Alexander De Croo, le président prêt à tout

Le chef de file des libéraux flamands n’est pas le seul responsable du blocage actuel. Mais, en deux ans à la tête de l’Open VLD, il a souvent joué un rôle décisif. Pour provoquer la crise ou la prolonger.

Si Alexander De Croo n’était pas devenu président du VLD, la face du pays aurait été changée. Depuis son élection à la tête des libéraux flamands, le 12 décembre 2009, le jeune patron de start-up reconverti en chef de parti n’a pas chômé. A son actif, il compte bien plus d’ultimatums, d’oukases et de coups de tête que de nombreux vétérans de la politique belge. Détaillons son palmarès.

Fin avril 2010, l’ex-Premier ministre Jean-Luc Dehaene, mandaté par le roi pour déminer le dossier BHV, rame pour trouver un accord. Par la voix de Vincent Van Quickenborne, l’Open VLD lance alors une petite bombe : les négociations devront aboutir pour le jeudi 22 avril. Pas question de déroger à la deadline. Sinon ?  » Sinon, il y aura un grave problème « , assure le ministre fédéral de l’Economie. Toujours pas d’accord, le mercredi 21, quand retentissent les douze coups de minuit… On ne le sait pas encore, mais c’est un peu le glas de la Belgique qui sonne à ce moment-là. Le jeudi matin, peu après 9 heures, le bureau politique du parti se réunit à la Chambre. A 10 h 50, sur son compte Twitter, Van Quickenborne rédige ce message lapidaire :  » Alea jacta est.  » Boum ! Le gouvernement fédéral (qui réunit le PS, le CD&V, le CDH, le VLD et le MR) explose aussitôt en vol. A 33 ans, Alexander De Croo vient d’enclencher une machine folle dont on ne sait toujours pas, dix-neuf mois plus tard, où elle s’arrêtera.

A la sortie du Conseil des ministres, le 22 avril 2010, Didier Reynders ne cherche pas à contenir son mépris pour le nouveau leader des libéraux flamands.  » Je condamne l’attitude de l’Open VLD. Visiblement, les gens ont changé à la tête de ce parti et n’ont plus du tout le même sens des responsabilités.  » Didier Reynders ne se trompe pas : avec De Croo, le VLD a changé. Et il n’a pas fini d’en faire voir de toutes les couleurs au reste de la Belgique.

Aux élections de juin 2010, le VLD se ramasse. A peine 13 % des néerlandophones lui donnent leur voix. Durant les interminables pourparlers qui s’ensuivent, les bleus se font étonnamment discrets, laissant la vedette à d’autres (Elio Di Rupo, Bart De Wever, Wouter Beke…). De temps en temps, les amis d’Alexander De Croo remettent toutefois un petit coup de pression, histoire de montrer de quel bois ils se chauffent. Ainsi, en septembre 2010, Van Quickenborne donne le ton, dans une interview au Vif/L’Express.  » Ceux qui pensent qu’on se trouve maintenant à 95 % d’un accord se trompent complètement. Je préviens les francophones : ne sous-estimez pas les efforts qu’il vous reste à fournir !  » A ce moment-là, les négociateurs n’ont pas encore commencé à discuter du budget et des mesures d’économie à réaliser. Mais Van Quickenborne annonce déjà la couleur.  » Je plaide donc pour répartir l’effort de façon suivante : 80 % de réduction des dépenses, 20 % de nouvelles recettes.  » Voilà les socialistes prévenus. La partie sera serrée.

Pour le reste, De Croo et les siens se montrent coopératifs. Si bien que lorsque le formateur Elio Di Rupo présente l’accord sur la réforme de l’Etat, le mardi 11 octobre 2011, beaucoup croient possible la formation du gouvernement pour l’Armistice, voire dès la Toussaint. Il faudra vite déchanter.

Alexander De Croo a extrait de son costume bleu une nouvelle exigence : pas question de gouverner avec les écologistes. Les autres présidents de parti tentent de le raisonner, rien n’y fait. Ecolo et Groen ! sont éjectés des négociations. Ce n’est pas tout. Rejoint sur ce coup-là par le président du MR, Charles Michel, Alexander De Croo somme aussi les Régions de contribuer davantage à l’effort budgétaire. Il obtient en partie gain de cause.

Le 10 novembre, nouveau Scud libéral flamand. Dans un entretien au Belang van Limburg, l’ex-ministre de l’Intérieur Patrick Dewael demande que le gouvernement flamand (composé du CD&V, de la N-VA et du SP.A) soit élargi à l’Open VLD. Le ministre-président Kris Peeters remet l’impudent à sa place :  » Les arguments de l’Open VLD pour monter dans le gouvernement flamand n’ont tout simplement pas de sens.  »

Entre-temps, les discussions sur le budget piétinent. Le lundi 21 novembre, Elio Di Rupo soumet aux six négociateurs un ultime projet d’accord. Il leur demande si, oui ou non, ils sont prêts à poursuivre sur cette base-là. Wouter Beke (CD&V), Laurette Onkelinx (PS), Benoît Lutgen (CDH) et Bruno Tobback (SP.A) expriment certaines réserves. Mais tous répondent par l’affirmative à la question du formateur. Plus ambiguë, la réponse de Charles Michel ressemble à un  » oui, mais « . Alexander De Croo, lui, cale plus nettement encore. Elio Di Rupo claque alors la porte, et s’en va chez le roi démissionner. Nouvelle crise dans la crise.

 » Vous verrez, mon fils va vous étonner « , avait confié au Soir le vénérable Herman De Croo, juste après l’arrivée de son rejeton à la présidence, au terme d’une élection particulièrement serrée. Il ne croyait pas si bien dire.

A l’époque, Alexander De Croo promettait une rupture radicale avec les années Verhof- stadt, un retour à une ligne libérale pure et dure. Cela lui a valu, à la surprise générale, le soutien de 54,9 % des militants. Son rival, Marino Keulen, a dû plier, malgré le soutien de quasi toutes les huiles du VLD. Tant mieux, se sont alors réjouis les francophones, pour qui Keulen faisait figure de bête noire (1). Ce qui est certain, c’est que Marino Keulen, rompu à l’art de la politique, ancien porte-parole de Patrick Dewael, fils spirituel de Guy Verhofstadt, proche de libéraux progressistes comme Bart Tommelein et Sven Gatz, aurait à coup sûr conduit son parti dans une autre direction qu’Alexander De Croo. Avec lui, qui sait si le VLD ne se serait montré plus prévisible, plus raisonnable ?

(1) Ministre des Affaires intérieures au gouvernement flamand, l’homme s’était illustré par son refus de nommer trois bourgmestres francophones de la périphérie.

FRANÇOIS BRABANT

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