La mer du Nord, cimetière à CO2 : focus sur cette nouvelle technologie qui permet d’enfouir les émissions de gaz
Limiter les émissions de carbone reste essentiel, mais une autre stratégie a fait son chemin dans les esprits : recueillir ce CO2 et le concentrer, pour le réutiliser dans l’industrie, et surtout pour le stocker à très long terme. Des structures se mettent en place pour capter le CO2 et l’enfouir en mer du Nord, y compris depuis la Belgique. Mais les conséquences d’une telle pratique posent question.
Et si, plutôt que de rejeter du gaz carbonique dans l’atmosphère, il était gardé prisonnier sous la terre et la mer ? Tel est le concept du carbon capture and storage, ou CSS, une filière qui se développe rapidement à l’échelle européenne. « Ce n’est pas neuf, rappelle Angélique Léonard, directrice de l’Unité de Recherche en Chemical Engineering de l’Université de Liège. Des essais de stockage dans des gisements épuisés ont été menés dès le début des années 2000, ainsi que dans l’industrie pétrolière qui réinjecte du gaz dans un gisement pour faire remonter la pression et capter ce qu’il reste de pétrole dans la poche. Mais ce qui est aujourd’hui nouveau, c’est d’envisager de stocker ainsi du carbone à très grande échelle. »
Capter le CO2 et l’enterrer
Ce n’est pas le CO2 dans l’atmosphère qui est concerné, mais celui des secteurs les plus difficiles à décarboner : les aciéries, les verreries ou encore les fours à chaux ou à ciment, des industries dont le processus de transformation des matières premières en produits finis rejette énormément de carbone. « On parle d’aller chercher le carbone à la source, directement dans les fumées industrielles, détaille Pierre Delmelle, professeur et bioingénieur à l’UCLouvain. Il est piégé dans un réactif chimique et se dissout, puis le liquide ainsi obtenu est réchauffé pour séparer le carbone des autres composants et le concentrer. L’idée, ensuite, c’est de l’acheminer par pipe-line pour le réinjecter sous les sédiments marins, dans des réservoirs de gaz ou de pétrole déjà exploités. »
Une filière qui, en Europe, se développe surtout en mer du Nord. Les Néerlandais étaient précurseurs, puis les Danois et les Norvégiens sont passés à la vitesse supérieure. Le gouvernement d’Oslo, très favorable à cette technologie, a investi près de 2,4 milliards d’euros dans le projet Longship, un grand réservoir à carbone au fond d’un fjord à proximité de Bergen, à 2,8 km de profondeur. « Le projet permettra des réductions d’émissions et facilitera le développement de nouvelles technologies et, donc, de nouveaux emplois », estimait la Première ministre norvégienne Erna Solberg en 2020. Longship doit accueillir les émissions des industries lourdes du pays scandinave, mais aussi celles de ses partenaires européens.
CO2 enfoui en mer du Nord: aussi en Belgique
Des partenaires qui développent aussi leur filière de captation et de stockage du carbone, y compris en Belgique. Une convention a été signée avec les Pays-Bas en juin de l’année dernière sur l’acheminement de CO2 à travers la mer du Nord, direction les anciens forages pétrolifères ou gaziers néerlandais, danois et norvégiens. Des acteurs du transport de gaz comme Fluxys planchent déjà sur un réseau de captation dédié. « Pour l’instant, on n’en est encore qu’à l’étape institutionnelle, aucun texte précis n’est prêt sur le transport de CO2 », nuance Luc Warichet, directeur général adjoint chez Resa, le principal gestionnaire de réseaux d’électricité et de gaz en province de Liège. « Mais on essaie de se positionner sur ce secteur en collaboration avec Fluxys pour gérer les moyennes routes, vers nos clients industriels qui auront du mal à se décarboner totalement, comme les verreries et les cimenteries de la région. Cela peut devenir essentiel pour l’économie wallonne. »
Plus le temps d’étudier les risques
Le stockage géologique du carbone, une solution durable et économiquement viable, alors ? Elle peut sembler idéale au premier abord, mais… « A partir du moment où on perturbe des sédiments marins, il y aura des conséquences sur les écosystèmes, mais on ne peut pas les prévoir, on n’a pas beaucoup de recul là-dessus », insiste Pierre Delmelle. « On connaît bien ces zones sous-marines gazières ou pétrolifères, mais si on a déjà foré dedans, est-il possible d’estimer à quelle échelle de temps elles resteront stables ? Il y a une risque de fuite et d’acidification des océans, c’est tout un problème de monitoring. Mais on n’a plus le temps de faire des études, l’urgence climatique est là. »
Si les recommandations du GIEC mentionnent le stockage géologique du carbone, c’est en premier lieu pour ces industries difficiles à décarboner, à défaut d’une meilleure solution disponible. Cette idée laisse toutefois penser que des solutions technologiques pourraient résoudre tous les problèmes d’émissions. « C’était flagrant lors de la COP28, se souvient le bioingénieur. Il y avait un lobbying évident de la part des industries pétrolières, celles qui maîtrisent le forage en mer, avec un discours de type ‘La science va nous sauver’. Mais nous sommes passés de la mitigation des effets du réchauffement climatique à l’adaptation, et maintenant nous envisageons de modifier durablement notre planète avec la géoingénierie. Même le GIEC estime qu’on n’a plus le choix. » Pour enrayer un tant soit peu la catastrophe à venir, pas de solution miracle : réduire drastiquement ces émissions, et rapidement. Alors que la Belgique émet 103,8 millions de tonnes de CO2 par an, contre 40 milliards de tonnes annuelles à l’échelle de la planète…
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