Un lait respectueux de l’environnement ? « Les vaches émettent moins de méthane lorsqu’elles sont nourries avec des restes de bière »

Erik Raspoet Journaliste Knack

Les vaches laitières sont souvent considérées comme de grosses pollueuses. Mais les véritables responsables sont les milliards de bactéries présentes dans leur estomac. Or certaines technologies alimentaires intelligentes pourraient aider à réduire significativement leurs émissions. Grâce à… de la bière.

Selon les données les plus récentes, la Wallonie compte plus d’un million de bovins, pour 1,25 million en Flandre. Ensemble, tous ces ruminants contribuent de manière significative au réchauffement de la planète. Les vaches laitières en particulier, elles qui représentent environ un tiers du cheptel. Une vache laitière en lactation émet 450 grammes de méthane par jour, soit 135 kilos par an. En outre, 35 kilos supplémentaires pénètrent chaque année dans l’atmosphère par le biais du fumier.

Le méthane (CH4) est un gaz à effet de serre plus puissant que le CO2, car il piège plus efficacement le rayonnement thermique. Et le fait que le méthane reste moins longtemps dans l’atmosphère que d’autres gaz à effet de serre n’y change rien: les émissions des troupeaux laitiers sont un problème dont les agriculteurs et l’industrie laitière sont douloureusement conscients. Pas terrible pour leur image.

L’Institut de recherche sur l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO) recherche depuis des années des méthodes pour réduire les émissions. Par exemple, encourager la longévité des vaches laitières est un moyen de réduire les émissions au niveau de l’exploitation. Plus le taux de remplacement est faible, moins il y a de jeunes animaux et moins il y a d’émissions totales.

Toutefois, c’est la limitation des émissions par vache qui fait l’objet de la plus grande attention, en particulier la quantité de méthane libérée lors de la production d’un litre de lait. Les préoccupations et réglementations en matière de climat et d’environnement sont mises en balance avec les considérations économiques. L’ajout de concentrés dans la ration augmente non seulement la productivité, mais aussi les émissions de méthane. D’un autre côté, cette méthode permet de réduire le nombre de vaches nécessaires pour produire la même quantité de lait. C’est précisément dans cette équation que se trouvent les variables permettant de réaliser des gains climatiques.

On parle beaucoup du 3-NOP, un additif mis au point par le groupe chimique néerlandais DSM qui promet une réduction du méthane allant jusqu’à 26 % sans impact sur la production laitière. Cependant, le 3-NOP est coûteux et n’est pas encore largement distribué. La recherche de l’ILVO aborde le problème d’une manière différente. Le remplacement des aliments concentrés traditionnels par une combinaison de drêche de bière (NDRL: sorte de pulpe obtenue suite au brassage) et de farine de colza permet de réduire les émissions de méthane de 8 à 10 %.

Le rumen de la vache comme bioréacteur

« La drêche de bière et la farine de colza, tout comme la pulpe de betterave et la mélasse, sont des flux résiduels issus de processus industriels qui sont traités comme une alternative aux aliments concentrés », explique Nico Peiren, chercheur à l’ILVO. « Dans l’élevage laitier, la ration se compose traditionnellement d’une combinaison de fourrage et de concentrés. L’herbe et le maïs fourrager constituent toujours la base, mais les concentrés apportent l’énergie et les protéines supplémentaires nécessaires au maintien de la production laitière. Le soja et les céréales en sont les principales sources, bien que le maïs soit également utilisé. Plus nous pouvons extraire d’aliments concentrés des flux résiduels, moins nous avons besoin de soja et de céréales. La réduction de l’empreinte alimentaire est estimée à 30 %, ce qui est très important. Si l’on considère uniquement la façon dont le soja est cultivé à l’étranger, les gains environnementaux sont évidents. En outre, il s’agit d’un excellent exemple de modèle circulaire. La drêche est un déchet résiduel du processus de brassage. En les transformant en aliments pour animaux, elles ne sont pas gaspillées et acquièrent même une valeur économique. Les brasseries reçoivent de l’argent pour leurs drêches.

La réduction du méthane vient donc s’ajouter à cela. Le potentiel était connu depuis un certain temps, mais après des années d’expérimentation dans des étables pilotes, l’ILVO a trouvé la clé. Un mélange de drêche de bière et de farine de colza donne les meilleurs résultats, soit une réduction des émissions d’au moins 8 %. Les études portent spécifiquement sur le bétail laitier. Les émissions d’un bovin de boucherie sont deux fois moins importantes, une différence qui s’explique par le fait qu’un tel animal a besoin de moins d’aliments. En effet, la production de lait nécessite beaucoup d’énergie. Le régime alimentaire d’une vache laitière moderne est axé sur la performance maximale ; c’est pour ça qu’elle est souvent comparée avec la nutrition sportive.

