Armée des ombres
C’est un récit presque autobiographique. Presque. Car si la création de Mélanie Rullier, Les Murmures de l’ombre, s’inspire de son histoire familiale, elle se veut surtout un cri face à la montée des nationalismes.
Nous avons rendez-vous le 26 septembre. Les élections italiennes ont été remportées par un parti d’extrême droite, encore. «J’ai peur, nous glisse Mélanie Rullier. Très peur. Leur discours se normalise. Quand Macron dit, en résumé, que la France a un système avantageux pour les migrants et les étrangers, qu’il faut serrer la vis, j’entends une légitimation des idées d’extrême droite.» La tendance nationaliste, elle la connaît. Elle, ado revendicatrice, de toutes les manifs, comédienne et artiste aux propos engagés, apprend, en 2000, que son grand-père appartenait aux Groupes mobiles de réserve (GMR), des unités para- militaires du gouvernement de Vichy, pions essentiels à la chasse aux juifs et résistants. Douche froide. Pour autant, elle n’écrit pas directement sur le sujet. Ce n’est que poussée par l’urgence face à la montée des extrêmes, dans une Europe postattentats, qu’elle réalise qu’elle le doit.
La pièce doit frapper fort, le sujet l’exige.
Corps de texte
Débute un travail documentaire, avec Adeline Rosenstein, à Océan Nord. Expérience riche mais «le documentaire n’est pas mon matériau d’expression. Mon média, c’est la fiction», souligne-t-elle. Une fiction qu’elle écrira ensuite, nourrie de lectures – Illska, de Eirikur Örn Norddahl, Enfant de salaud, de Sorj Chalandon, les ouvrages d’Anaïs Voy-Gillis, Chantal Mouffe… Ce sera l’histoire d’Agnès, quadragénaire qui lui ressemble, puisqu’elle a appris sur le tard que son grand-père était collabo. Un grand-père tyrannique qui a reproduit les racines du nationalisme identitaire dans la cellule familiale. Au début du spectacle, Agnès rencontre Arnor. Rencontre ambivalente qui ranime les fantômes du passé, bruits de bottes trop longtemps cachés. Dans ces Murmures de l’ombre (1) se confrontent alors le présent d’Agnès, la découverte du passé collabo de son grand-père et l’éducation que celui-ci a donné à ses enfants. Trois temporalités, et plusieurs fils de narration, comme autant de questions: est-on condamné à reproduire? , que fait-on des errements et violences du passé? , où est la mémoire quand les choses sont tues?
Sons et lumière
En scène, six comédiens qui sont aussi cocréateurs. Car si le travail documentaire et le terreau narratif sont le fait de Mélanie, la pièce s’est construite en impro. Mélanie la réécrit donc, avec l’aval de ces derniers. Ce 26 septembre, les choses n’étaient pas encore définitivement calées. «La pièce doit frapper fort, le sujet l’exige. On y est presque, mais on doit encore resserrer, travailler les lumières.» Qui sont essentielles, sur un décor simple – un meuble, des fauteuils sur roulettes, une table. Il évoque la maison du grand-père, à vider, comme autant de souvenirs à comprendre, à classer, pour mieux penser. Une pièce dans la pièce, pour réfléchir. Et agir ?
(1) Les Murmures de l’ombre, au Théâtre de la vie, à Bruxelles, du 12 au 22 octobre.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici