Bruno Dayez, avocat pénaliste. © THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

 » Aucun juré ne peut fournir le moindre gage de sa compétence « 

Hypermédiatisé depuis qu’il défend Marc Dutroux, l’avocat pénaliste Bruno Dayez est, depuis toujours, un farouche opposant au jury populaire qui n’est, pour lui, qu’une fiction. Procès des attentats ou pas.

Le procès  » attentats  » prévu en 2021 : une opportunité pour supprimer le jury populaire ? Le procès Nemmouche n’a-t-il pas démontré qu’une cour d’assises pouvait très bien examiner un dossier de terrorisme ?

Le propre des  » mégaprocès  » est de mettre en évidence certains des défauts de la cour d’assises, tels que leur lenteur, leur coût et la difficulté de leur organisation. Ces arguments d’ordre pratique et budgétaire ne sont cependant pas l’essentiel, car les principaux défauts de l’institution tiennent aux caractéristiques même d’un jury populaire. Quant au procès Nemmouche, à dire vrai, son issue était dépourvue de tout véritable suspense, tant sur la culpabilité de l’accusé que sur la peine. On n’osera jamais l’affirmer, mais un très grand nombre de procès criminels sont à peu près joués d’avance, sauf sur le quantum de la peine.

Supprimer le jury populaire, ne serait-ce pas couper le dernier lien entre les citoyens et le pouvoir judiciaire ?

Cet argument, lié au fameux  » trait d’union  » entre la justice et l’opinion publique, me donne personnellement de l’urticaire. Les procès d’assises ne sont absolument pas représentatifs de notre système de justice pénale, lequel suscite bien peu de curiosité de la part du commun et bien moins d’intérêt qu’il ne le devrait. Il s’agit d’une forme de justice sensationnaliste à laquelle le public s’intéresse en raison de son caractère spectaculaire et souvent scandaleux, ce qui assimile la cour d’assises à ce que j’ai déjà appelé une  » foire aux monstres « .

Pour autant, une bonne partie de la population reste favorable au jury populaire…

L’opinion demeure indéfectiblement favorable au jury populaire pour des raisons qui n’ont en vérité rien de rationnel et qui tiennent quasiment de l’affectif. On est dans la nostalgie d’une forme de justice qui n’en est que la représentation idéalisée, une sorte d’image d’Epinal. Mais, et c’est paradoxal, le jour venu, personne ou presque ne souhaite être tiré au sort pour siéger dans un jury. A chaque session d’assises, on ne compte pas le nombre d’absents, de dispensés, de réfractaires… Et cela se conçoit aisément, car le quidam n’a pas vocation naturelle à se voir confier ce qui en fait est une basse oeuvre : condamner son semblable.

Quels sont, à vos yeux, les principaux défauts du jury populaire ?

Ils tiennent à l’institution elle-même. Le jury  » populaire  » n’est en réalité qu’une fiction, basée sur sa prétendue représentativité du corps social dans son ensemble. C’est parce que ses douze membres tirés au sort sont censés représenter la Nation que, jusqu’il y a quelques années, ses arrêts ne devaient pas être motivés. On était jugé par  » oui  » ou par  » non « , la vérité devenant une question de majorité plutôt que de preuves. C’est pour la même raison que ses arrêts ne sont toujours pas susceptibles d’appel. Les jurés sont par ailleurs des juges occasionnels et apprentis : on ne peut avoir aucune garantie quelconque de leur moindre aptitude à juger. Le pouvoir d’en récuser un certain nombre au moment de constituer le jury démontre qu’on pourrait les récuser tous si notre droit l’y autorisait, car aucun ne peut fournir le moindre gage de sa compétence. Confier le soin de juger les affaires les plus graves à des juges sans contrôle est une aberration.

Les politiques sont d’une flagornerie à l’égard de l’opinion qui a peu d’équivalents.

Sans contrôle ? Mais quid du contrôle par les trois magistrats professionnels qui siègent en cour d’assises et assistent les jurés ?

Ils ne participent pas à la décision de culpabilité. Ils ne font qu’habiller a posteriori une décision qu’ils n’ont pas prise. Le fait qu’un juge professionnel doive livrer un raisonnement en droit et en fait donne une certaine garantie, même relative, de bien juger. Le double degré de juridiction est aussi un moyen de contrôle.

La suppression du jury populaire est un tabou politique. Comment l’expliquez-vous ?

En matière de justice et concernant le jury populaire précisément, les politiques sont d’une couardise et d’une flagornerie à l’égard de l’opinion qui a peu d’équivalents. Comme la majorité du public reste sentimentalement attachée au jury, pourquoi prendre le risque de lui déplaire ? Comme toute réforme progressiste de la justice pénale se heurte d’emblée à l’hostilité de l’opinion, aucun ministre ni parlementaire ne va s’aventurer à en proposer. Un bel exemple à ce sujet tient à l’abolition des peines perpétuelles. Les jurés en prononcent à tour de bras. Puisqu’il plaît tellement au public que les criminels reçoivent  » perpète « , on ne va pas non plus prendre son contre-pied pour le bien de quelques  » gibiers de potence « .

Si les crimes relevant des assises étaient confiés à des magistrats professionnels, ne prononceraient-ils pas aussi des peines à perpétuité à tour de bras ?

C’est possible. Il se trouve toujours des juges professionnels qui sont d’une répressivité sans limite. Or, un juge est censé prendre des décisions parfois impopulaires, car la justice devrait être un frein à la vengeance privée. Malheureusement, on n’éduque pas les juges à la philosophie au cours de leur formation.

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