João Campos-Silva, au secours du poisson géant de l’Amazone

Ben Herremans
En partenariat avec Rolex

Pour le biologiste brésilien João Campos-Silva, le sauvetage d’une seule espèce de poisson est la clé pour améliorer la qualité de vie de nombreux habitants d’Amazonie. En 2019, il a remporté un Prix Rolex à l’esprit d’entreprise.

L’arapaïma (ou ‘pirarucu’ en langage local) est le plus grand poisson à écaille au monde. « L’arapaïma est une créature fascinante », déclare le jeune biologiste marin João Campos-Silva, originaire de la ville de Piedade, dans le sud du Brésil. « C’est un énorme poisson qui peut atteindre trois mètres et 200 kilos. Il nourrit les peuples d’Amazonie depuis leurs premières installations dans cette région »

Alors qu’il voulait au départ étudier les oiseaux, João Campos-Silva s’est finalement tourné vers les poissons, après avoir pris conscience de la menace extrême qui pesait sur l’arapaïma.

L’arapaïma peut mesurer jusqu’à 3 mètres de long et peser jusqu’à 200 kilos

Espèce menacée d’extinction

Car la survie de l’arapaïma est bel et bien en question, en partie à cause de la surpêche. L’Amazonie fournit environ 10 pour cent de la pêche de poissons d’eau douce dans le monde. Véritable délice, avec une chair dont la saveur est comparable à celle du lieu noir et du cabillaud, l’arapaïma est extrêmement prisé et figure immanquablement sur la carte des restaurants étoilés Michelin de Rio de Janeiro. En 1996, une interdiction de pêche de l’arapaïma, sauf pour les pêcheurs locaux, a été imposée par les autorités de l’état de l’Amazonas. Cette nouvelle réglementation n’a hélas pas suffi à mettre fin à la surpêche. Plutôt que de pêcher les spécimens adultes à l’aide de leurs javelots, les pêcheurs ont commencé à utiliser des filets pour capturer des poissons plus jeunes.

La fragmentation de l’habitat naturel, c’est-à-dire son morcellement en plus petites zones, a également contribué à menacer l’arapaïma. La surpêche, la fragmentation de l’habitat ainsi que d’autres impacts des activités humaines ont fini par décimer les populations sauvages de ce poisson. En de nombreux endroits, l’espèce est même désormais proche de l’extinction.

Ce projet repose aussi bien sur la protection de la biodiversité que sur le bien-être des populations autochtones

Ce qui est bon pour les poissons est bon aussi pour les gens

João Campos-Silva est déterminé non seulement à sauver l’arapaïma mais aussi à améliorer ce faisant les moyens de subsistance et l’approvisionnement alimentaire des communautés rurales indigènes d’Amazonie, et à préserver leur culture. Car tout comme l’arapaïma, ces communautés dépendent des cours d’eau pour leur survie. Pour réussir son entreprise, il compte sur le concours des populations locales et des responsables de la politique de pêche brésilienne.

Expérience réussie

En réussissant à faire interdire la pêche dans plusieurs petits lacs alimentés par la Juruá, une rivière d’Amazonie occidentale, puis en développant avec la population locale une gestion prudente et réfléchie de la pêche, João Campos-Silva a d’ores et déjà démontré que l’arapaïma peut être sauvé. Les pêcheurs ne demandaient pas mieux que de changer de méthode, fatigués qu’ils étaient de rentrer chez eux les filets vides après une journée entière sur l’eau, alors que résonnent encore les récits des pêches légendaires et miraculeuses « d’avant ».

Le résultat de l’expérience menée par le jeune biologiste a été tout bonnement spectaculaire. Dans les lacs alimentés par la Juruá, la population d’arapaïmas s’est magnifiquement et rapidement remise. En certains endroits, l’expérience a permis de multiplier par 30 la population d’arapaïmas.

Une bonne chose également pour les autres animaux

João prévoit d’étendre ce programme de conservation à 60 communautés, représentant quelque 1200 personnes qui vivent sur les terres bordant les 2000 kilomètres de la Juruá. Le biologiste entend déployer un modèle de développement local qui repose aussi bien sur la protection de la biodiversité que sur le bien-être des populations d’Amazonie. Son ambition est de multiplier par quatre la population globale d’arapaïmas, en trois ans.

Le poisson géant n’est au demeurant pas le seul gagnant dans ce programme : l’interdiction de la chasse et de la pêche dans ces lacs a eu pour effet de faire revenir d’autres espèces animales menacées, comme les lamantins, les loutres géantes, les tortues géantes et les caïmans noirs.

