Anatomie d’un discours royal

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Albert II manque rarement d’évoquer certains sujets qui lui tiennent à coeur. En voici dix qui reviennent régulièrement depuis 1993.

1. L’ACTUALITÉ

Le roi aime entamer ses allocutions par une référence à un événement récent, dramatique ou heureux. C’est surtout le cas lors de ses discours  » face caméra  » – celui de Noël et de la Fête nationale. Personne n’aurait compris que le souverain passe sous silence l’affaire Dutroux et la Marche blanche, pas plus que l’explosion de Ghislenghien, la tuerie de Liège ou encore le dramatique accident d’autocar de Sierre, en Suisse. Mais il lui arrive également d’évoquer un drame de portée internationale, comme l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995, le 11-Septembre ou encore les attentats commis à Londres en 2005. Cette année, une allusion aux victimes de la fusillade dans une école du Connecticut, qui a fait vingt-six morts, dont vingt enfants, semble aller de soi. De même que la fermeture de Ford Genk, qui laissera plusieurs milliers de travailleurs sur le carreau. Les anniversaires et commémorations, sujets fédérateurs par excellence, sont aussi particulièrement prisés.

2. LA SOLIDARITÉ

Dès son discours inaugural, le 9 août 1993, Albert II s’est attaqué aux  » égoïsmes individuels et collectifs « . Par la suite, cette expression est revenue dans sa bouche à cinq reprises, parfois accompagnée du terme  » matérialisme « . Ses divers plaidoyers en faveur de la cohésion sociale et de la lutte contre la pauvreté s’inscrivent dans cette thématique.

3. LE CHÔMAGE

La lutte pour l’emploi constitue la priorité « , écrivait Albert II dès son premier discours de Noël. A commencer par celui des jeunes, l’un de ses grands leitmotivs. Pour créer de l’emploi,  » l’accroissement du revenu de ceux qui travaillent doit passer à l’arrière-plan « , estime-t-il. Formule qu’il jugera bon de répéter dans trois autres messages publics, en 1996, 1998 et 2006. Mais cette meilleure répartition de l’emploi doit aussi passer par plus de  » flexibilité dans l’organisation du travail « , thème également repris dans trois discours de la fin des années 1990.

4. LA JUSTICE

Pas seulement l’institution, comme lors de sa fameuse table ronde pendant l’affaire Dutroux, mais aussi la justice sociale et le civisme. A plusieurs reprises, le roi s’est ainsi élevé contre la fraude fiscale et sociale. L’insécurité, qui engendre  » la peur « , fait partie également de ses thèmes récurrents. Mais, précise-t-il, sans verser pour autant dans  » la psychose d’insécurité que les extrémistes cherchent à répandre  » (Fête nationale 2002).

5. L’EUROPE

L’un des mots qui reviennent le plus souvent sous sa plume. Presque autant que  » pays  » et plus que  » Belgique « . Monté sur le trône l’année du traité de Maastricht, Albert II s’est toujours présenté comme un farouche défenseur de la construction européenne. Une construction qui, à ses yeux, semble passer davantage par l’approfondissement que par des élargissements. C’est pourquoi il étrille le nationalisme,  » qui n’accepte pour l’édifice européen que la forme intergouvernementale, où chaque Etat garde ses prérogatives  » (discours aux autorités de la nation, 1995). Cette position rejoint celle du roi Baudouin.  » D’eurosceptique au début de son règne, Baudouin était devenu aussi fédéraliste que Guy Verhofstadt aujourd’hui, analyse l’historien Vincent Dujardin. Plus que le pragmatique Herman Van Rompuy [NDLR : le président du Conseil européen].  »

6. BRUXELLES-CAPITALE

Européiste convaincu, le roi se réjouit fatalement de la position de Bruxelles comme capitale de l’Union. Une position  » pas définitive pour autant  » que pourrait compromettre un  » séparatisme néfaste et anachronique  » (discours aux autorités du pays, 2006). Son espoir maintes fois répété : que le fédéralisme belge,  » à la croisée des cultures germanique et latine « , constitue le modèle à suivre pour l’Europe entière (Fête nationale 1997).

7. LE MULTICULTURALISME

Peut-on prônerl’Union de 27 cultures au sein de l’Europe sans la défendre dans son pré carré ?  » La diversité bien vécue constitue une richesse pour notre pays « , écrivait-il dès son premier discours de Fête nationale, en 1994. Avec comme corollaire une meilleure connaissance des autres cultures, qui passe par l’apprentissage des langues. Albert II retape constamment sur ce clou. De même, il insiste chaque fois qu’il le peut sur l’importance de la formation, afin d’éviter  » une dualisation de la société  » entre  » ceux qui savent et ceux qui ne savent pas  » (Fête nationale 1996).

8. LA FAMILLE

Le cercle familial occupe une place privilégiée dans les discours du roi, imprégné de valeurs chrétiennes.Même lorsque cette cohésion familiale semble remise en question…Son discours le plus marquant à cet égard reste le message de Noël 1999. Deux mois plus tôt, l’auteur flamand Mario Danneels avait révélé, dans une biographie de la reine Paola, l’existence de Delphine Boël, fille cachée du roi. Albert II, fait inédit jusque-là, a éprouvé le besoin d’aborder cette polémique qui touchait son intimité. Evoquant en quelques mots  » la crise que notre couple a traversée il y a plus de 30 ans « , il a toutefois évité de s’appesantir  » sur ce sujet qui appartient à notre vie privée « .

9. L’IMAGE DE LA BELGIQUE

Premier ambassadeur du pays, le roi ne manque jamais de souligner les succès belges à l’échelon international. A cet égard, l’année 2010 fut des plus fastes : présidence de l’Union européenne, retour d’astronautes belges après six mois dans l’espace, nomination de l’ancien Premier ministre Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen, performances sportives noir-jaune-rouge… Et puis vint la plus longue crise politique que le pays ait jamais connue. Elle donnera au roi, lors de la Fête nationale 2011, l’occasion de livrer son discours le plus marquant. Après le  » droit d’être informé  » et celui  » d’encourager  » était venu le temps  » du droit de mise en garde « . Le nouveau gouvernement, fruit de 541 jours de négociations, lui sera livré pratiquement sous le sapin de Noël. Cette année, la laborieuse confection du budget fédéral devrait donner au roi un motif de réjouissance tout trouvé. Et il pourrait reprendre mot pour mot son texte de janvier 1998 sur la réduction du déficit budgétaire imposée par l’Europe.

10. L’AIDE AU TIERS-MONDE

A commencer par l’Afrique centrale et les anciennes colonies belges. Depuis 1993, les drames humains qui frappent cette région, l’aide à lui apporter aux niveaux tant belge qu’européen, ou encore l’action pacificatrice des soldats belges, reviennent dans pas moins de vingt discours. Près d’un sur trois.

ETTORE RIZZA

En 2011, le nouveau gouvernement lui livre un accord sous le sapin

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