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Terre-en-vue, la coopérative qui met le sol en commun (reportage)

Depuis dix ans, Terre-en-vue achète des terres agricoles en Wallonie et accompagne des projets de fermes agro-écologiques. Une coopérative basée sur l’épargne citoyenne, le circuit court et le respect de l’environnement.

Wavreille, Rochefort. En bordure du village, une centaine de Blondes d’Aquitaine broutent l’herbe des prairies de la Famenne. Devant la route se dressent les murs en pierre de la ferme Marion, une exploitation familiale biologique, bientôt amputée de dix hectares de terres que louait Claude l’agriculteur. C’est ici que l’histoire commence. 2012. On s’affole à penser la fin du monde d’ici décembre, le Costa Concordia s’échoue au large de l’Italie et Vladimir Poutine remporte la présidentielle russe avec 63,6% des suffrages. De quoi céder au pessimisme. Pendant ce temps, d’autres pensent l’avenir.

premier projet pour la très jeune Terre-en-vue. À travers sa structure de coopérative, elle permet à qui le souhaite d’acquérir une part de son capital social. Cette part s’inscrit dans une épargne citoyenne qui permet à Terre-en-vue d’investir dans des terres dont elle sera propriétaire. Claude de la ferme Marion
peut à nouveau libérer son troupeau. L’herbe lui est assurée, en dehors de toute spéculation.

Hectares nourriciers

Parce que les terres agricoles en Wallonie coûtent cher. « On assiste à une flambée des prix du foncier. Ils ont triplé en moyenne depuis dix ans », précise Mary Guillaume de Terre-en-Vue. Rentabiliser sa terre n’est plus assuré et ce processus prendrait cent à deux cent ans. Face à l’urbanisation croissante, beaucoup d’espaces ne sont plus destinés à une fonction nourricière. C’est là que Terre-envue
intervient. Faire de la terre un bien commun, l’acheter pour qu’elle sorte de la spéculation.

L’organisation s’attache à faciliter l’accès à la terre à des projets d’agroécologie qui ne pourraient se développer sans une aide citoyenne. Aujourd’hui, dix ans après le projet pilote de la ferme Marion, l’organisation compte plus de 2300 coopérateurs pour un peu plus de 4 millions d’euros de capital social et une trentaine de projets soutenus. Ceux-ci répondent à un cahier des charges précis.
Ce sont des initiatives portées par des agriculteur.trice.s professionnel.les, respectant les règles du bio et du circuit court, des propositions économiquement viable qui protègent l’environnement. Pour repenser notre manière de produire, de consommer et d’occuper la terre. Terre-en-vue accompagne ceux et celles qui s’engagent à créer des modes durables de production alimentaire, pour un retour à une échelle humaine.

« Depuis trente ans, le modèle agricole évolue et on a perdu près de 70% des fermes en Région wallonne et, en parallèle, leur superficie moyenne a doublé », continue Mary Guillaume. De 30 à 60 hectares par ferme. Un double phénomène s’opère ici, un mouvement mêlant l’agrandissement des exploitations et la concentration des terres. Moins d’acteurs sur le marché, mais des plus gros. Plus de spéculation financière, des terrains plus chers et des agriculteur.trice.s qui partent à la retraite sans avoir quelqu’un à qui léguer leur exploitation. « On est là aussi pour mettre en contact les professionnels, pour créer du lien et assurer une transmission des terres entre les jeunes et les plus anciens ». Plus de la moitié des agriculteur.trice.s en activité ont plus de 50 ans et, parmi eux, beaucoup n’ont personne à qui transmettre leurs terrains.

L’agriculture collective

« Avant on était juste en face, dans les bâtiments du See You », raconte Mary Guillaume. Depuis, Terre-en-vue a traversé l’Avenue de la Couronne. À l’intérieur, les néons des bureaux bruxellois de l’organisation se reflètent dans un ordinateur portable. La connexion Zoom est difficile, puis ça fonctionne. Floriane Heyden apparaît. Dehors, il pleuvine. Elle appartient à un projet de ferme collective, la ferme des Arondes. Le nom vient du mot hirondelles, en patois local, celui du côté de Profondeville. « Quand on a proposé de reprendre les terres et les bâtiments, l’ancienne propriétaire nous a demandé de protéger les nids d’hirondelles. C’était important pour son mari ». Pour Floriane aussi.

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Ici se joue une nouvelle forme de production agricole. La mise en commun d’un espace, d’infrastructures et de fonds entre plusieurs producteur.trices. De la boulangerie aux champignons, en passant par la maraîchage et l’élevage de chèvres. Toute la chaîne de production et de transformation a lieu sur place, des céréales au pain au levain. Des synergies qui se complètent et une solidarité qui va à l’encontre de la solitude de l’agriculture.

La Ferme des Arondes (voir photo) et son collectif paysan sont le dernier projet chapeauté par Terre-en-vue. Ici aussi, l’achat de l’ensemble des terres agricoles et des bâtiments de l’exploitation se finance par la prise de parts dans la coopérative. « C’est très important de pouvoir nous installer durablement pour investir dans nos activités. La plupart d’entre nous était installée sur de petites parcelles avec des contrats
précaires », assure Floriane Heyden. En une semaine, 16% du million d’euros nécessaire ont été récoltés.

En dix ans, Terre-en-vue a changé d’échelle. C’est aujourd’hui une coopérative, une ASBL et une fondation qui reçoit des donations d’acteurs privés. Elle travaille avec les pouvoirs publics afin de les sensibiliser à l’usage qu’ils font des terres dont ils sont propriétaires. Les laisser en dehors de la spéculation, de l’urbanisation et leur assurer un avenir écologique sain. Et pourquoi pas y installer des fermes agroécologiques.

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