L’avenir passe par les enfants
En partenariat avec Rolex
Si on veut sauver la planète pour les générations futures, ne faudrait-il pas penser à impliquer ces générations futures dans le sauvetage ? Avec son parc thématique dédié à l’écologie, la pédagogue et environnementaliste visionnaire mexicaine Maritza Morales Casanova apprend aux jeunes à prendre soin de la nature fragile. Morales Casanova a reçu un Prix Rolex à l’esprit d’entreprise en 2012. Une interview.
Maritza Morales Casanova est originaire du Yucatán, péninsule mexicaine dotée d’une biodiversité riche et peuplée par diverses espèces endémiques de faune et de flore. Mais l’écosystème du Yucatán est mis sous pression par le défrichement des forêts au profit de l’agriculture, par une population croissante (deux millions d’habitants) et par des visiteurs (touristes) de plus en plus nombreux. En 1995, Maritza Morales Casanova crée l’ONG HUNAB, alors qu’elle n’a encore que 10 ans. En 2013, elle ouvre avec HUNAB le parc pédagogique Ceiba Pentrandra dans la banlieue de Merida, la capitale du Yucatán. Le ceiba pentandra, ou kapokier, est une essence d’arbre tropical d’Amérique du Sud et centrale, des Caraïbes et de l’Afrique occidentale tropicale.
Les gens ont perdu la faculté de s’émerveiller face à la nature
Vous n’aviez vraiment que 10 ans quand vous avez fondé HUNAB ?
Maritza Morales Casanova : « Vraiment ! Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi nous n’apprenions pas à l’école qu’il faut respecter les arbres, les plantes et les animaux. Ou pourquoi des gens tuent les oiseaux et ont peur des boas constrictors. Je me suis vite rendu compte que les adultes ont perdu la faculté de s’émerveiller face à la nature. Ils ne voient plus sa beauté. Ils transmettent cette attitude à leurs enfants, qui perdent eux aussi la connexion avec la nature. »
Que pouviez-vous faire ?
« Il n’existait aucun endroit où je pouvais acquérir plus de connaissances sur la nature. C’est pour cela que j’ai créé HUNAB (Humanity is United with Nature in hArmony for Well-being, Goodness and Beauty). Au départ, mon but était juste d’inviter d’autres enfants à protéger l’environnement. Je voulais partager des connaissances sur la nature avec des enfants comme moi. Les données scientifiques ne sont pas toujours faciles à comprendre. Avec HUNAB, je les rends compréhensibles pour des enfants, et eux les transmettent à leur tour à d’autres enfants. »
Les enfants sont les meilleurs des professeurs
Est-ce que vous parlez du changement climatique avec les enfants ?
« Ces mots sont tellement ‘à la mode’ qu’ils sont aujourd’hui malheureusement galvaudés. Quand je parle de changement climatique aux enfants, je m’assure qu’ils utilisent la bonne terminologie. Ils croient par exemple que l’effet de serre est néfaste pour la planète, alors que c’est précisément l’effet de serre qui rend la vie possible sur Terre. Je leur fais aussi comprendre que les changements de régimes climatiques existent depuis aussi longtemps que la planète elle-même. On peut observer ces changements à travers les ères géologiques. Le grand problème de l’environnement, c’est l’analphabétisme environnemental. L’ignorance. »
Les enfants transmettent-ils correctement le savoir qu’ils acquièrent ?
« Les enfants sont les meilleurs des professeurs. Ils sont capables de partager dans le même langage ce qu’ils savent et ce qu’ils ressentent. Les adultes sont parfois égoïstes avec leurs connaissances. Ils veulent les garder pour eux, pour en tirer un bénéfice. Ça ne fonctionne pas comme ça avec les enfants. Ils essaient évidemment d’abord de comprendre le message pour eux-mêmes, mais ensuite ils le partagent en toute simplicité. »
Les enfants deviennent un ‘héros de Dame Nature’
Peut-on comparer le parc Ceiba Pentandra à une école traditionnelle ?
