Bientôt des produits financiers 100 % halal en Belgique ?

Comment capter les investisseurs du Golfe ? Séminaires, groupe de travail… planchent sur la nécessité de développer cette branche financière en Belgique. Lentement, mais sûrement.

Ce sont des  » ateliers halal  » : de courts  » road shows  » organisés, depuis le 31 mars, par l’Agence wallonne à l’exportation (Awex) dans les grandes villes wallonnes. Lors de chaque séminaire, le  » club halal  » attire une soixantaine d’entreprises exportatrices, surtout dans l’agroalimentaire, venues prêter l’oreille à un expert en finance islamique – un marché évalué à 500 milliards de dollars. Car l’Awex en est convaincue,  » la finance islamique et la certification halal constituent des opportunités à ne pas négliger  » pour le sud du pays. En clair, il s’agit avant tout de capter les investisseurs venus des pays du Golfe.

Nous y voilà… La finance islamique n’est pas qu’une affaire de morale, mais aussi de business. En effet, les investisseurs musulmans veulent de plus en plus que leurs engagements dans des sociétés étrangères soient conformes aux préceptes islamiques.  » Des moyens financiers considérables ont été rapatriés, ces dernières années, dans les pays arabo-musulmans, relève Marc Deschamps, spécialiste en finance islamique recruté récemment par l’Awex. Si nous pouvons les accueillir chez nous en leur proposant des véhicules financiers adaptés aux critères de la finance islamique, ce serait tout profit pour notre économie.  » Ainsi, dans la finance halal, plusieurs ratios ont été définis : sont interdites les entreprises dont l’endettement représente plus de 30 % de la valeur de leurs actions. De Dubai en passant par Kuala Lumpur, on assiste, depuis 2004, à un formidable décollage de produits financiers halal. La Malaisie, dans le peloton de tête du secteur, impose aux banques présentes sur son territoire de gérer au moins 20 % de leurs actifs dans le système islamique.

De fait, la finance islamique bannit la riba, c’est-à-dire l’intérêt et la spéculation. C’est sur ce principe fondamental, inscrit dans le Coran, qu’elle se base. Au rejet de l’usure s’ajoute un autre principe, celui du partage de risques. L’investisseur ne vend que ce qu’il possède, partage avec sa banque ou son partenaire commercial ses bénéfices comme ses pertes : un produit financier doit être adossé à un actif bien réel, comme un bien immobilier, sur lequel le banquier et le client partagent les plus ou les moins-values. Il s’interdit aussi d’investir dans les secteurs impurs, tels que l’alcool, la viande de porc, le jeu de hasard, la pornographie ou les armes. Dans le même esprit, les émissions d’obligations ou les financements de titres participatifs sont des produits parfaitement compatibles avec la charia.

Un client qui contracte un emprunt pour acquérir une maison laisse la banque acheter le bien, puis il la rembourse peu à peu (sous forme de commissions correspondant au service rendu, une espèce de loyer). A l’échéance du contrat, la banque lui transfère la propriété du bien. Le gain bancaire (puisqu’il y en a un, évidemment) ne provient pas de l’intérêt pris sur le capital, mais de la marge bénéficiaire (intégrée dans les  » loyers « ) liée à la vente du bien. Bref, l’emprunteur paiera en différé un prix plus élevé.

Autre précision : pour que Bruxelles puisse accueillir l’argent du Golfe et de la Malaisie qui se déverse aujourd’hui sur Londres ( » portail occidental de la finance islamique « ), il faudrait un cadre juridique et fiscal plus  » accueillant « . Pour l’instant, en Belgique, aucune agence islamique ne vend de services financiers  » charia-compatibles  » (conformes à la loi islamique). Aucun établissement bancaire conventionnel ne dispose non plus d’une offre halal.

Fiasco

La volonté politique, discrète, d’ouvrir le marché à la finance halal existe bel et bien. Début juin 2009, le ministre de l’Economie a confié à un groupe de travail la mission de dresser  » un état des lieux des dispositions légales qui devraient être modifiées pour rendre notre législation compatible avec les mécanismes de la finance islamique « . Il s’est réuni la dernière fois début mai. Le 8 mai dernier, Didier Reynders téléphonait encore à la présidente de l’Association belge des professionnels musulmans (ABPM) pour lui  » témoigner de son intérêt pour la finance islamique « . C’était au lendemain d’une rencontre organisée par l’association, réunissant Isabelle Durant pour Ecolo, Philippe Moureaux comme vice-président du PS et la présidente du CDH, Joëlle Milquet, sur le sujet. Seul le PS se montrerait plus réservé.

Dans le cercle bancaire belge, on s’agite aussi. Jusqu’ici, seule la BNP Fortis Banque proposait en 2008 la première sicav charia friendly aux musulmans de Belgique. Un fiasco : si le produit s’appuyait sur le Dow Jones Islamic Market Index (DJIM), sa structure s’était révélée tout à fait conventionnelle. Mais on bûche sur le sujet, même si les établissements restent discrets sur leurs intentions. Preuve que le monde de la finance suit le dossier de près : des banques ayant pignon sur rue embauchent des consultants en la matière.

Les musulmans belges joueront-ils le jeu ? D’après un sondage commandé par l’ABPM, la réserve de clients serait là. Une majorité des sondés serait intéressée par une offre bancaire compatible avec leurs convictions religieuses ou éthiques : par exemple, parmi les entrepreneurs musulmans propriétaires, 95 % seraient prêts à modifier leur crédit hypothécaire et opteraient pour la finance islamique. Actuellement, les fidèles recourent aux officines bancaires classiques.  » Le pays compte environ 600 000 musulmans, mais ils sont surtout originaires d’Afrique du Nord, où la banque islamique n’a pas pris pied, en raison de l’hostilité des gouvernements locaux « , explique un expert financier. Le Maroc autorise… depuis 2007 ses banques à lancer des produits sharia compliant. Les musulmans belges s’adressent à un comptoir bancaire marocain uniquement pour transférer des devises et souscrire une assurance obsèques (couvrant le rapatriement et l’enterrement dans le pays d’origine). Des jeunes, essentiellement, instruits et plus religieux que leurs parents, attachés à un  » mode de vie différent « , seraient réellement tentés par l’aventure.

Installée sur le marché anglais depuis plus de cinq ans, et première banque islamique de détail au Royaume-Uni, l’Islamic Bank of Britain n’a ouvert que huit agences pour moins de 50 000 clients. Car la finance islamique,  » réputée plus éthique, plus solidaire « , n’offre pas des produits moins chers. Comme toutes les banques, son but est aussi de faire du profit.

S.G.

en belgique, un cadre fiscal et juridique plus accueillant s’impose

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