le sens de la fête et de l’humour

Même son addiction à la drogue ( » Je n’ai jamais eu de conversation sérieuse avec elle sur le sujet. Elle savait évidemment que j’étais au fait de sa dépendance. Qu’y avait-il à dire ? « ) ou ses négligences financières (le passif de sa succession s’éleva à 1 million d’euros !) ne semblent entamer l’admiration – et la pudeur – de Denis. Seule l’attitude  » quelquefois injuste  » de sa mère à l’égard de Bob Westhoff, son père, le pousse à esquisser les caprices et les conduites étranges de l’auteur de Toxique. C’est qu’il l’aime, ce père américain, auquel il consacre quelques très belles pages. Un père fantasque, irresponsable, indolent et quelque peu porté sur la bouteille certes, mais aussi attentif, indulgent, bourré de charme et d’élégance. Un père qui aura tout fait – militaire dans l’US Air Force, patineur pour Holiday on Ice, mannequin, sculpteur, rédacteur chez Publicis – et pas grand-chose. Qu’importe ! Il avait le sens de la fête et de l’humour.

L’humour, le maître mot de Sagan et fils. Qui lui a fait apprécier Peggy Roche, la fameuse compagne de Françoise, aussi possessive que protectrice. Et qu’il manie ici pour narrer les anecdotes saganesques dont on ne se lasse pas, comme l’achat, au retour du casino de Deauville le 8 août 1959, à 8 heures du matin, de sa maison de location, le manoir de Breuil, avec les 80 000 francs gagnés la nuit même à la roulette (en jouant le 8), histoire d’échapper au fastidieux état des lieuxà

Denis Westhoff s’en aperçoit maintenant, il avait mille autres choses à dire sur Françoise et son £uvre. Alors, comme il a pris goût à l’écriture, il est fort probable qu’il récidive. Mais le temps presse, il repart viteà d’un pas flâneur.

MARIANNE PAYOT

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