« Le parc Ceiba Pentandra n’a aucun point de référence. Tout est unique et est basé sur 27 années d’expérience. Ce parc est innovant et réussi parce qu’il s’en tient à son élément le plus important : écouter les enfants et respecter leurs idées. Les enfants devraient apprendre la nature comme ils apprennent les maths. Non seulement les maths sont enseignées dans le cadre scolaire, mais de surcroît personne ne conteste leur importance pour le développement intellectuel de l’individu. On nous les enseigne dès que nous savons parler. Pourquoi ne sommes-nous pas aussi conséquents dans l’éducation de nos enfants en matière de conservation de l’environnement ? Le parc Ceiba Pentandra n’a cependant rien à voir avec une école traditionnelle. Il n’y a pas de salles de classe, mais des pavillons d’activités. Et il n’y a pas de professeurs, les connaissances sont transmises par d’autres enfants ou d’autres jeunes. Les enfants y suivent une formation de deux ans, puis deviennent à leur tour formateurs quand ils ont au moins sept ans, et enseignent à d’autres enfants ce qu’ils savent et ce qu’ils sont capables de faire. Le facteur plaisir est primordial, nous offrons une expérience ludique basée sur la nature. Tout en s’amusant, les enfants apprennent à vivre en harmonie avec leur environnement. Et il n’y a pas d’examens, mais une mission : devenir un ‘héros de Dame Nature’. »
Ils apprennent à observer la nature
En quoi consistent ces formations ?
« Pour commencer, ils apprennent à observer la nature. Regarder, à trois niveaux : le niveau du sol, le niveau à hauteur des yeux et le niveau élevé, qui nécessite de lever les yeux. Au parc Ceiba Pentandra, les enfants apprennent également à écouter la nature et à identifier les arômes des plantes. Ils apprennent à parler devant un public. Et à sauver des insectes et des araignées, car toutes les formes de vie, quelles que soient leur forme, leur couleur ou leur taille, sont importantes pour la nature. Ils apprennent à semer et à récolter, et à assurer ainsi leur propre subsistance. Ou encore comment faire du compost. Ils apprennent le cycle de l’eau, les propriétés médicinales des plantes, etc. À un niveau plus élevé, ils peuvent se lancer dans leur propre projet écologique, ou early life project. »
Par exemple ?
« Je vous donne quelques exemples. David et Santiago ont tous deux 14 ans, l’un se penche sur la préservation des céréales créoles, et l’autre sur la protection des abeilles Melipona. Nous avons aussi les frères Xanat et Mathias, qui enseignent aux autres enfants en racontant des histoires avec des marionnettes. Et puis il y a encore Fedra qui milite pour la prévention du cancer chez les enfants, et Paul qui étudie la botanique. Eux ont 17 ans »
Quel est le rapport entre la prévention du cancer chez l’enfant et l’environnement ?
« À 13 ans, Fedra a d’abord pensé qu’elle ne pouvait pas s’inscrire dans le programme HUNAB par ce que son early life project n’était pas directement axé sur l’environnement. Or, le régime alimentaire est un des moyens de prévention les plus efficaces du cancer. Fedra apprend aux enfants comment manger sainement, qu’ils doivent par exemple éviter les sucres dès l’enfance, et tout cela est lié à l’environnement. »
La nature, c’est une vocation
Qui participe au programme HUNAB, qui vient au parc ?
« Tous les enfants sont les bienvenus au parc Ceiba Pentandra. Certains viennent de la ville, d’autres des campagnes ou de communautés indigènes. Leur contexte social ou économique ne joue aucun rôle. Ce qu’ils partagent, c’est le désir d’apprendre à protéger Dame Nature. Nous lançons des appels, par le biais des médias, des réseaux sociaux et des canaux de diffusion locaux. En général, cela commence par des enfants qui viennent visiter le parc avec leur école. À la fin de la journée, ils se rendent comptent qu’ils n’ont pas eu le temps de voir tous les pavillons, et ils ont donc envie de revenir parce qu’ils veulent en savoir plus. C’est ainsi qu’ils entrent dans ce programme de deux ans où ils apprennent à devenir des ‘héros’. S’ils se découvrent une vocation pour les sciences de l’environnement, ils poursuivent leur formation et lancent leur propre projet écologique. »
Vous utilisez le mot ‘vocation’.
