Arsenal de Cynthia Zaven (2018)

C’est la première oeuvre sur laquelle « tombe », le mot n’est pas innocent, le visiteur qui découvre How Will it End?, la nouvelle exposition de la Fondation Boghossian cocuratée par Alicia Knock, conservatrice au Centre Pompidou, et Louma Salamé, directrice de la Villa Empain. A dire vrai, ce piano démonté qui gît sur une sorte de dalle funéraire s’étale comme un spectacle désolant. Il est la métaphore d’une ville, Beyrouth, et d’un pays tout entier, le Liban, à l’agonie. L’instrument de musique en question aligne ses pièces démontées à la façon d’une leçon d’anatomie obscène de la douleur.

Le grand corps musical malade et disloqué ne produit forcément plus aucun son, réduit au silence qu’il est. Plus de notes, plus l’espoir d’entendre la moindre harmonie. On doit cette oeuvre à la Libanaise Cynthia Zaven (1970) qui est compositrice avant d’être plasticienne, un détail qui dit la portée de cataclysme intime d’Arsenal et dont on prend la pleine mesure en ayant en tête l’effroyable explosion du 4 août 2020, dans le port de Beyrouth. « Nul ne pourra jamais dire avec quelle soudaine brutalité s’effacent la vie et la matérialité de nos corps à l’endroit précis où 2 750 tonnes de matériaux explosifs explosent », a écrit à ce propos l’écrivain Charif Majdalani dans Beyrouth 2020, Journal d’un effondrement dans lequel il enfonce le clou d’un peuple devenu mutique face au drame. Heureusement, et c’est tout le propos du parcours au sein duquel s’inscrit la pièce de Cynthia Zaven: couleurs, images en mouvement et agencements sont là pour prendre le relais de la parole. Qu’il s’agisse d’Etel Adnan, de Randa Mirza et Lara Tabet qui travaillent sous le pseudonyme « Jeanne et Moreau », ou encore de Mounira Al Solh et de bien d’autres, la résistance s’organise, à dire vrai elle s’est organisée depuis aussi longtemps qu’a été amorcée la débâcle, pour que ce pays merveilleux puisse un jour relever la tête.