Casimir Morobé, fondateur de Toqua ©DR

Toqua: quand l’intelligence artificielle permet de réduire la pollution des bateaux

Décarboniser le transport maritime à l’aide d’algorithmes ? C’est le pari original de Toqua. Une société belge utilisant les ressources de l’apprentissage automatique afin de limiter la quantité de carburant brûlé par les bateaux.

Un milliard de tonnes de CO₂. C’est le colossal bilan carbone du secteur maritime chaque année. Soit 3% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre. Un chiffre qui pourrait grimper à 17% à l’horizon 2050 en cas d’inaction, selon un rapport de l’organisation Seas at Risk. Face à ce futur écologiquement peu radieux, Toqua, un projet belge né à l’automne 2020, se donne l’ambition de réduire la pollution en mer.

Entre deux vagues épidémiques, Casimir Morobé boucle son travail de fin d’études à l’université de Gand : il crée un outil capable de prédire la consommation de carburant d’un navire avant son départ du quai, en collaboration avec la Compagnie Maritime Belge. Le Gantois étudie les informations provenant des capteurs placés sur leurs bateaux : hauteur des vagues, force du courant, vitesse du navire, etc. Un gisement de données jusqu’ici inexploité par l’armateur.

De calculs en algorithmes, Casimir Morobé parvient à modéliser numériquement les performances des navires. Surprise. « Il remarque que ses modèles obtiennent de bien meilleures prédictions que celles de CMB », confie Justin Foguenne, à la tête des opérations et des finances de la start-up. L’armateur propose de l’embaucher mais le désormais diplômé préfère lancer Toqua. L’objectif de son application: prédire pour mieux guérir…l’environnement.

Une tour de contrôle

En trois ans, le projet étudiant est devenu une modeste entreprise de douze personnes. Dans leurs quartiers du centre de Gand, les yeux rivés sur des écrans, ils scrutent les mers, recueillent des données météo satellites et analysent les informations des capteurs présents sur la coque des bateaux. « Le but est de prédire la quantité de carburant optimale nécessaire à un navire dans n’importe quelles conditions. En combinant nos différents outils, on estime pouvoir réduire d’environ 10% la consommation », résume Justin Foguenne.

En vietnamien, Toqua symbolise la tour de contrôle d’un navire. « Un peu comme nos modèles, on surveille et monitore tout », poursuit le jeune homme. La vigie de ces marins du high-tech fonctionne grâce au Machine Learning (NDLR : apprentissage automatique, en français), une sous-catégorie de l’intelligence artificielle, qui permet à Toqua de prédire le comportement d’une embarcation, pour réduire l’impact climatique des trajets en mer et aider les compagnies à réaliser des économies de fioul. «Sans apprentissage automatique, à moins que vous ne naviguiez réellement, vous ne pouvez pas savoir combien de carburant vous consommerez », constate Abhijith Mundanad Narayanan, data scientist chez Toqua.

En pratique, les serveurs de l’application traitent une myriade d’informations hautes fréquences : les conditions atmosphériques, le vent, la taille des vagues, la teneur en sel, mais aussi la charge du bateau ou encore le trim (NDLR : inclinaison du navire). « On envoie ensuite une prédiction du comportement du navire dans un cloud afin qu’elle soit utilisée par les compagnies maritimes. Si, par exemple, un pétrolier désire voyager d’Anvers à Singapour, on va utiliser un algorithme de routing qui va calculer un milliard de différentes routes possibles et estimer la consommation de fioul sur chacune d’entre elles », explique Justin Foguenne.

Moderniser une industrie archaïque

À l’heure actuelle, on estime que 80% des marchandises mondiales transitent au moins une fois par bateau. Cette augmentation du transport naval s’est accompagnée d’une pollution grandissante des océans. Le fioul utilisé par de nombreux navires reste l’un des combustibles le plus sale. « La navigation rejette énormément de gaz à effet de serre. Mais elle reste le moyen de transport le plus efficace quand on regarde le nombre de kilogramme transporté par CO₂émis. Le carburant alternatif, c’est bien pour les nouvelles embarcations. Mais il faut aussi des solutions concernant la flotte existante qui est non-équipée pour utiliser ses fiouls alternatifs », nuance Justin Foguenne.

 L’équipe de Toqua à Gand ©DR

Euronav, une compagnie belge spécialisée dans le transport pétrolier, a mesuré les apports de la technologie Toqua. Soit, au total, une réduction annuelle de 60.000 tonnes de CO₂. Une première étape vers la décarbonisation totale du secteur. « Pour décarboner entièrement le fret maritime, il  faudrait ne plus du tout utiliser de matières polluantes. Vous devez donc changer complètement le secteur du transport maritime actuel avec la construction de nouveaux navires. Cela prend du temps. Chez Toqua, nous construisons des modèles numériques en environ une ou deux semaines. Et dès le lendemain, les armateurs peuvent réduire drastiquement leur consommation de carburant. L’impact écologique est instantané », estime Abhijith Mundanad Narayanan.

L’Organisation maritime internationale (OMI) s’est fixée comme mission d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La petite application belge ne réglera pas seule l’ensemble des problèmes climatiques en haute mer. « Il n’existe pas une solution miracle. Les innovations différentes doivent se combiner. L’utilisation de carburant alternatif vert, la modernisation de la flotte mais aussi les gains d’efficacité. Et, c’est dans ce domaine que Toqua rentre en jeu ». L’entreprise gantoise voit loin. Casimir Morobé, le capitaine de la start-up, ambitionne d’équiper 6.500 navires en 2026. Selon Justin Foguenne, son bras droit : « Si on atteint cet objectif,  22 millions de tonnes de CO₂ par an seraient sauvées. Soit l’équivalent des émissions annuelles du transport routier belge ».

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