Abstraction : Kazimir Malevitch et le suprématisme

Pendant des siècles, l’art traita de thèmes immédiatement reconnaissables. Au début du xxe siècle, une période chahutée voit la naissance de l’abstraction.

C’est Vassili Kandinsky (1866-1944) qui ouvre la voie. Personnalité fascinante, il permet à la peinture de s’affranchir de la réalité visuelle, de se passer de modèle pour n’exalter que sa grammaire : des lignes, des plans, des couleurs. Ainsi libérée de toute référence extérieure, la peinture n’est plus forcément une fenêtre à travers laquelle on peut  » voir  » le monde, elle devient une expérience spirituelle qui invite à la contemplation…

Dans cette brèche s’engouffrent d’autres artistes parmi lesquels Kazimir Malevitch (1878-1935). Au lieu de suivre prudemment le chemin tracé par Kandinsky, Malevitch pousse sa tendance minimaliste à son paroxysme en exaltant des formes épurées. Le dépouillement est radical. Sur un fond monochrome, un carré qui a priori ne signifie rien. Il est. Tout simplement. D’ailleurs, ne cherchez pas à vous aventurer dans toute interprétation symbolique, l’artiste lui-même condamnait cette démarche stérile. Seule importe l’exploration des sentiments du spectateur. Cette suprématie de la sensation dans les arts plastiques – pompeusement baptisée  » suprématisme  » – débute officiellement en 1913 avec un tableau intitulé Carré noir sur fond blanc. Exposée à l’époque dans l’angle dévolu aux peintures religieuses, cette nouvelle icône de l’avant-garde russe -qui annule et efface les précédentes- ouvre la porte d’une nouvelle forme de spiritualité. Véritable point de non-retour, le Carré blanc sur fond blanc (1918) est le geste extrême qui permet à Malevitch de franchir l’ultime étape dans sa quête de l’absolu.

Si cet anticonformisme semble aujourd’hui d’une terrible banalité, il faut reconnaître qu’à l’époque cette prise de risques appelait une dose certaine de témérité. La preuve : bousculant le cours de l’histoire de l’art, la production de Kazimir Malevitch se propage telle une onde de choc auprès du public éclairé. L’artiste – considéré comme subversif – subit les attaques répétées de la presse, perd ses fonctions officielles, se retrouve emprisonné et torturé ! Dès lors, la question prééminente est bien de savoir ce qui a pu amener un artiste, en début de xxe siècle, à prendre un tel contre-pied ? Quelles furent ses motivations profondes ? Une réponse peut se dessiner à partir des facteurs contextuels, souvent ignorés dans l’appréciation de ce  » Ground Zero  » de la peinture. Et pour cause… Cette tentative de faire table rase s’inscrit dans un carrefour de crises et de révolutions. Un tel climat social conduit logiquement les artistes à remettre en cause leurs prédécesseurs, voire à faire le vide pour mieux recommencer.

De Matisse à Malevitch. Les pionniers de l’art moderne du musée de l’Hermitage, musée de l’Hermitage d’Amsterdam, 14, Nieuwe Herengracht, Amsterdam. Jusqu’au 17 septembre 2010. www.hermitage.nl

Kazimir Malevitch et le suprématisme dansla collection Ludwig, musée Ludwig, Heinrich-Böll-Platz, Cologne. Jusqu’au 20 février 2011. www.museenkoeln.de/museum-ludwig

La semaine prochaine

Monochromes et anthropophagies d’Yves Klein.

GWENNAëLLE GRIBAUMONT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire