2015 – L’année de toutes les actions

Où placer vos économies pour espérer un minimum de rendement ? Six experts financiers nous livrent leurs conseils de placement pour les mois à venir, selon différents profils d’investisseur. Tous sont d’accord pour le dire : hors les actions, point de salut. Sinon celui de la tranquillité.

C’est tous les trimestres la même rengaine qui n’étonne plus personne. Les records continuent à se succéder sans susciter beaucoup de réaction. Les derniers chiffres divulgués par la Banque nationale de Belgique ne font que confirmer la tendance : en novembre dernier, l’encours sur les comptes d’épargne s’élevait à 255,2 milliards d’euros. Contre 246,9 milliards un an plus tôt. C’est devenu un mouvement de hausse perpétuel. Chacun sait pourtant pertinemment bien que ces livrets tant chéris par les Belges n’ont jamais rapporté aussi peu. Ces derniers mois, la plupart des établissements bancaires ont encore abaissé leurs taux de base et/ou leurs primes de fidélité. Obtenir plus de 1,5 % de rendement tient du miracle, et encore faut-il immobiliser son argent au moins un an.

A force de se rapprocher dangereusement du zéro, on serait tenté d’imaginer que les rendements finiront forcément par repartir à la hausse. L’espoir fait vivre, mais il risque d’être très vite douché. Les spécialistes ne tablent pas sur une remontée rapide des taux, loin s’en faut.

Le principal taux directeur de la Banque centrale européenne est historiquement bas (0,05 %), son taux de dépôt est carrément négatif depuis 6 mois (-0,2 %) et l’institution vient d’annoncer un vaste programme de rachat d’obligations souveraines à hauteur de 60 milliards d’euros par mois. Tout cela n’incite guère à la remontée des taux interbancaires (donc de prêt à court terme entre les banques) ni, par conséquent, des taux des comptes d’épargne.

Autrement dit : quelle que soit la hauteur de son bas de laine, l’investisseur qui espère voir son argent lui rapporter davantage que des clopinettes devra choisir une autre voie. Des alternatives existent, bien sûr : toute une gamme de produits de placement plus ou moins risqués, plus ou moins rémunérateurs, plus ou moins mobilisateurs en termes de durée d’investissement. Tout dépendra du profil de chacun. Les banquiers le clament haut et fort : il est révolu, le temps où les mêmes produits étaient identiquement proposés à tous les clients, quels que soient leurs objectifs financiers. La personnalisation est devenue leur credo. Quatre critères déterminent désormais l’offre faite par une banque à chacun de ses clients : la connaissance/l’expérience, le degré d’aversion au risque, l’horizon de placement et la situation financière actuelle.

1. Epargne : priorité au bas de laine

N’empêche : le compte d’épargne est un incontournable. Il reste le seul outil capable de stocker votre indispensable bas de laine, l’argent que vous voulez conserver sous la main pour pouvoir faire face à toute situation inattendue. Son épaisseur conseillée oscille généralement entre 3 et 6 mois de salaire net. Tout dépendra de votre train de vie, de la situation familiale, de la composition du ménage, etc.  » C’est ce qui est habituellement préconisé : trois mois si on est en couple, six mois si l’on a des enfants. Je ne sais pas d’où vient cette règle et elle varie forcément. En tout cas, il est très important de prévoir cette épargne de précaution « , souligne Frédéric Andrés, manager personal & private banking chez Triodos.

Le compte d’épargne reste la seule option qui permet un retrait rapide au besoin, tout en offrant une protection des dépôts jusqu’à maximum 100 000 euros. Malgré leurs faibles rendements, les optimistes verront le verre à moitié plein : vu l’inflation nulle, voire négative, les quelques euros rapportés seront nets en poche, et non plus grignotés par une hausse généralisée des prix, comme c’était encore le cas il y a peu.

Et même si l’herbe est coupée court, elle est peut-être plus verte ailleurs.  » Il faut d’abord se demander si l’on a le bon compte, pointe Nicolas Claeys, analyste chez Test-Achats Invest. Certaines banques Internet proposent légèrement mieux que la moyenne. Cela ne signifie pas qu’il faille changer d’établissement – ce qui fait souvent peur -, mais on peut se contenter d’ouvrir un compte ailleurs pour y loger quelques économies.  »

Une fois cette poire pour la soif mise au mieux de côté, la réflexion autour des placements peut débuter. Le Vif/L’Express a interrogé plusieurs experts pour solliciter leurs conseils en la matière, selon trois profils d’investisseur prédéfinis (lire l’encadré ci-dessous).