L’optimisme est l’arme la plus importante dans la lutte pour un monde meilleur

Remède contre la pauvreté

Les populations indigènes profitent elles aussi de ces résultats puisque l’augmentation du nombre de poissons est synonyme de meilleures pêches. Chaque lac ‘fermé’ représente potentiellement un revenu moyen annuel supplémentaire de 9000 dollars pour les communautés locales. Cette nouvelle prospérité a permis de construire des écoles, développer des centres de santé et créer des emplois, ce qui à son tour a fait diminuer le nombre de jeunes qui quittent le village pour tenter leur chance ailleurs, généralement à la ville. Enfin, le fait que pour la première fois, les femmes peuvent aussi gagner leur vie avec la pêche, représente un important pas en avant.

João voit dans la sauvegarde de l’arapaïma un remède contre la pauvreté. « Je pense que la préservation de ce poisson par les communautés locales représente un des meilleurs outils dont nous disposons pour garantir un avenir durable dans les plaines inondables d’Amazonie. » Les plaines inondables sont les zones de débordement d’un cours d’eau, qu’on appelle aussi le ‘lit d’hiver’.

Le jeune biologiste étudie les mouvements et la dynamique des populations d’arapaïmas en suivant 30 spécimens équipés de télémètres radio. Il formera également 40 pêcheurs (hommes et femmes) aux techniques de recensement des arapaimas et de surveillance du braconnage, afin qu’ils puissent gérer de manière autonome les lacs et leurs populations de poissons.

Exemple pour le monde entier

La formation et la sensibilisation sont des facteurs essentiels dans le projet de João Campos-Silva et de son équipe. Ils organisent des ateliers de formation et recrutent des professeurs locaux qui encouragent la protection de l’arapaïma auprès des jeunes et soutiennent l’émancipation des femmes pour leur permettre de vivre elles aussi de la pêche.

Les autorités et des organisations environnementales encouragent le biologiste à partager les enseignements tirés de ses projets dans le bassin amazonien. Un des espoirs du jeune homme est que cet exemple de sauvetage de la faune sauvage et, par la même occasion d’amélioration de la qualité de vie des communautés locales, soit suivi un peu partout et se développe aux quatre coins de la planète.

« Ce projet démontre comment un écosystème sain peut être lié aux intérêts (économiques) d’une communauté », souligne João Campos-Silva. « C’est un tout autre narratif que le récit conventionnel que nous délivrons constamment et qui est empreint de catastrophisme. Nous pouvons tout aussi bien transmettre le message sous la forme d’une histoire positive, qui donne de l’espoir et de l’inspiration aux gens. L’optimisme est l’arme la plus importante dans la lutte pour un monde meilleur. »

Le prix Rolex à l’esprit d’entreprise a augmenté la crédibilité et l’échelle de mon projet

Penser plus grand que prévu

João Campos-Silva a reçu le Prix Rolex à l’esprit d’entreprise en 2019. « Cela a été un très grand honneur pour moi, et m’a donné l’opportunité de faire passer mon projet à l’échelle supérieure et de protéger des zones encore plus étendues. Beaucoup de portes se sont ouvertes, et cela m’a aidé à donner une plus grande crédibilité à mon projet. Nous avons pu penser plus grand que ce que nous avions jamais rêvé. Nous divisons désormais l’ensemble de la Juruá en zones, dans lesquelles chaque communauté locale reçoit la responsabilité de plusieurs lacs. Nous voulons relier entre elles ces communautés, afin de créer une chaîne d’avantages sociaux et économiques. »

« C’est inspirant d’explorer de nouvelles idées avec d’autres lauréats du Prix Rolex à l’esprit d’entreprise. Mais ce qui est surtout important, c’est que le Prix met en avant le rôle central joué par les communautés locales dans le futur de l’Amazonie. Elles accomplissent un travail très important, et c’est une bonne chose que le monde le reconnaisse. »

Rolex soutient des personnes et organisations qui recherchent et développent des solutions aux problèmes de la planète et qui ainsi contribuent à rendre le monde meilleur et à préserver la planète pour les prochaines générations. Dans cette série Le Vif met leurs efforts en lumière. Le Vif a réalisé ces articles en toute indépendance rédactionnelle.

Découvrez ici l’article précédant dans cette série : Rinzin Phunjok Lama préserve la biodiversité dans l’Himalaya

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