Agriculteur à l’est du Rwanda ayant renoncé aux insecticides chimiques, Dominique a vu sa production gagner en qualité. © PALOMA LAUDET

Le Rwanda essaie l’agriculture sans insecticides

L’objectif du Rwanda est de répondre au manque d’espace et au défi climatique. La bonne tenue des rendements fait taire les dernières résistances.

Au Rwanda, une légère brise fait frissonner Patrick (1). A 22 ans, le jeune agriculteur n’est pourtant pas de constitution fragile. Tous les matins, il grimpe deux kilomètres pour atteindre les plantations familiales, à 2 900 mètres d’altitude, au pied du Parc national des volcans, au nord-ouest du pays. Il exécute souvent cette tâche avec un bidon de trente litres sur le dos. Le goulot bouché par une pomme de terre – culture principale des champs de Patrick –, il contient du Tafgor, un insecticide puissant.

Depuis quelques années, les rendements ont diminué en altitude. «Maintenant il faut des engrais, souligne Patrick, alors que mon père nous a raconté que, dans les années 1970, la terre était beaucoup plus fertile.» François, 64 ans, acquiesce aux dires de son fils. «La terre était très propice aux plantations de pyrèthres (NDLR: un insecticide naturel) quand je suis arrivé.» Le sexagénaire a même «déménagé ici en 1963 car il fallait en produire pour le gouvernement». Il précise: «Nous n’en avions pas besoin, il était principalement exporté.» Pour François, il y a un seul coupable aux difficultés agricoles: le changement climatique. «Le pyrèthre n’arrive plus à pousser. Rien n’a changé depuis mon arrivée, sauf le climat. Les températures ne cessent de grimper au Rwanda et de nouveaux insectes ont fait leur apparition, comme certains types de chenilles qui grignotent nos plantations», se désole l’agriculteur. Il regarde sa fille Valentine, 29 ans, et son autre fils, Omar, 21 ans, arriver à leur tour avec leur bidon. Il est soulagé, car ses enfants font des études et pourront s’orienter vers un nouvel horizon, loin des champs de pommes de terre.

Besoins agricoles accrus

Si le père de famille est frustré par l’apparition d’insecticides chimiques, Théoneste, 48 ans, lui, ne rechigne pas à les utiliser. Il détient plusieurs lopins dans les environs, non loin de Kareba, un village à quelques kilomètres des terres de François. «La situation a changé. Nous sommes surpeuplés et nous avons modifié la nature du sol pour construire beaucoup d’habitations», peste Théoneste. Le Rwanda, pays de 26 338 km2 (plus petit que la Belgique), abrite environ quatorze millions de personnes, soit une croissance de 369,3% depuis 1960 (2,94 millions). Avec 441 habitants au kilomètre carré, il se hisse, depuis 2015, à la deuxième position des pays les plus densément peuplés d’Afrique.

Les engrais chimiques ne sont pas bannis, ils sont toujours utilisés pour les productions de masse.

Les études scientifiques menées sur les sols rwandais donnent raison à l’agriculteur. Selon les recherches du Food Security Portal, une banque de données créée par la Commission européenne, «l’augmentation de la population du Rwanda complique encore la situation. Pour tenter de nourrir davantage de personnes, la production agricole s’est étendue à des environnements plus fragiles tels que les collines et les zones humides. Cette expansion a entraîné l’érosion des sols, la surutilisation des nutriments du sol et la perte d’habitats

Pour Théoneste, l’augmentation de la population n’est pas l’unique cause de ses maux. «La forêt a été déboisée pour faire plus de place aux champs. Depuis, les saisons ne sont plus les mêmes, ni le sol, à cause du changement de la biodiversité.» A la fin des années 1960, une partie de la forêt du Parc des volcans a disparu pour faire place à une multitude de champs de pyrèthres, une des principales cultures du Rwanda d’alors avec les bananes, le haricot, le maïs, les pommes de terre, le manioc et le riz. Mais, depuis quelques années, là-haut, les fruits et légumes sortent difficilement de terre, au même titre que le pyrèthre. Théoneste s’est agacé du défrichement, à l’époque. Pour lui, il n’avait pas d’intérêt. «Le gouvernement a décidé de redonner ses terres au parc. Une très bonne idée, mais le défrichement a déjà causé des dommages probablement irréversibles, soupire-t-il. Maintenant, je me sers d’engrais, et grâce à ça, je peux payer les frais de scolarité de mes enfants. L’agriculture sans insecticides chimiques est impossible…»

Changer les pratiques

Impossible? Pas pour l’Etat rwandais. L’agriculture a une place centrale dans l’économie du pays, 33% du PIB. Plus de 72% de la population travaille dans le domaine agricole. «Plus de 90% des aliments cultivés» sont «destinés à la consommation intérieure», selon le Food Security Portal. Pour répondre au manque de place, au déficit de rendements et au défi climatique – marqué par la multiplication des pluies diluviennes – le gouvernement a pris la décision d’essayer de revenir aux moyens des ancêtres. «Alors, nous mettons en œuvre des coopératives pour améliorer le savoir-faire des agriculteurs», précise Innocent, agronome de l’ONG Practical Action.

