© (c) Lefrancq Mons / Paille-Tech

Paille, bois et terre : le trio gagnant du constructeur Paille-Tech

Estelle Spoto Journaliste

Répondant aux préoccupations écologiques, énergétiques et de santé, Paille-Tech construit des bâtiments alliant de manière innovante bois, paille et terre crue. Une coopérative pionnière en Belgique.

En novembre 2022, la coalition Climate Trace publiait une carte mondiale interactive permettant de visualiser en un coup d’œil les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre sur la planète. En Belgique, parmi la dizaine de sites marqués d’un point sombre, figurent quatre cimenteries, celles de Mons, Tournai, Visé et Antoing. La fabrication de ciment est en effet une des principales activités humaines problématiques face au réchauffement climatique. « La production de ciment, principal constituant du béton avec le sable, a été multipliée par 40 depuis 1950, par quatre depuis 1990. Sa fabrication serait responsable de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (plus de trois fois plus que l’aviation) », précise à ce sujet L’Atlas de l’Anthropocène dirigé par François Gemenne et Aleksandar Rankovic. En misant sur la paille, le bois et la terre crue, la coopérative Paille-Tech, à Franière (Floreffe), répond à ce problème et ouvre un avenir plein d’espoir dans le secteur de la construction.

De la paille pour isoler

L’aventure –parce que c’est vraiment d’aventure qu’il faut parler ici- commence en 2009. L’ASBL Grappaille, active dans la sensibilisation à la construction en paille et l’aide aux autoconstructeurs désireux de se lancer dans ce matériau, décide de fonder une entreprise autonome, Paille-Tech, sous forme de coopérative. Son premier chantier, Paille-Tech le dégote grâce à Julien Lefrancq, un Montois un temps animateur scientifique au Pass de Frameries (aujourd’hui SPARKOH!), passionné d’architecture bioclimatique, tombé sous le charme du potentiel de la paille et par ailleurs spécialement doué pour l’enduit en terre crue. « Je travaillais alors à La Cité s’invente, un écocentre à Liège qui avait investi un vieux bâtiment en brique sur les coteaux de la citadelle, retrace-t-il. Il fallait tout retaper et le seul endroit où il était possible de mettre de la paille, c’était la toiture. Je connaissais les responsables de Grappaille et je savais qu’ils avaient décidé de lancer une entreprise. Nous avions reçu une subvention pour financer l’isolation de notre toiture et La Cité s’invente a été le premier client de Paille-Tech. Avec cette somme, ils ont pu constituer les statuts de l’entreprise et se lancer. »

L'intérieur du magasin de la ferme de Lantin (c) Lefrancq Mons / Paille-Tech
Le magasin de la Ferme à l’Arbre (c) Lefrancq Mons

Ce premier chantier liégeois fait parler de lui et est notamment remarqué par un agriculteur de la région, de la famille Paque (la Ferme à l’Arbre, à Lantin), pionnière du bio en Belgique (depuis 1978). La famille Paque mène justement un projet d’agrandissement de son magasin à la ferme et confie la construction des murs à Paille-Tech. « Pour cette grosse commande, Paille-Tech m’a appelé et m’a proposé de faire les enduits d’argile, se souvient Julien Lefrancq. J’ai démissionné de l’écocentre, j’ai réuni les fonds pour prendre des parts dans la coopérative et je suis devenu administrateur. »

Julien Lefrancq rejoint alors Philippe Leboutte, patron dans l’horeca namurois, et Marie Foidart et Antoine Bonnert, deux architectes formés à Liège dont le mémoire portait déjà sur la construction en paille. « Nous étions quatre pour tout faire : dessiner, trouver les clients, construire, poser les maison… Toutes les fonctions d’une entreprise de construction, tout en lançant une entreprise », poursuit-il.

Pour le chantier de la ferme Paque, Paille-Tech doit réaliser 350 mètres carrés de murs. Mais la coopérative doit aussi inventer ses techniques et ses machines pour mettre en œuvre son idéal constructif innovant : des murs préfabriqués formés par une ossature en bois, isolés avec des ballots de paille compressée et enduits avec de la terre. En utilisant ces matériaux biosourcés, non transformés et compostables après démolition,  Paille-Tech produit des constructions très performantes au niveau énergétique, avec une inertie thermique qui offre chaleur en hiver et fraîcheur en été, une acoustique intéressante et une qualité de l’air intérieur incomparable. « C’était un choix déterminant, souligne l’administrateur. On a bénéficié d’un capital folie-sympathie pour cette idée. Pour nous, ça n’avait pas de sens de reproduire un système constructif et de simplement remplacer les autres isolants par de la paille. »