« Au même titre que certains enfants naissent avec un talent pour la musique ou le dessin, d’autres sont doués pour les sciences de la vie. Ce talent doit lui aussi être affiné. Un enfant qui veut devenir athlète ou artiste est généralement orienté vers un club de sport ou une académie d’art. Mais où peut aller un enfant qui veut prendre soin de l’environnement ? Le parc Ceiba Pentandra est probablement le plus grand effort que nous ayons fait pour diffuser tout ce que nous savons sur Dame Nature. Des milliers d’enfants (ainsi que des jeunes et des adultes) ont trouvé l’inspiration dans le parc en vivant une expérience pédagogique ludique. Les enfants qui ressentent une vocation pour les sciences de l’environnement y reçoivent une formation de qualité, qui peut durer jusqu’à huit ans au total. »
Comment les enfants réagissent-ils habituellement à votre programme ?
« Les enfants vous surprennent toujours. Ils enrichissent la pédagogie du parc Ceiba Pentandra de leurs propres idées. Ils sont honnêtes dans leurs sentiments. Quand ils disent qu’ils veulent protéger la nature, ils le veulent vraiment. »
Aucun animal n’est vilain, il est juste différent
Que pouvons-nous, adultes, apprendre des enfants ?
« Il n’existe aucun enfant qui ne regarde pas la nature avec émerveillement. Nous, adultes, avons tous été des enfants mais quelque part en chemin, nous avons perdu notre connexion avec la nature. Les enfants peuvent nous aider à nous reconnecter avec la nature afin de pouvoir à nouveau être surpris par elle. Les enfants sont capables de partager ce qu’ils aiment le plus ou ce qui a le plus de valeur pour eux. Nous, les adultes, nous devons partager notre temps, nos connaissances et nos talents au profit de notre communauté.
Les enfants nous rappellent le sens de l’humilité. Ils ne possèdent peut-être pas toutes les connaissances sur l’environnement, mais peuvent s’encourager les uns les autres à agir pour sa conservation. Pour les enfants, les différences sociales ou territoriales n’existent pas, c’est une chose qu’ils ont en commun avec la nature. La phrase prononcée le plus souvent par les enfants du parc Ceiba Pentandra est : ‘aucun animal n’est vilain, il est juste différent et nous devons le respecter’. »
Nous aurons besoin de leaders forts, pas de semeurs de panique
Pourquoi est-il important que les enfants apprennent à connaître la nature ?
« Ils sont la génération qui nous succédera. Je ne vois pas cela uniquement dans un contexte scolaire, mais comme un processus consistant à transmettre à la nouvelle génération des connaissances que l’humanité a accumulées tout au long de son existence. Et transmettre des connaissances sur la nature dès l’enfance est important si on veut arrêter, modérer ou changer la voie empruntée par l’humanité en matière de respect de la planète. Agriculteurs, avocats, ingénieurs, enseignants, médias, politiciens, artistes : tous les êtres humains dépendent de la santé de la planète, mais nous ne sommes apparemment pas disposés à prendre les décisions nécessaires pour lever les menaces qui pèsent sur son existence. Si un enfant grandit avec une connaissance et une compréhension éthiques de l’environnement, alors plus tard, quoi qu’il fasse, il deviendra un être humain qui prend les meilleures décisions pour le bien-être de toutes les formes de vie. »
Ne craignez-vous pas de faire peur aux enfants ?
« C’est précisément ce que nous ne devons pas faire. Aujourd’hui, la grave erreur que l’on commet est de faire passer le message du changement climatique aux enfants avec des annonces exclusivement négatives : manifestations, perte de biodiversité, catastrophes naturelles. C’est tellement alarmant. J’ai rencontré des enfants qui croient qu’il pleut à cause du changement climatique. Nous devons veiller à ce que les enfants apprennent seulement ce dont ils ont besoin à leur âge et à leur stade de développement. Ne devrions-nous pas laisser le pessimisme aux adultes ? Pour s’engager dans des actions positives, il est préférable de partir d’un message positif. Nous aurons bientôt besoin de leaders forts, pas de semeurs de panique. »
Ce n’est pas une activité professionnelle. C’est un projet de vie
Quelle a été/est pour vous l’importance du Prix Rolex à l’esprit d’entreprise ?
