Au revoir la molécule, bonjour le produit !
La cuisine moléculaire est-elle sur le point de tirer sa révérence ? Nombreux sont les critiques et les trendsetters qui le pensent… en plébiscitant déjà le » farm to table « .
Caviar de melon, billes aux saveurs de pastis, perles de wasabi, raviolis en peau de lait, spaghettis de parmesan, écume d’eau de mer sur huître meringuée, fraises à l’huile d’olive et shampoing citronà Applaudis hier, ces intitulés vont-ils bientôt apparaître comme le comble du ridicule et de la prétention ? Exit, les fous du labo et leurs drôles de seringues ? Pour l’observateur attentif, tout se passe comme si la cuisine moléculaire se rangeait des éprouvettes. Après avoir été porté au pinacle pendant vingt ans, il apparaît que l’heure soit désormais à la critique de ce mouvement qui restera toutefois dans les annales pour avoir mis de la rigueur scientifique là où régnait empirisme lent et tradition pesante.
La rumeur enfle aux quatre coins du globe qui voudrait qu’une nouvelle page de l’histoire de la gastronomie se tourne. Spécialistes de la chose gourmande, des chefs rebelles plantent couteaux et fourchettes dans le dos de la cuisine moléculaire. Il y a un an déjà, Christophe Laurent, professeur à la fameuse école hôtelière de Lausanne, s’exprimait dans le quotidien Le Matin (1). Ce spécialiste des arts de la table y tenait un discours qui relevait de l’oraison funèbre : » La cuisine moléculaire est en phase descendante. L’effet de surprise a disparu. (à) Trop de moléculaire a tué le moléculaire ! De tendance, la cuisine moléculaire est devenue mode, avec ce côté éphémère. Elle perdurera chez ceux qui en ont emprunté des bribes, mais obligera les spécialistes du genre à se reconvertir. Par contre, elle aura eu pour vertu de sortir les mets de leurs assiettes ennuyeuses et de stimuler la créativité de tous les chefs. »
Même son de cloche à Paris où Alexandre Cammas, créateur du Fooding, n’hésite pas à déclarer : » Toute chose est intéressante quand elle est nouvelle et qu’elle fait sens. La cuisine de Ferran Adrià, par exemple, répond à ce critère, puisqu’il est le premier homme à avoir marché sur la lune moléculaire en quelque sorteà En revanche, tous les chefs qui ont fait du copier-coller leur spécialité me semblent sans intérêt. Il n’y a chez eux aucune dimension de création. Quand on voit des chefs perdus dans des campagnes profondes, servir à table des seringues de jus pour être dans le coup, ça donne envie de se précipiter dans la première auberge sincère et authentiquement intéressante. «
Si personne ne dénie à Hervé Thys – le physico-chimiste français pionnier de la gastronomie moléculaire – d’avoir contribué à améliorer les techniques culinaires en révélant la cuisson parfaite d’un £uf ou en prouvant qu’il ne sert à rien de saler l’eau de cuisson des pommes de terre, certains lui reprochent aujourd’hui d’avoir engendré une dérive gastronomique. C’est le cas des critiques Edmond Neirinck et Jean-Pierre Poulain qui, dans leur Histoire de la Cuisine et des Cuisiniers (2), pointent qu’avec la cuisine moléculaire l’expérience gustative prime sur l’acte de manger. Pour les deux spécialistes, ce phénomène déboucherait sur une perte du sens symbolique d’un repas. Soit un oubli d’une dimension anthropologique fondamentale qui aurait pour corrélat désastreux une déshumanisation de la nourriture.
Se pose alors la question de savoir ce qui attend l’amateur de bonne chère. Comme souvent, la nouveauté naît dans la redécouverte ! Et la vraie nouveauté aujourd’hui, pour ne pas écrire la rupture, c’est dans les circuits courts, les produits locaux, de qualité, respectés, et les savoir-faire artisanaux qu’il faut aller la chercher. A suivre ? Le » farm to table « . Ce concept, reliant étroitement la créativité d’un restaurateur avec les produits et les fournisseurs qui l’entourent, s’impose déjà à New Yorkà Comme un must.
(1) La cuisine moléculaire a-t-elle vécu ?, Le Matin du 8 novembre 2008. (2) Histoire de la Cuisine et des Cuisiniers, par Edmond Neirinck et Jean-Pierre Poulain, éditions LT Jacques Lanore.
Michel Verlinden
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