3. Le psautier culte de Saint Louis

Marianne Payot Journaliste

Manuscrits célèbres, éditions rarissimes, atlas du monde ancien, ouvres enluminées, rouleaux bouddhiques, partitions originales… Le temps d’un été, la Bibliothèque nationale de France ouvre ses coffres pour Le Vif/L’Express

(1) http://mandragore.bnf.fr

C’est un petit ouvrage, magnifique, de 21 centimètres sur 14,5, enfermé à double tour dans un coffre dûment codé. Après une vie aventureuse qui l’a mené jusqu’aux confins de la Russie, il n’a plus bougé û ou presque û de son écrin de la rue de Richelieu, à Paris. Patrimoine d’Etat, et donc inaliénable, le Psautier de Saint Louis figure parmi les joyaux de l’histoire de France comme de l’histoire religieuse.

Non qu’il soit le seul livre liturgique royal rescapé du Moyen Age : il a un  » frère jumeau « , ayant appartenu à Isabelle de France, aujourd’hui préservé à Cambridge, tandis que deux autres psautiers dorment sagement à Chantilly et à l’Arsenal, et que celui dans lequel Saint Louis apprit à lire est conservé à la bibliothèque de Leyde, aux Pays-Bas. Mais, comme le confie Marie-Hélène Tesnière, conservateur en chef du département des manuscrits de la BNF, il est  » l’un des plus émouvants, des plus beaux, des plus luxueux « . Créé dans les années 1258-1270 (sa datation est imprécise), il est intimement lié à la dévotion de Saint Louis. Qui le commanda  » à l’usage de la Sainte-Chapelle « , achevée en 1248 au sein de son palais de la Cité.

C’est là, en effet, au c£ur de Paris, et non pas à Saint-Denis ou à Notre-Dame, que Louis IX (1214-1270) souhaite entreposer les reliques qu’il vient d’acquérir auprès de l’empereur de Constantinople. Aux côtés d’une partie de la croix du Christ, d’un morceau de sa couronne d’épines et d’un petit bout du fer de la lance du soldat romain qui lui perça le côté, il y aura donc un livre de prières : autant d’objets sacrés qui permettront au roi très chrétien de se recueillir. Commande est passée. Vraisemblablement auprès d’un des ateliers laïques û le volume n’est pas signé et n’est mentionné dans aucun livre de comptes û qui fleurissent rue Neuve-Notre-Dame, alors que se développe l’université de Paris.

Il faut au minimum douze mois de travail aux parcheminiers, enlumineurs et copistes (un bon copiste écrit quatre feuillets par jour) pour concevoir l’£uvre, composée de trois parties : un calendrier signalant les fêtes liturgiques propres à la chapelle et à la famille royale ; l’histoire sainte en images ; 150 psaumes en latin tirés de la Bible, divisés en sept chapitres pour les sept jours de la semaine û les clercs devant lire tout le psautier du lundi au dimanche. Pour le roi, les artistes ont fait des miracles : couleurs (bleu, rouge) sublimes, ors éclatants, encadrements gothiques superbes… Les initiales ornées ouvrant les sept sections de psaumes constituent à elles seules de véritables £uvres d’art, avec leurs représentations des armes du roi (fleurs de lys), de sa femme, la reine Marguerite de Provence (pals de Provence), et de sa mère, Blanche de Castille (châteaux de Castille). Omniprésent, aussi, dans les lettrines et les bouts-de-ligne (les  » éditeurs  » d’alors avaient horreur des blancs), David, deuxième roi des Hébreux après Saül, auteur  » présumé  » du psautier.

Le calendrier porte également la marque du roi pieux. Au hasard des pages en vélin, on célèbre la dédicace de la Sainte-Chapelle le 26 avril, la translation des saintes reliques le 30 septembre, l’anniversaire de la mort de la mère du roi le 27 novembre (1252)… Mais ce sont les 78 images pleine page racontant l’Ancien Testament qui enthousiasment l’heureux lecteur. L’arche de Noé, la chute de Sodome et Gomorrhe, le sacrifice d’Isaac, le songe de Jacob, Samson et Dalila, Moïse sauvé des eaux, les plaies d’Egypte, Abraham recevant les tables de la Loi… les tableaux se succèdent, dans une même profusion de feuilles d’or, mais aussi dans une grande sobriété. Où le dessin raffiné, caractéristique de l’époque romane finissante, esquisse les visages, noie la perspective dans un fond doré.

Une fabuleuse bédé, en quelque sorte ! On imagine les enfants de Saint Louis et tous les petits-fils des princes de l’époque écouter le récit des légendes bibliques les yeux rivés sur les enluminures. Combien de regards se penchèrent sur le psautier royal plus de sept siècles durant ? Nul ne le sait. Car, aussi curieux que cela paraisse, on perdit longtemps la trace de ce chef-d’£uvre. Saint Louis l’offrit à son fils, Philippe III, qui dut lui-même le donner à son aîné… puis le voilà entre les mains de la femme de Charles IV Jeanne d’Evreux, qui le concède à son tour, en 1369, à Charles V. Le précieux manuscrit est alors entreposé au donjon de Vincennes, où sont gardés tous les trésors de la Bibliothèque royale, qui font pour la première fois, dans les années 1373-1380, l’objet d’un inventaire. On le retrouve par la suite en possession de Charles VI, et enfin auprès de la fille de ce dernier, Marie de France, religieuse à Poissy.

Nous sommes en 1400. Ensuite ?  » Plus rien, raconte Marie-Hélène Tesnière. C’est le néant. On est alors en pleine guerre de Cent Ans… Sans doute a-t-il été vendu à l’étranger ou a-t-il passé la frontière lors de la Révolution française. Toujours est-il qu’il faut attendre 1818 pour le localiser de nouveau. Il réapparaît effectivement en Russie, propriété du grand-duc Michel, frère de l’empereur. Qui en fait don à Louis XVIII. Ce dernier le met immédiatement en dépôt à la Bibliothèque royale, future Bibliothèque nationale de France.  » Fin du voyage.

Phénomène étonnant, malgré les ans et les multiples allées et venues, le psautier n’a subi aucun outrage apparent. Certes, comme le suggère le conservateur en chef, il est fort possible que des images aient disparu : manque en effet, après Saül, toute l’histoire de David. Mais les 78 tableaux restants sont remarquablement conservés. C’est cette exceptionnelle luminosité des couleurs que les gardiens du temple parisien ont à c£ur de préserver. Pour cela, guère de solution, si ce n’est de tenir l’ouvrage à l’abri de la lumière ; lors de ses rares escapades û l’une en 1968, dans le cadre d’une exposition sur la bibliothèque de Charles V, l’autre en 1996, à l’occasion de la présentation de Tous les savoirs du monde, à Tolbiac û il bénéficie d’un éclairage de 50 lux, afin d’éviter que le parchemin ne se rétracte et que l’or ne se craquelle.

Mais les visiteurs de la rue de Richelieu se consoleront en consultant soit les microfilms, soit le fac-similé en couleurs réalisé il y a trente ans en Autriche. Quant aux autres, ils peuvent tous (même les Russes), depuis deux ans, admirer les merveilleuses scènes de l’Ancien Testament sur le site Internet (1) de la base iconographique de la Bibliothèque nationale. Petit miracle du xxie siècle…

Marianne Payot

Malgré les ans, l’ouvrage n’a subi aucun outrage apparent

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