Assiette anglaise

Marianne Payot Journaliste

Pour un Anglais vivant en France, brocarder les coutumes des autochtones est presque devenu un exercice obligé. Ça tombe bien : l’édition en raffole

God Save la France, par Stephen Clarke. Trad. de l’anglais par Léon Mercadet. NiL, 360 p. Un bon cru, par Peter Mayle. Trad. de l’anglais par Jean Rosenthal. NiL, 286 p. Les Raisins du bonheur. Une Anglaise dans ses vignes, par Patricia Atkinson. Trad. de l’anglais par Béatrice Vierne. Rocher/Anatolia, 360 p.

Le drame, pour un Anglais qui foule le sol de France, c’est d’être, bientôt, séduit par ses autochtones. Voire  » retourné « . Un phénomène fréquent, plutôt mal perçu outre-Manche, surtout en ces temps de rivalités franco-anglaises aiguës. Référendum, contribution au budget de l’Union européenne, dernier sprint Paris-Londres pour l’obtention des JO de 2012 : cent un ans après l’Entente cordiale, le combat continue sur tous les fronts, la moindre baisse de régime politique, économique, culturelle étant impitoyablement sanctionnée par l' » ami adverse « .

Bref, lorsque, par malheur, le Britannique se complaît dans sa nouvelle vie française, il se doit de se faire pardonner. En brocardant les Frenchies, leurs drôles de coutumes et leurs travers. La mise en scène est souvent la même : le gentil Anglais qui vient de débarquer en France observe, goguenard ou (et) éberlué, le spectacle. Que la main soit lourde ou légère, les rosbifs en raffolent, tout comme les Froggies et l’édition en général.

On se souvient de Peter Mayle et de son Année en Provence, publié en 1993, vendu à 260 000 exemplaires en France et emportant û toutes éditions confondues û l’enthousiasme de 2 millions de Britanniques et de 1 million d’Américains. Un filon porteur, alimenté depuis lors par neuf récits et romans inégaux, mais dont le plus récent, Un bon cru, porte bien son nom. Parallèlement, le même éditeur, NiL éditions, sort God Save la France, d’un certain Stephen Clarke, installé à Paris depuis dix ans. Au regard du titre original, A Year in the Merde, la parenté est flagrante. Mais le quadragénaire journaliste n’a pas eu la tâche facile. Au début de 2004, livre broché sous le bras, il fait du porte-à-porte, lance un site Internet avant de trouver un éditeur, grâce, notamment, à la bonne fée Susanna Lea, ancienne responsable des droits internationaux chez Robert Laffont et NiL éditions, désormais agent d’auteurs et véritable passerelle vers la Manche. 100 000 exemplaires écoulés au pays de Blair, 30 000 ici-bas… la recette fonctionne toujours.

Soyons francs, son roman alterne anecdotes croustillantes et charges grossières, observations fines et énormes ficelles. Pourtant, même ces dernières, qui se liront en creux, se révèlent fort édifiantes sur la perception du peuple gaulois par l’Anglais de souche, incarné ici par Paul West, jeune cadre londonien tout juste recruté par une entreprise parisienne afin de développer un nouveau concept de salon de thé. L’immersion dans la vie de bureau donne lieu à des étonnements sans fin : la réceptionniste ronchon qui rabroue le visiteur, les centaines de bises données en ce début de septembre entre employés organisant in petto leurs vacances de la Toussaint, le sabir épouvantable de ses collègues dès qu’ils s’essaient à la langue de Shakespeare, la longueur û et l’inefficacité û des réunions…

Hors les murs, le bilan n’est guère plus reluisant : du commerçant peu coopératif devant l’étranger balbutiant aux arcanes de l’administration, de la recherche éperdue d’un appartement à l’arnaque à la maison de campagne, Paul West médite cette  » importante leçon parisienne : ne pas s’efforcer de plaire aux gens « . Obnubilé par les crottes de chien, qui souillent ses chaussures dernier cri, le personnage de Stephen Clarke l’est aussi par la propension des travailleurs à se mettre en grève : serveurs, balayeurs, agents de la RATP, employés d’EDF… jusqu’aux pharmaciens et journalistes, il les aura tous vus, en l’espace d’une petite année, jouer à cette  » forme d’art folklorique, la grève pour la grève « .

Mais il arrive que l’Anglais soit fair-play, melon bas devant les atouts de la Ville lumière. A ce chapitre, on citera le métro (plus rapide, moins odorant, plus vaste que le tube de Londres), les femmes û le clone de Hugh Grant en fait grand cas û et la nourriture. Une constante, d’ailleurs, chez les scrutateurs anglo-saxons, que cette appétence pour les produits et mets, voire les fromages. Tout comme le héros de Stephen Clarke, celui de Peter Mayle s’enflamme en effet pour l’art hexagonal de la table et certains de ses exotismes, qui vont de la vinaigrette à la boulangerie,  » seul endroit au monde où les Français consentent à rester en rang « , selon Clarke. Autre trait de caractère relevé par les deux auteurs, la conduite plus que nerveuse,  » à la limite de la sécurité « , des automobilistes et, plus bizarrement, l’habitude permanente de nos concitoyens à hausser les épaules. Un véritable sport national, à les en croire, qui signifierait tout à la fois  » Je ne sais pas « ,  » Ce n’est pas mon problème  » et  » Laissez-moi tranquille « .

Nul doute que Peter Mayle, le plus provençal des Britanniques, use depuis longtemps du fameux haussement d’épaules. Son jeune héros, Max Skinner, la trentaine brillante, n’est pas loin de l’imiter, lorsque le patron de sa société financière londonienne le licencie, sans coup férir, le jour même où un notaire du Luberon lui apprend qu’il est l’unique légataire d’un oncle propriétaire d’une bastide et de quelque 20 hectares de vignes. Le voilà à Saint-Pons, verre de Ricard à la main, sous le charme de toute la gent féminine du coin. En vieux briscard, Peter Mayle ne fait plus jouer à son héros principal le rôle de l’étranger abasourdi. C’est une Américaine, parfaite Californienne aux dents blanches, qui est ici chargée de véhiculer les idées reçues sur les indigènes û  » parlant à un rythme de mitraillette, obsédés par leur estomac, empestant l’ail, perpétuellement arrogants…  » û l’ex-golden boy de Londres lui portant la contradiction en cette année délicate de différend franco-anglo-saxon sur le dossier irakien. Ce duo attachant va devoir dénouer les fils d’une belle escroquerie viticole, fondée sur la vente à de riches Asiatiques d’un vin de pays déguisé en grand cru bordelais.

C’est un délicieux saussignac que Patricia Atkinson vend, elle, sur la rive gauche de la Dordogne, dans son clos d’Yvigne. Au terme d’un difficile apprentissage relaté dans Les Raisins du bonheur (qui s’est vendu à 100 000 exemplaires en Grande-Bretagne), la frêle et blonde Anglaise s’est transformée en vigneronne émérite. Pourtant, quand elle acquiert sa maison de Gageac, à la fin de 1990, elle ne connaît ni le français ni la vigne. Premières méprises langagières, premières vendanges douloureuses… rien ne saurait entamer l’enthousiasme débordant de la néophyte (pour ses voisins, les paysages, la gastronomie, etc.), qui va bientôt £uvrer, seule, à la bonne santé de ses plants. Une épreuve harassante, décrite avec une telle minutie que le lecteur sort, lui aussi, éreinté de ces travaux d’Hercule. l

Marianne Payot

ôLeçon parisienne : ne pas s’efforcer de plaire aux gens »

La boulangerie, ôseul endroit au monde où les Français restent en rang »

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