Nettoyer et réfléchir les sols

Céline Roisin cherchait à créer une entreprise dont l’âme apparaîtrait tant dans la mission que dans le fonctionnement. En 2013, la bio-ingénieur a donc créé Sol-Ex, un bureau d’étude en dépollution du sol organisé en gestion collaborative.

Les bureaux de Sol-Ex sont implantés dans une ancienne villa résidentielle du centre de Gembloux. Trois étages, une rotonde, beaucoup de luminosité, un jardin et une belle proximité avec la gare. Depuis qu’elle détient l’agrément de la Région Wallonne, la boîte – déjà bien implantée à Bruxelles – peut proposer ses services au sud du pays. « Gembloux est central, mais le choix de s’installer ici était avant tout logistique et familial : avec mes enfants qui grandissaient, l’accès à l’école et à certaines activités devait être facilité par rapport à la campagne. »

Costume bleu aux épaules, chaussures en mode guépard aux pieds, Céline Roisin accueille, affable et dynamique. La jeune quadragénaire est la fondatrice et gérante de l’entreprise de dépollution des sols Sol-Ex. Elle est aussi maman de trois enfants. Pour elle comme pour sa dizaine d’employés, il est hors de question de devoir choisir entre sa vie privée et sa vie professionnelle : les deux vont de pair. « On travaille avec un agenda partagé dans lequel il est tout à fait possible d’intégrer des plages privées de temps en temps », exemplifie-t-elle. « Tant qu’il y a un équilibre, un rendez-vous chez le dentiste ou avec son plombier un jeudi à 14h doit pouvoir s’organiser. »

Ancienne salariée de bureaux d’études et d’entrepreneurs, Céline n’a, à l’époque, pas pu bénéficier de ce fonctionnement, se voyant refuser des temps partiels et devant surbooker ses après-journées. « Je ne voyais pas le sens de tout cela. Quand j’ai décidé de devenir indépendante, je n’ai pas eu envie de ça chez moi donc j’ai tout articulé autour de ces deux priorités. »

De Century 21 à l’UCLouvain

Le téléphone sonne. Un employé répond. Céline n’entend pas toute la conversation, elle ignore encore s’il s’agit d’un professionnel ou d’un particulier qui contacte Sol-Ex à propos d’une activité polluante ou potentiellement polluante sur son site. Elle peut en revanche décrire dans les détails la procédure que va suivre son entreprise dans ce genre de cas.

« Après ce premier échange pour déterminer les délais, la taille de la parcelle, etc., on se fournit en documents comme les anciens permis d’environnement. C’est une façon de localiser les activités à risque avant d’organiser une visite sur site où l’on vérifie les accès, le matériel que l’on va pouvoir utiliser, les éventuelles traces… » Une fois l’offre acceptée, Sol-Ex travaille soit manuellement avec des tarières, soit avec des machines pour prélever des échantillons. Tout est ensuite envoyé en laboratoire, notamment aux Pays-Bas, pour être analysé. « Si c’est propre, tout le monde est content et la mission s’arrête. Si ce n’est pas propre, que l’on trouve par exemple des métaux lourds, des huiles minérales, des solvants chlorés comme des produits de dégraissages, ou encore des produits de combustion incomplète,il existe plusieurs possibilités. »

En Région bruxelloise, quand le propriétaire ou exploitant est considéré comme responsable de la pollution, il doit financer l’assainissement du sol. Dans le cas contraire, on parle de « pollution orpheline ». Une phase de gestion du risque est alors entamée pour évaluer le risque sanitaire ou de dispersion. « Si le risque est sous contrôle, il est qualifié de « tolérable » et le site peut être laissé en l’état, même s’il sera gardé à l’œil en cas de futurs projets. Si le risque est « intolérable », le propriétaire doit prendre en charge un plan de remise en état. »

En Région Wallonne, c’est le principe de dates qui prévaut. Les pollutions historiques – datant d’avant avril 2007 – sont gérées par une approche de gestion du risque et les récentes par assainissement. Que la situation nécessite une excavation, une injection, un pompage ou une combinaison de techniques, Sol-Ex se propose ensuite d’organiser l’appel d’offres avant de dimensionner et superviser les travaux d’assainissement. Un package qui a déjà séduit des clients tels que Century 21, l’UCLouvain ou l’Intercommunale de Santé Publique du pays de Charleroi. Une approche qui a valu à Céline Roisin le prix du Jury du concours 2022 Start noW, organisé par la plateforme Starter Wallonia d’accompagnement à l’autocréation d’emploi.