2. La branche 21, assurance anti-risque

Premier cas de figure : imaginons d’abord un bon père de famille, au sens propre comme au figuré. La bonne trentaine, parent de deux enfants encore jeunes, dont il imagine qu’ils entreprendront plus tard des études supérieures qui ne manqueront pas de coûter cher. Aversion au risque : assez forte ! Pas question de devoir avouer à ses deux têtes blondes dans quelques années qu’elles devront se passer d’université ou de haute école parce que papa (ou maman) s’est montré trop franc avec les deniers du ménage…

A priori, plusieurs options sécurisantes s’offrent à lui. Comme le compte à terme, qui mobilise le montant placé pendant une certaine durée et qui est censé rapporter un intérêt supérieur à celui du compte d’épargne, même si un précompte mobilier de 25 % sera prélevé sur celui-ci. Ou encore le bon de caisse émis par l’une ou l’autre institution financière, qui sera lui aussi frappé par ce même précompte mobilier.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, aucun spécialiste ne pousse ces produits. Leurs rendements sont tellement minces qu’ils ne valent pas la peine d’immobiliser de l’argent pendant une période plus ou moins longue. Mieux vaut alors rester fidèle à l’épargne classique.

Test-Achats recommande plutôt de s’intéresser de près aux assurances-épargne, aussi connues sous le nom d’assurances-vie de la branche 21.  » Cela convient bien à une personne prudente, qui commence lorsque ses enfants sont jeunes, observe Nicolas Claeys. Il y a des frais d’entrée de 2 % et des frais de sortie. La durée recommandée est de cinq à huit ans. Après huit ans, on ne paie plus de précompte mobilier de 25 %. Les rendements sont variables d’une année à l’autre, mais globalement, les performances de certaines assurances-vie sont plutôt bonnes. Par exemple, le fonds garanti Afer Europe, que nous préconisons, a rapporté 3,20 % en 2014, ce qui n’est pas mal. Attention toutefois : il y a d’autres produits beaucoup moins bons dans la branche 21 !  »

Avantage non négligeable : les assurances-vie à rendement garanti de la branche 21 bénéficient, tout comme le compte d’épargne, de la garantie de l’Etat à concurrence de 100 000 euros.

3. Les obligations au compte-gouttes

Le bon père de famille pourra aussi se tourner vers les obligations. La gamme est variée : il y a les bons d’Etat, qui peuvent être émis en euros, en dollars ou en autres devises ; et les obligations d’entreprise, émises par toutes sortes de sociétés. La partie obligataire permet de diminuer la part de risque au sein d’un portefeuille.  » Le problème, c’est que les rendements sont trop bas, analyse Xavier Timmermans, investment strategist chez BNP Paribas Fortis. Par exemple, l’Euro Bund (NDLR : obligation de l’Etat allemand) est à 0,5 % de rendement sur dix ans. Brut ! Sans compter que les frais de transaction vont venir manger un à deux ans de coupons.  »

 » Il est vrai que les rendements ont baissé et que cette partie est difficile à gérer aujourd’hui, confirme Pascale Blondiaux, portfolio manager private banking chez Degroof. Toutefois, il reste des opportunités. Par exemple, nous avons été chercher une petite poche d’obligations en dollars américains et en couronnes norvégiennes, qui semble offrir certaines perspectives.  »

Il est en tout cas déconseillé d’immobiliser sa mise obligataire pour de trop longues durées. Car si les taux remontent (certains l’espèrent fin 2015, voire début 2016, même si personne n’est évidemment devin), le placement risque d’avoir un goût amer.  » Admettons qu’actuellement, une obligation vaut 100 et que le taux est à 2 %, pour une duration de 10. Si le taux monte par la suite à 3 %, je ne pourrai pas revendre à 100, mais à 90, puisque la duration était de 10 « , détaille Pascale Blondiaux. La duration d’une obligation étant la durée de vie moyenne de ses flux financiers pondérée par leur valeur actualisée.

