Balkans : la dépouille du nationalisme
L’ancien maître de Belgrade disparu, l’ex- Yougoslavie va-t-elle prendre le chemin de l’Europe ? L’Union n’est pas pressée.
Le décès de Slobodan Milosevic préfigure-t-il la fin des nationalismes serbe et, au-delà, balkaniques ? Il serait pour le moins présomptueux de l’avancer. Contrairement à ce que l’on entend souvent, c’est par opportunisme plutôt que par idéologie que l’ancien maître de Belgrade, bureaucrate ambitieux, formé par l’appareil communiste, s’était mué en chantre d’un grand-serbisme avide de revanche, après ce déni des réalités nationales que fut la Yougoslavie titiste. Dans les années 1930, le poè-te Milan Curcin observait déjà les nations qui formaient le royaume de Yougoslavie, qu’il jugeait en état de fermentation, tel le moût, sans qu’il pût dire si elles se transformeraient en vin ou en vinaigre.
Ces doutes sont toujours d’actualité. En Serbie, le Parti radical (SRS), la formation ultranationaliste dont le dirigeant Vojislav Seselj est jugé à La Haye, obtient, dans les sondages, un tiers des voix. C’est le parti le plus important au Parlement. L’apathie électorale aidant, son candidat avait obtenu 45 % des suffrages au second tour de l’élection présidentielle de juin 2004. Sa rhétorique nationaliste lui permet de drainer les voix de tous les mécontents de la transition, des retraités au pouvoir d’achat affaibli aux chômeurs jetés sur le carreau par les fermetures d’usines. Sa surenchère gêne aussi les partis démocratiques, déjà en proie aux luttes internes et qui peinent à dénoncer la collusion avec le crime organisé qui s’abrite souvent derrière l’étendard du patriotisme. » Le Premier ministre Kostunica a réhabilité une partie de l’appareil Milosevic par ses nominations dans la police et le système judiciaire « , dénonce ainsi James Lyon, analyste d’International Crisis Group. Le souci de ménager l’opposition ultra peut donner lieu à à un épisode cocasse, comme l’envoi de condoléances à la famille Milosevic par Vojislav Kostunica, le Premier ministre serbe, et Boris Tadic, le président de la Serbie, alors que ce même Tadic refuse de lever le mandat d’arrêt pour abus de pouvoir lancé à l’encontre de Mira Markovic, l’épouse de Slobodan Milosevic, en fuite à Moscouà Si une partie de la Serbie a déjà fait son deuil du Kosovo, dont l’avenir s’ébauche ces mois-ci entre diplomates du Vieux Continent, il faudra du tact à l’Europe comme aux autorités serbes pour faire accepter à tout un pan de l’opinion une » indépendance conditionnelle » qui ne devra pas dire son nom et pour garantir, par ailleurs, les droits aujourd’hui bafoués des minorités de la province.
Le pouvoir de nuisance du nationalisme antidémocratique déborde les frontières de la Serbie. Dans la Bosnie-Herzégovine voisine, la fédération multiethnique (Fédération croato-musulmane et Republika srpska) née des accords de Dayton est bloquée, prisonnière de l’affrontement des partis nationalistes au pouvoir dans chaque communauté.
Faut-il dès lors désespérer des Balkans ? Pas forcément. En Croatie, le parti nationaliste HDZ, au gouvernement, fait preuve d’un pragmatisme inattendu et s’est converti aux valeurs de l’Union européenne. En Macédoine, les accords de paix conclus entre la majorité slave et la minorité albanophone tiennent toujours, même si leur application s’avère sur le terrain plus lente que prévu. Le Monténégro se prépare, pour l’heure dans le calme, à un référendum, le 21 mai, qui pourrait précipiter sa sécession avec la Serbie. Dans tous les cas, la promesse faite par l’Union aux Balkans d’un » avenir européen » est, sans conteste, un facteur de pacification. L’ultimatum lancé à Belgrade d’arrêter Ratko Mladic avant la fin du mois sous peine de voir les négociations avec Bruxelles suspendues est, dans ce sens, utile. » C’est un signal qui permettrait aux partis démocratiques de confirmer que notre avenir est dans l’intégration européenne « , confirme Ivan Vejvoda, directeur de la Fondation balkanique pour la démocratie. A condition que les Vingt-Cinq puissent tenir leur promesse. Or, réunis à Salzbourg le 11 mars – le jour de la mort de Milosevic – les ministres des Affaires étrangères de l’Union ont lié l’avenir des Balkans au nécessaire » débat sur l’élargissement » et souligné que tout dépendra de » la capacité d’absorption » de l’Europeà l
Jean-Michel Demetz
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