A l’ombre d’un grand bananier, dans le district de Kirehe, à l’extrême est du Rwanda, Innocent analyse la qualité des sols et des engrais naturels que la coopérative – initiative de Practical Action – produit. Main dans la main avec le gouvernement rwandais, l’ONG s’est lancé un véritable défi. «Depuis 2007, le Rwanda utilise de plus en plus d’engrais chimiques pour répondre à une demande en hausse. Malgré ça, le pays n’arrive pas à être autosuffisant et dépend des importations agricoles. Alors, pour préserver les sols et penser à l’avenir, nous apprenons aux agriculteurs, qui le veulent bien, à changer leur manière de cultiver» raconte fièrement l’agronome.

L’agriculture représente un tiers du PIB du Rwanda.
L’agriculture représente un tiers du PIB du Rwanda. © PALOMA LAUDET

Dominique, 56 ans, regarde Innocent avec admiration. Le bananier sous lequel il se trouve lui appartient. Au pied de ses arbres, des feuilles de bananiers recouvrent le sol. «Nous avons beaucoup de problèmes liés aux conditions climatiques. Il fait trop chaud et sec l’été, puis à la saison des pluies, les terres sont noyées. Nos ancêtres n’avaient pas d’engrais chimiques, alors nous revenons à leurs techniques. Pour préserver l’humidité dans le sol, une couche de feuilles suffit, et pour le protéger des torrents qui proviennent de la montagne, nous apprenons aux membres de la coopérative à irriguer.» Dans sa chemise et son veston crème, Dominique rayonne: «Mes productions ont changé depuis que je n’utilise que des engrais naturels. La terre se régénère seule et mes bananes sont de meilleure qualité.» Ce n’est que depuis son entrée dans la coopérative que Dominique cultive uniquement des bananes sur son terrain. Avant, l’agriculteur mélangeait trop de cultures, et «abîmait ses terres», selon Innocent.

Trouver un équilibre

Entravé par une expansion démographique galopante, le Rwanda ne risque pas d’avoir l’espace ni les cultures pour pouvoir devenir autosuffisant en matières premières. Pour Innocent, c’est «le revers de la médaille», les sols sont abîmés et l’écosystème en vrac. «Il faut nuancer, précise Vivine, elle aussi membre de Practical Action. Les engrais chimiques ne sont pas bannis, ils sont toujours utilisés pour les productions de masse comme les ananas. Ou encore les haricots pour nourrir les différentes communautés du pays.» Une casquette de l’ONG vissée sur la tête, Vivine est aussi enthousiaste qu’Innocent à propos de leurs projets. Elle se rend au moins une fois par semaine dans le district de Kirehe, et prend très à cœur ce dessein: «Les gens de notre pays doivent apprendre qu’une partie de leur nourriture est produite de manière artificielle, et qu’il faut trouver un équilibre. C’est ce que nous essayons de communiquer.»

Au loin, quelques hommes et enfants observent Vivine et le groupe d’agriculteurs qui l’entourent. «Tous les habitants du village ne font pas partie de la coopérative, car il faut partager tous les revenus, et nous ne forçons personne à la rejoindre», insiste la trentenaire. Du reste, l’expérience ne réjouit pas tout le monde aux alentours. En face du champ de Dominique, les bananiers n’ont pas fière allure. Le champ est en partie vide, et les arbres semblent pâles. «Ils ne voient pas l’intérêt de partager leur maigre salaire, et ne veulent pas être aidés par le gouvernement, mais deviennent jaloux de ce qu’ils ne reçoivent pas, c’est un peu compliqué», soupire Vivine. C’est la seule ombre qui vient gâcher sa bonne humeur, et parfois la décourage.

Mais elle n’en est pas à son coup d’essai et le projet se développe pour aider la communauté de réfugiés burundais et congolais, installés aux abords du district de Kihere dans le camp de Mahama (58 248 réfugiés selon le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU). «Nous avons installé le même système dans les champs bordant Mahama et les agriculteurs qui y travaillent sont ravis, et font maintenant du commerce avec ceux des villages. Nous sommes à l’aube d’une révolution agricole», se félicite la jeune femme. Si les chiffres ne lui donnent pas encore raison, le visage radieux des membres des coopératives, oui.

(1) Le prénom a été modifié.

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