Bob Cabrel

Philippe Cornet Journaliste musique

A 59 ans, Francis Cabrel transpose un fantasme de jeunesse en adaptant onze titres de Dylan, en langue française. Vise le ciel s’avère cabrelien, avec une dose supplémentaire de métaphysique.

CD Vise le ciel, chez Sony Music.

Cabrel, auteur d’une demi-douzaine d’albums vendus au-delà du million d’exemplaires est un fan religieux de Dylan. Sa madeleine originelle tient dans la découverte de Like a Rolling Stone, borne de l’été 1965 : depuis son village du Lot-et-Garonne, gamin Francis (1953) absorbe instantanément toute l’Amérique des mythes musicaux, l’orgue gras et la voix nasillarde d’un jeune bouclé défoncé qui a emprunté son patronyme à un poète gallois mort à 39 ans, Dylan Thomas. Comme Robert Dylan Zimmerman, Cabrel est un immigré : lui vient d’une famille ouvrière originaire du Frioul italien, Bob a traversé l’immense chemin qui sépare le Minnesota glacé des phares électriques de New York City. Deux outsiders qui vont réussir au-delà de toute espérance.

Grosso modo, Cabrel a mis pas loin d’un demi-siècle à mûrir ce projet même si, sur son album de 2004 ( Les Beaux Dégâts), il adapte déjà un standard du misanthrope suprême ,Shelter From the Storm rebaptisé S’abriter de l’orage. Ici, Cabrel reprenant Dylan sonne comme de la belle chanson française, teintée de country, de folk, éventuellement de parfums rock, baladée sur des guitares conviviales et des mélodies pastorales. A l’exception d’un blues râpeux, L’Histoire d’Hollis Brown, la tonalité globale du disque serait communément agréable si les textes ne rappelaient le peu d’orthodoxie de Dylan, maître en puzzles narratifs où la question de l’existence de Dieu n’est jamais loin de celle de la femme. En langue française, il n’existe guère qu’Hugues Aufray ayant pareillement dylanisé, c’était dans les années 1960 et fait sous le couvert d’un folk fortement boy-scout.

Là, Cabrel s’attaque par lui-même aux textes originaux, pas une mince affaire vu la propension dylanienne à déguiser ses mots en poupées russes : une phrase en dévoile une autre, possiblement une énigme ou un paradigme de sensations épidermiques, guidant vers une issue rarement dévoilée. Ainsi se créent des associations insolites, où le ferment politique sert de pied-à-terre aux écumes poétiques, comme l’histoire mêlée d’esclavage et de blues du magnétique Comme Blind Willie Mc Tell ou ce questionnement de la condition humaine face à l’adversité mutante ( La Dignité) .

Cabrel adapte davantage qu’il ne traduit littéralement : à quelques ratés près – baby blues devenant bébé bleu…– et trouve grâce à traiter une prose généralement insulaire une fois sortie de son original cocon anglophone, dylanien. La moitié des titres provient du répertoire archi-classique du Dylan sixties ( Just Like a Woman, Quinn the Eskimo, All Along the Watchtower, It’s All Over Now…), mais Cabrel n’a pas voulu oublier Simple Twist of Fate (1975) ou cette grande chanson de la période born again christian de Bob, le Gotta Serve Somebody de l’été 1979. En accomplissant un méritoire travail d’archiviste, Cabrel rend bien à Dylan son quota de mystère originel, donnant inévitablement l’envie de retourner, après l’écoute de Vise le ciel, aux matrices originales.

PHILIPPE CORNET

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