Ce ne sont pas les vaches qui émettent du méthane, explique-t-il. Les véritables coupables sont les milliards de bactéries présentes dans le rumen, l’estomac principal de la vache

Nico Peiren

Pour expliquer cette recherche, Nico Peiren nous emmène à la découverte de l’intérieur de la vache. « Ce ne sont pas les vaches qui émettent du méthane, explique-t-il. Les véritables coupables sont les milliards de bactéries présentes dans le rumen, l’estomac principal de la vache. On peut comparer le rumen à un bioréacteur. Grâce à une série de bactéries spécialisées, les vaches peuvent digérer les fibres, contrairement aux non-ruminants tels que les humains. Ce processus libère beaucoup d’hydrogène, ce qui est potentiellement dangereux pour le rumen et donc pour la vache. La nature a trouvé une solution à ce problème : parmi de nombreuses autres bactéries, le rumen abrite des archées, des micro-organismes parfois appelés bactéries primordiales. Ce sont des méthanogènes qui peuvent transformer l’hydrogène en méthane. »

Mais il convient toutefois de dissiper une idée reçue à ce sujet. « 90% des émissions de méthane du bétail sont libérées par la respiration, explique M. Peiren, et non par les pets des vaches comme beaucoup le pensent encore. »

Nutritionniste pour vache

Dans l’exploitation laitière Van der Looven à Nazareth, une entreprise de taille moyenne comptant 220 vaches en lactation, les flux résiduels sont utilisés depuis un certain temps pour l’alimentation du bétail. « L’élaboration des rations est un travail de spécialiste, explique Isabelle Van der Looven, agricultrice. Comme beaucoup d’éleveurs laitiers, nous travaillons avec un nutritionniste qui donne des conseils par vache quant au régime idéal. C’est de la science, ils analysent même l’herbe et le maïs d’ensilage que nous cultivons et que nous ensilons nous-mêmes comme fourrage. Chaque ensilage est différent et la moindre fluctuation de la valeur nutritionnelle affecte la composition de la ration. Les vaches n’aiment pas les variations dans leur alimentation. Cela est lié au fonctionnement de leur rumen. La population de bactéries est parfaitement adaptée à une ration bien définie. Pour chaque ingrédient, il y a juste assez de bactéries pour traiter la quantité donnée. Si vous modifiez les proportions des ingrédients ou si vous en ajoutez de nouveaux, un déséquilibre se crée, entraînant une moins bonne digestion. L’ajustement est possible, mais il doit se faire progressivement pour que la flore du rumen puisse s’adapter ».

L’abandon total des aliments concentrés traditionnels n’est donc pas une option pour les éleveurs laitiers. En effet, les drêches ne sont pas toujours disponibles. « S’il n’y a pas de brassage, il n’y a pas de drêche, explique Isabelle Van der Looven. Heureusement, notre grossiste travaille avec deux brasseries, Omer Van der Ghinste et Ename. Le produit est livré directement de la brasserie, encore chaud. Emballé hermétiquement, il se conserve quelques semaines. Jusqu’à présent, nous n’en avons jamais manqué. »

Le choix des flux résiduels est principalement motivé par des considérations économiques. Les prix fluctuent en fonction du marché international du soja. Plus le soja est cher, plus la demande d’alternatives à partir de flux résiduels est importante. Autre argument : les rations contenant de la drêche et de la farine de colza se digèrent plus lentement que les concentrés, ce qui est bénéfique pour la santé des vaches.

Pourtant, Isabelle Van der Looven est loin d’être indifférente aux gains environnementaux et climatiques. « Comme tous les agriculteurs ! C’est logique, car nous avons les deux pieds dans la crise climatique. Les conséquences ne sont nulle part plus visibles que dans notre secteur. La culture du maïs, par exemple, devient de plus en plus difficile, c’est indéniable. Les agriculteurs font des efforts depuis longtemps, les toits de nos étables sont remplis de panneaux solaires. Malgré cela, nous continuons à souffrir d’une mauvaise image. Je pense que nous devrions nous efforcer davantage de mettre en valeur nos efforts ».

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