 » On recommande davantage les obligations d’entreprise, enchaîne Xavier Timmermans. Cependant, cela ne peut pas être le coeur du portefeuille. Il faut diversifier, parce qu’il y a toujours une possibilité que les sociétés deviennent insolvables.  » Et d’avancer la piste des obligations convertibles, qui donnent la possibilité au porteur d’être transformées en actions. Une formule hybride, qui combine la sécurité d’une obligation à taux fixe si le contexte boursier n’est pas optimal, et l’occasion de bénéficier d’une éventuelle hausse du cours boursier.

4. La Bourse à pas prudents

Actions : le mot est lâché. Etant donné le contexte (très) faiblement rémunérateur pour les options les plus rassurantes, plusieurs spécialistes guident même les investisseurs les plus frileux vers la Bourse, histoire d’aller chercher davantage de rentabilité. Pas en y sautant à pieds joints, plutôt en y trempant prudemment un orteil.

Comment ? En favorisant un fonds mixte, qui mélange une majorité d’obligations, une pointe d’actions et un brin de liquidités. La prépondérance des premières  » permet de limiter les risques de baisse du portefeuille, explique Marc Danneels, responsable épargne et investissements chez Beobank. La préférence ira vers les fonds d’obligations mondiales afin d’obtenir une flexibilité plus large pour le gestionnaire. Quant au cash, il joue le rôle de tampon et pourra être utilisé en cas d’opportunités de marché.  »

Côté proportions, chacun y va de sa recette. Pour les profils vraiment conservateurs, Beobank propose une répartition 70 % d’obligations, 10 % d’actions et 20 % de liquidités. Chez Triodos, le fonds mixte associe (toujours dans le même ordre) 55 %-42 %-3 %. Chez ING, ce produit est à 75 %-25 % (une fois le cash conservé). Chez BNP Paribas Fortis, la catégorie  » défensive  » se divise comme suit : 57 %-20 % et 23 % de placements alternatifs (recouvrant or, argent, immobilier, assurance-vie de la branche 23 et fonds commun de placement).

A chacun de choisir le plat qui lui convient le mieux, selon son appétit. Malgré tout, le menu qui est offert au  » bon père de famille  » reste cornélien : soit il reste fidèle à ses principes de prudence et accepte que son argent ne lui rapporte pas grand-chose, soit il devient plus aventureux et consent à se frotter à l’incertitude…

5. Spéculation ? Action(s) !

Notre deuxième profil ne s’embarrassera pas de tels dilemmes. Spéculateur dans l’âme, il ne craint pas de jouer avec le feu. Sans enfant, propriétaire de sa maison, il gagne confortablement sa vie, a déjà de quoi mettre de côté par rapport à son salaire mensuel et vient de recevoir une somme rondelette en héritage, dont il a envie de tirer le maximum. Aussi disposé soit-il à prendre des risques, les spécialistes le mettent tous en garde : mieux vaut ne pas se lancer dans les produits que l’on ne connaît et ne comprend pas, sous peine de se brûler les doigts.

 » Il faut se méfier des placements miraculeux, avertit Nicolas Claeys (Test-Achats). Il faut rester humble, et oublier par exemple toutes les propositions de trading en ligne qu’on peut trouver sur le Web. Une étude en France a démontré que la majorité des gens qui s’y essayaient perdaient de l’argent, et pas des petites sommes.  »

Cela posé, le même conseil est unanimement délivré à ce type d’investisseur dit  » dynamique  » dans le jargon bancaire : les actions. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille laisser totalement tomber la partie obligataire, qui continuera malgré tout à sécuriser le portefeuille. Ni le cash, qui pourra éventuellement être mobilisé ultérieurement.  » Pour ce type de client, nous proposons des fonds mixtes constitués de 75 % d’actions et de 25 % d’obligations, puis éventuellement d’autres fonds de placement en actions, décrit Frédéric Vetri, category manager personal banking chez ING. Il est important d’avoir une bonne diversification au niveau des classes d’actifs, de la répartition géographique et sectorielle  » (lire page 32).

