Aux racines du mal

Marianne Payot Journaliste

Mais qu’est-ce qui a bien pu rendre Hitler antisémite ? Mêlant histoire et fiction, Antoine Billot livre sa version

Le Désarroi de l’élève Wittgenstein, par Antoine Billot. Gallimard, 209 p.

Il a une bibliographie à n’en plus finir, émaillée de titres étonnants, qui traitent du partage de la croyance, de convexité floue, de théorie des choix discrets… Docteur ès sciences économiques, professeur à Paris II, Antoine Billot, la quarantaine, est une grosse pointure dans son domaine. Qui s’aventure aujourd’hui, avec bonheur, dans celui de la littérature la plus exigeante.

Nous sommes en 1951. Nathan, 25 ans, fils de déporté, est contacté par un ami de son père, Abraham Lutz, grand spécialiste de la théorie mathématique des jeux et tête pensante du groupe Häftling. Bras clandestin de la Jewish Organization for Strategic Studies (Joss), ce dernier s’est fixé l’objectif fou de dresser l’inventaire complet de tous les bourreaux de l’Holocauste, d’organiser la mémoire totale de l’indicible. Chaque coupable doit avoir sa fiche, du simple gardien de camp au  » jeune juif  » cité par Hitler dans Mein Kampf. C’est ici qu’entrent en jeu Ludwig Wittgenstein et Nathan, missionné pour remplir la fiche du célèbre logicien et philosophe britannique d’origine autrichienne. Car le  » jeune juif  » rencontré à la Realschule de Linz, en 1904, est bien Ludwig, l’adolescent de 15 ans envoyé par son père, magnat de l’acier, s’endurcir loin du palais de Vienne. C’est muni d’une photo de classe et de recommandations trafiquées que Nathan débarque à Cambridge. Sa mission ? Recueillir les confessions d’un Wittgenstein mourant, qui aurait trahi le jeune Adolf, son camarade de l’époque, suscité son antisémitisme et serait, ainsi, responsable de millions de morts. Bref, il lui faut inverser la dernière phrase du Tractatus logico-philosophicus :  » Ce qu’on ne peut pas dire, il faut le taire.  »

Au terme d’une quête palpitante, digne des meilleurs films noirs, Nathan arrivera à ses fins û ou presque. A l’instar d’un maître en écriture, le néophyte Antoine Billot nous plonge dans une atmosphère à la John le Carré où les jeux de l’esprit et de la logique forment un puzzle des plus captivants. A tel point que le lecteur ne distingue plus le vrai du faux, les faits avérés de la fiction. Question de probabilités non additives, dirait notre professeur…

Marianne Payot

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