Inventer ses machines

L’équipe de Paille-Tech y croit dur comme fer et passe six mois à mettre au point les murs du magasin de la ferme. « Ca a été l’enfer. Mais c’était super, un moment de créativité intense, se souvient Julien Lefrancq. En faisant ces murs, on inventait nos propres machines. On a testé plusieurs systèmes différents. Toute notre recherche et développement s’est faite en live, chaque maison qui a suivi a été une nouvelle expérience. Chaque fois, on repartait de zéro pour développer un nouveau système constructif. Toujours basé sur le même principe –comprimer de la paille dans une structure et l’enduire- mais  chaque fois avec des outils différents qu’on bricolait avec des bouts de métal, des poulies, des palans. Pour donner une petite idée, la première machine qui a servi à comprimer les ballots de paille, c’était une voiture avec un bélier avec laquelle on fonçait dans le mur (rires). »

Depuis ce premier chantier à Lantin, Paille-Tech a gagné en crédibilité à chaque réalisation. Il s’est imposé comme un acteur sur qui compter dans le secteur de la construction, décrochant également des marchés publics, comme l’extension du Collège Notre-Dame de Bon-Secours à Binche, inaugurée en 2017. Paille-Tech est également estampillé « Solar Impulse Efficient Solution Label » par la Solar Impulse Foundation de Bertrand Piccard.

L'extension de l'école de Binche (c) Lefrancq Mons / Paille-Tech
L’extension du Collège Notre-Dame de Bon-Secours, à Binche (c) Lefrancq Mons

« Demain, nous recevons d’ailleurs la visite de l’architecte Philippe Samyn, responsable d’un des plus gros bureaux en Belgique (https://samynandpartners.com/) , confie Julien Lefrancq. Ca montre bien que la vision sur la paille a évolué en quinze ans. Aujourd’hui, Paille-Tech pose une maison complète en deux jours, avec des murs porteurs, des planchers en bois massif et une toiture. En face intérieure, on place 120 kilos d’enduit de terre sur 1 mètre carré de paille. Par rapport à tout ce qui existe en ossature bois, ça offre une efficacité thermique redoutable. Ca crée aussi une étanchéité à l’air du bâtiment très appréciable. On a bien sûr des clients qui viennent pour l’écologie et les matériaux biosourcés, comme un vigneron en biodynamie qui ne voulait absolument pas d’un chai en parpaings, ou un soudeur de cuves en inox pour les fromagers dont la plupart des clients font du fromage bio, et qui est lui-même convaincu. Mais d’autres viennent nous voir parce qu’ils trouvent que ce que nous proposons est efficace et beau. Certains viennent pour la performance thermique, d’autres avant tout parce que Paille-Tech est une coopérative. »

Aujourd’hui, Paille-Tech réunit 18 personnes et est propriétaire de son atelier à Franière, que Julien Lefrancq nous fait visiter. Toute une partie du hangar est remplie par les ballots, fournis par un agriculteur de la région d’Hélécine. Il en faut environ 1500 pour construire une maison mitoyenne. Le bois vient lui d’Allemagne, à 700 kilomètres, et la terre provient des argilières Hins, à Florenne. A côté, on peut voir les murs, à l’horizontale, prendre forme dans les différentes étapes du processus, jusqu’au séchage de l’enduit de terre.

L'équipe de Paille-Tech
L’équipe de Paille-Tech

Le carnet de commandes de Paille-Tech est rempli, l’entreprise tourne à plein régime. Mais le prochain gros chantier de Julien Lefrancq n’est pas une construction à proprement parler. « Mon prochain cheval de bataille, c’est de réussir à créer une licence, explique-t-il. On a envie de rester petit, donc il est hors de question d’acheter d’un coup 25 000 mètres carrés  et de quadrupler l’équipe. Si on veut augmenter l’impact, il faut augmenter le nombre de constructions, mais en restant dans des petites entités. L’idée serait d’avoir un périmètre d’action réduit, idéalement dans un rayon de 50 ou 60 kilomètres, mais d’avoir un Paille-Tech à Charleroi, un autre à Liège, etc. Et puis ça pourrait être en France, en Italie, partout où il y a de la paille. » Ce qui fait un sacré champ d’action. Longue vie à la paille ! 

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