La durée est aussi capitale, ajoute-t-on chez Beobank.  » En augmentant son horizon de placement, la personne a l’opportunité d’être plus proactive sur les marchés et au final d’augmenter son niveau de tolérance à la volatilité.  » Chez Triodos, on met en avant deux sicav (société d’investissement à capital variable, soit une entité distincte de l’organisme financier) 100 % actions, l’une étant orientée sur les petites et moyennes capitalisations, l’autre sur des thématiques plus générales.  » Il est préférable de faire un panachage, précise Frédéric Andrés. Par exemple 60-65 % dans les sicav, puis le reste réparti entre du fonds mixte et de l’épargne.  »

Il reste envisageable, pour les plus téméraires, de tout miser en actions, en étant alors conscient de n’avoir plus aucun matelas de sécurité. Ou de constituer eux-mêmes leur éventail d’investissement, sans passer par un fonds déjà formé. Un choix qui nécessitera toutefois beaucoup de temps, d’envie, de suivi.  » Il faut minimum 10 à 15 actions pour bien se diversifier. Mais cela ne s’adresse pas à la majorité des gens, prévient Nicolas Claeys. Pour ceux qui veulent spéculer un peu plus, les fonds restent la meilleure option pour investir en Bourse.  »

Finalement, le maître mot sera la patience. Mieux vaut éviter de paniquer aux moindres soubresauts boursiers. Un tableau retraçant l’évolution de l’indice mondial des actions entre 2005 et 2014, élaboré par Test-Achats (voir infographie ci-dessus), montre bien la volatilité des marchés, avec des résultats en dents de scie. Il démontre également que ceux qui ont gardé leur calme et attendu que la crise de 2008-2009 passe ont tout récupéré, voire même réalisé une belle plus-value.

6. Objectif pension

La patience sera aussi capitale dans le cas du troisième profil type : l’investisseur qui souhaite prendre les devants pour optimiser sa pension. Il dispose encore d’une bonne quinzaine d’années avant de pouvoir classer le mot travail dans le vocabulaire du passé, mais il s’inquiète quant au maintien de son niveau de vie une fois ce cap franchi. Puisque les enfants sont (presque) devenus adultes, puisque son crédit hypothécaire touche à sa fin, il se dit qu’il serait temps de penser sérieusement à faire fructifier son capital en vue de sa retraite, et ainsi compléter ce que lui rapportera le premier pilier (ce qui lui sera versé par l’Etat).

Avant de penser Bourse, le premier réflexe est de s’assurer que les autres piliers soient exploités au maximum, de manière à tirer pleinement parti des avantages fiscaux qui y sont associés. D’abord ceux liés au deuxième pilier, qui recouvre les pensions complémentaires liées à une activité professionnelle. L’assurance-groupe initiée par certaines sociétés pour leurs salariés, la PCLI (pension complémentaire libre pour indépendants) ou l’engagement individuel de pension pour indépendants et chefs d’entreprise. Vient ensuite le troisième pilier : l’épargne volontaire personnelle ou épargne-pension, elle aussi stimulée fiscalement, jusqu’à 940 euros par an (plafond pour les versements en 2014).

Ce n’est qu’une fois ces pistes exploitées qu’il peut être opportun de songer à un éventuel quatrième pilier.  » Il faut d’abord aller chercher les avantages là où ils existent, résume Pascale Blondiaux. Ensuite, on prend le relais avec l’excédent. Cela devient alors du cas par cas. Une personne de 45 ans, dont le salaire lui permet de mettre de l’argent de côté, dispose encore de vingt ans devant elle. Or un cycle boursier correspond à dix ans. On pourrait imaginer dès lors de placer 50 % en actions et 50 % en obligations.  »

Un profil plutôt  » neutre « . Chez BNP Paribas Fortis, cela correspond à une répartition 40-40, plus 20 % en placements alternatifs.  » Sur quinze ou vingt ans, on peut supporter une certaine volatilité, ce qui est à exploiter, poursuit Xavier Timmermans. En tout cas, il ne faut pas regarder l’évolution quotidienne, mensuelle, ni même trimestrielle. Il faut prendre son temps.  » Du côté de Triodos, on préconise aussi du fonds mixte, sous forme d’une souscription mensuelle.  » Quand on peut se le permettre !  » dixit Frédéric Andrés.

Car tous les experts interrogés le soulignent d’un trait épais : un cas n’est pas l’autre. Les recommandations données ne doivent pas être prises au pied de la lettre, mais affinées en fonction des situations personnelles. S’engager sur la voie des placements, c’est un peu comme revêtir un costume sur mesure. Chacun choisira la coupe, la matière, la couleur. Et la qualité nécessaire du tissu pour ne pas risquer d’avoir l’eau dans les caves après quelques lavages.

Un dossier coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Mélanie Geelkens Illustrations : Sonia Klajnberg et Alexandre Dujardin

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