Gestion collaborative

En cette fin février, les bureaux de Sol-Ex sont en travaux. Ou plutôt l’annexe qui leur fait face. Une fois rénovée, cette ancienne chapelle doublée d’une écurie pourra accueillir jusqu’à huit nouveaux employés. Parce que la boîte de Céline Roisin grandit. À une vitesse qu’elle entend toutefois maîtriser pour conserver le modèle de gestion collaborative en cours depuis les débuts, en 2013. « Je considère que tout le monde fait son travail du mieux qu’il peut et a une responsabilité sur le fait que ça se passe bien donc tous les ans, un tiers des bénéfices est réparti au sein de l’équipe », confesse la Nivelloise d’origine.

L’autre pan de ce mode de fonctionnement est l’absence de fonctions de support. Au N°60de la rue Gustave Masset, pas de secrétaire, de responsable logistique ou de porte-parole : toutes ces tâches sont réparties entre salariés. Il y a la casquette « logistique », dont la responsabilité est de s’assurer la présence constante des bocaux nécessaires aux prélèvements. Il y a le responsable des voitures, celui de la communication digitale, des ressources humaines, du recrutement, etc. « Chaque année en janvier, certaines casquettes sont remises en jeu », reprend la gérante. « Cela m’a permis de me libérer d’un certain poids à une époque et de responsabiliser chaque collaborateur à la gestion de l’entreprise. Puis, comme on a tous des passages à vide dans une semaine, faire des choses différentes permet de s’aérer l’esprit. »

Garder le cap

Gamine, Céline Roisin se rêvait fleuriste, monitrice d’équitation ou journaliste. Elle a ensuite tâté de la coopération au développement avant de découvrir les sciences du sol, un univers où elle estime aujourd’hui pouvoir avoir un impact grâce à son entreprise bâtie entre les concepts de vie privée, modernité et professionnalisme.

Aujourd’hui, Sol-Ex se paie même le luxe de pouvoir sélectionner ses clients, à savoir ceux qui s’intéressent vraiment aux enjeux et à l’impact de leurs décisions. « S’il y a juste la volonté d’être en conformité avec la Loi, la relation risque d’être très compliquée », déplore la bio-ingénieur de formation. « Je préfère largement le client qui peut s’ouvrir à une réflexion plus globale ou à notre aide pour gérer son site de manière plus efficace au niveau environnemental, logistique ou économique. »

Le bureau namurois intervient ainsi en amont de certains projets, notamment immobiliers. Et promeut – quand c’est possible – la réutilisation de sites ou de parcelles ayant déjà eu plusieurs vies, mais dont le sol doit être remis en état, plutôt que la construction sur des terres agricoles ou vierges. « On est aussi en train d’ouvrir nos services à d’autres formes de consultance en environnement comme la gestion des eaux pluviales. » Des réflexions qui résonnent enfin aux oreilles du grand public, surtout depuis les impitoyables inondations de l’été 2021.

« Désormais, de nombreux permis de bâtir ne sont plus octroyés sans que l’on ait vérifié la perméabilité des sols et la possibilité d’infiltrer les eaux. Certains clients considèrent toujours cela comme une contrainte, mais on a besoin d’une vraie gestion collective pour éviter des événements disproportionnés. J’espère que cela deviendra une évidence comme l’est aujourd’hui l’isolation des bâtiments. On n’a pas le choix. »

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