A son palmarès de directeur d’équipe: huit titres mondiaux sur route, trente grandes classiques et 76 étapes du Tour de France. © jelle vermeesch

Aux origines de Patrick Lefevere, ténor du peloton

Depuis plus de vingt ans, Patrick Lefevere est l’un des rois du printemps cycliste. Retour aux sources du tempérament bouillant du patron de Soudal Quick Step.

Un jour, Patrick Lefevere a parlé du «hangar à charbon». Une pièce sombre sans fenêtre où, enfant, il était enfermé quand il faisait une bêtise. Il était souvent puni par sa mère, Esther, qui ne connaissait qu’un seul langage: celui des coups. Son père, Roger, était plus indulgent: il autorisait son fils à quitter le hangar et le félicitait quand il avait de bonnes notes. Une éducation ambivalente dont l’enfant de Rumbeke, en Flandre-Occidentale, garde les traces. Et qui se reflète dans la manière dont il gère ses équipes: sévère, mais juste. Patrick Lefevere apprécie l’ambiance familiale mais ne relâche jamais la pression. Surtout lorsqu’il estime qu’un coureur ne preste pas à la hauteur de son salaire. Même après une victoire, si le plan tactique n’a pas été respecté, il n’hésite pas à pointer les erreurs.

Sa méthode: pas de salaire mirobolant, mais des primes de rendement élevées.

Cela ne l’empêche pas de se montrer humain. On le lit dans les réactions des coureurs qui ont quitté Quick-Step parce qu’ils étaient mieux rémunérés ailleurs. Enric Mas, Elia Viviani, Niki Terpstra, tous ont exprimé leur gratitude envers Lefevere. C’est sa façon de se faire respecter. Comme un père exigeant mais aimant, qui met un point d’honneur à prendre soin des siens. Il a agi ainsi avec Fabio Jakobsen, après sa très grave chute au Tour de Pologne en 2020. Alors que le sprinteur néerlandais n’était pas certain de retrouver son niveau, son contrat a été prolongé aux mêmes conditions. C’est aussi pourquoi il a continué à soutenir pendant longtemps le regretté Frank Vandenbroucke ou réintégré Mark Cavendish à la fin de l’année 2020, alors que plus personne ne croyait en lui.

La faillite du père

Evénement crucial de la vie de Patrick Lefevere: la faillite de la casse automobile paternelle. Les huissiers ont tout saisi, y compris les 30 000 francs belges (750 euros) qu’il avait économisés à l’âge de 16 ans. Le père a même fait un séjour à la prison d’Ypres. Patrick a dû enfourcher son vélo pour aller lui rendre visite au parloir. Une expérience traumatisante qui lui a appris une bonne leçon: bien gérer son argent.

Jeune coureur, il se concentrait sur l’aspect financier. Il déposait immédiatement son pécule à la banque, rêvant d’une villa qu’Eddy Merckx possédait à Tervuren. L’habitant de Rumbeke n’a jamais jeté l’argent par les fenêtres. Sa méthode est bien connue: pas de salaire mirobolant, mais des primes de rendement élevées. Une méthode supplémentaire consiste à laisser partir ses meilleurs coureurs (plus âgés) lorsque leurs exigences salariales deviennent trop importantes. De Marcel Kittel à Philippe Gilbert, les exemples sont légion.

Le 9 juin 1979, à 24 ans, Patrick Lefevere dispute sa dernière course pro. Trois jours plus tard, il se trouve déjà dans la voiture de l’équipe Marc Zeepcentrale comme directeur d’équipe adjoint. Au début, le comptable diplômé doit aussi s’occuper des finances. La saison suivante, il devient le seul directeur sportif.

Au cours de ces premières années, il a pu constater l’importance cruciale d’un encadrement de premier ordre. Plus tard, il en a fait sa priorité. Il ne veut que des personnes loyales qui correspondent à sa philosophie. Si un mécanicien ou un soigneur quitte l’équipe, il considère son départ comme une défaite personnelle. Nombre de ses collaborateurs sont au service de l’équipe depuis 2012, voire avant. Et plusieurs de ses anciens coureurs sont ensuite devenus directeurs d’équipe, comme Wilfried Peeters, Davide Bramati ou Tom Steels.

Tous sont imprégnés de l’esprit «vincere insieme» (gagner ensemble) que Lefevere distillait déjà dans les années 1990 au sein des équipes GB-MG et Mapei, lorsqu’il parvenait à mélanger Flamands et Italiens. Trente ans plus tard, cet esprit est inscrit dans la philosophie de son équipe, surnommée «The Wolfpack». Une meute de loups où le collectif est primordial. Sa plus belle victoire en tant que manager? Le premier titre mondial du contre-la-montre par équipes à Valkenburg en 2012. Même si le sentiment éprouvé lorsqu’il a remporté sa première course pro à La Panne à l’âge de 21 ans, reste, selon lui, inégalé.

Le décès de l’ami d’enfance

Lorsque Patrick Lefevere était encore coureur, il s’entraînait avec son meilleur ami, Johny De Blaere, qu’il connaissait depuis la maternelle. Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup de téléphone inattendu du père De Blaere: Johny était décédé, à 21 ans à peine, d’une rupture d’anévrisme de l’aorte. Un coup dur qu’il a longtemps porté en lui et qui a même mené, en partie, à la fin de sa carrière. Lefevere n’osait plus se donner à fond, surtout lorsqu’il hyperventilait.

Alors qu’il était auparavant un coureur impétueux, il a brusquement changé: il s’est promis que plus jamais, il ne s’énerverait. Même lorsque la situation semble désespérée, il reste optimiste. Plus encore depuis le 21 septembre 2000, quand une tumeur du pancréas lui fut diagnostiquée. Patrick Lefevere a eu de la chance: l’opération s’est parfaitement déroulée. Depuis, sa devise est: «Aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie.» Après chaque victoire, il se tourne déjà vers la suivante: «Parce que c’est la plus belle.» C’est aussi la raison pour laquelle il a toujours repoussé sa retraite. Même à 68 ans, maintenant qu’il est assuré d’un nouveau sponsoring jusqu’en 2028 avec Soudal Quick-Step, et avec une victoire sur le Tour de France pour Remco Evenepoel comme défi ultime.

Patrick Lefevere s’est souvent demandé: et après la course? Il rêve d’un voyage autour du monde avec, pour destination finale, Tahiti. Enfant, il était fasciné par le film Les Révoltés du Bounty. Mais il se demande si, une fois rentré chez lui, il retrouvera la motivation. Tout comme les coureurs attendent avec impatience une course, Lefevere attend le printemps, puis le Tour de France. Des périodes où il est invariablement au taquet car, dit-il, «dans ma tête, je suis encore un coureur».

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