« Nous avons investi la dotation dans la construction d’un nouvel espace au parc Ceiba Pentandra, et le rayonnement international de Rolex nous a permis de nouer de nouveaux partenariats et d’exploiter de nouvelles sources de financement. Nous travaillons actuellement avec d’autres organisations sur des projets visant à reproduire le parc et la pédagogie HUNAB dans d’autres régions du Mexique et du monde. Pour moi personnellement, le Prix Rolex à l’esprit d’entreprise a été un encouragement. On est rarement prophète dans son propre pays. HUNAB était un projet sans précédent, qui ne pouvait pas compter sur une grande crédibilité quand nous l’avons présenté au niveau local. Mais grâce au prestige de Rolex, le projet a été perçu comme visionnaire et nous avons pu élaborer de meilleurs scénarios. Les lauréats du Prix Rolex à l’esprit d’entreprise forment une famille exceptionnelle. Le fait qu’ils aient des idées et des projets inhabituels me conforte dans l’idée que je ne suis pas la seule personne à faire quelque chose d’inédit ou qui va à l’encontre de la façon dont les choses se font habituellement. »
Pourquoi faites-vous cela ?
« Nous avons tous une raison d’être. J’appelle cela mon projet de vie, ma philosophie de vie. Pour moi, ce n’est pas une activité professionnelle, je sais que je consacrerai toute ma vie à ce projet. »
Soyons comme le phytoplancton
Pour quelles raisons devons-nous être optimistes ?
« La Terre existe depuis des milliards d’années, et l’histoire de l’Homme est courte. En tant qu’êtres humains, nous n’avons pas (encore) réussi à dessaler l’eau de mer, nous n’avons pas encore exploré les grands fonds océaniques, nous découvrons encore toujours de nouvelles espèces vivantes. Et il ne s’agit là que de ce qui se passe sur la Terre. Ce qui se passe dans l’atmosphère est encore plus complexe. Les êtres humains ont prouvé leur grande résistance physique et mentale. De plus en plus de personnes aux quatre coins du monde tentent d’apporter une contribution positive à la vie, et même si le chemin pour y arriver est difficile, mieux vaut le parcourir avec optimisme. En ce qui me concerne, je suis optimiste en voyant les résultats obtenus par HUNAB depuis sa création. J’ai vu passer des enfants qui ont décidé de ne pas travailler dans le domaine de l’environnement mais qui continuent néanmoins de traiter la nature avec respect. Et je vois de nouvelles générations qui commencent leur projet de vie à HUNAB. Je ne suis plus seule comme quand j’ai commencé. Beaucoup plus de gens le font aujourd’hui, et ils le font de plus en plus jeunes. »
Quel est votre message d’espoir ?
« Soyons comme le phytoplancton. C’est la forme de vie marine la plus petite, sa taille se mesure en microns. En soi, il semble ne présenter aucun intérêt, mais il est capable de photosynthèse et tout le phytoplancton présent dans les océans produit ensemble 80% de l’oxygène terrestre. La prochaine fois que vous penserez que vous ne pouvez pas faire grand-chose pour la planète, sachez qu’il existe de nombreuses personnes comme vous : à l’instar du phytoplancton, ce que nous produisons ensemble est vital pour la conservation harmonieuse de la planète. À mon tour, j’ai appris des enfants. Leurs mains sont petites mais leur cœur est grand, et c’est avec leur cœur qu’ils veulent protéger la planète. »
Rolex soutient des personnes et organisations qui recherchent et développent des solutions aux problèmes de la planète et qui ainsi contribuent à rendre le monde meilleur et à préserver la planète pour les prochaines générations. Dans cette série Le Vif met leurs efforts en lumière. Le Vif a réalisé ces articles en toute indépendance rédactionnelle.
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