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Javry, testeur belge de l’importation de café en voilier

Estelle Spoto Journaliste

Décarboner le transport des denrées non-périssables comme le café, c’est possible. La société Javry et sa jeune équipe le prouvent dans les tasses avec la variété Comuneros, importée à la voile.

C’est écrit en bas du paquet. En-dessous du nom (« Comuneros  »), du lieu d’origine (« Aratoca, Santander, Colombie »), de l’altitude (« 1700 m »), de la variété (« 100% Arabica ») et du nom du producteur (« Oscar Daza »), et sous la description (« Un café d’exception avec une tasse fruitée sublimée par des notes gourmandes de caramel, de sucre vanillé et de cacao ») : « Café importé à la voile ». La mention est soulignée par un point d’exclamation. Il fallait bien un signe de ponctuation de ce genre pour mettre en évidence la particularité de ce paquet de café bio. Une particularité qui rappelle un passé légendaire, peuplé dans les imaginaires de corsaires et d’aventuriers, et qui ouvre des espoirs immenses par rapport au futur. Parce que ce paquet de café Javry constitue la preuve tangible que d’autres modes de transports de marchandises, bien moins carbonés, sont possibles. Grâce au vent, énergie renouvelable et non polluante.

« Le transport de ce café en voilier coûte 4 euros par kilo, là où en temps normal c’est 20 cents, soit 20 fois moins, précise Pierre-Yves Orban, cofondateur et directeur technique de Javry, petite société belge qui fournit du café aux particuliers, aux entreprises et en vrac dans une série de magasins, qui torréfie à Bièvre et dont les espaces de stockage sont situés à Schaerbeek. Mais nous n’avons pas additionné directement ces 4 euros au prix final pour le consommateur, nous avons nous-mêmes absorbé une partie de la différence. Nous voulons assumer notre part en interne sur cette innovation écologique pour que ce soit moins impactant pour nos clients. C’est logique que chaque maillon de la chaîne prenne sa part dans l’effort. Nous allons gagner moins d’argent sur ce café, ce n’est pas le café sur lequel nous allons vivre, mais nous voulons montrer que c’est possible et conscientiser les gens. »

Pari fou

A 31 ans, cet ingénieur informatique originaire de Jodoigne pilote Javry depuis 2017 avec son associé et ami de longue date Maxence Lacroix. « Javry, c’est la contraction de « Java », l’île d’Indonésie réputée pour son café, et de « delivery », « livraison », explique-t-il. A l’origine, Javry était un service de livraison de café à domicile – chaque mois un café différent – à destination des particuliers. » Au départ, l’accent est plutôt placé sur la qualité des cafés proposés, mais se déplace rapidement sur le côté équitable et la traçabilité. « Nous voulions savoir d’où venait notre café, se souvient Pierre-Yves Orban. Nous voulions être sûrs que les producteurs étaient rémunérés correctement, que le travail était bien fait, dans le respect de la terre, dans de l’agriculture raisonnée. » Pour cela, Javry a commencé à collaborer avec un « sourceur », la société française Belco, basée à Bordeaux, qui réunit des agronomes experts du café et des logisticiens pour gérer le transport, en contact direct avec les producteurs. « Belco trouve les coopératives et les producteurs, mais les accompagne aussi, poursuit Pierre-Yves Orban. Pour les aider à passer au bio, à améliorer leur système de séchage. Ca permet de tisser des liens. Nous nous engageons à leur acheter du café pendant plusieurs années, ce qui permet aux cultivateurs d’investir. »

C’est le CEO de Belco, Alexandre Bellangé, qui a parlé aux deux associés de Javry de son pari un peu fou de tenter l’importation de café à la voile. Le projet se monte en partenariat avec une autre société française, TOWT (Transoceanic Wind Transport), dont l’objectif est de réhabiliter le transport de marchandise à la voile. Le duo belge est partant et, avec plusieurs autres torréfacteurs français, s’engage à acheter une partie de la cargaison :  3 tonnes sur les 22 tonnes importées. C’est peu par rapport aux 50 tonnes de café qu’écoule Javry sur une année, mais c’est un premier pas. « C’est une petite quantité par rapport à notre volume global, reconnaît Pierre-Yves Orban, mais pour nous en tant qu’acheteur le coût du transport au kilo est beaucoup plus élevé, parce qu’il faut payer les seize membres de l’équipage, parce qu’on transporte beaucoup moins (à titre de comparaison, un porte-conteneurs conventionnel peut transporter 38 000 tonnes) et parce que le voyage dure plus longtemps. La traversée de l’Atlantique prend deux mois. Le bateau est parti le 8 décembre 2021 de Colombie et est arrivé le 7 février à Bordeaux. Nous avons reçu le café en mars en Belgique et à la fin du mois nous avons effectué la première torréfaction. Maintenant, nous le torréfions toutes les semaines. »

Jusqu’à 1100 tonnes

Comuneros est le café le plus cher de la gamme proposée par Javry, mais il affiche seulement quelques euros de plus que la variété située juste en-dessous dans le classement des prix. Avec une valeur ajoutée non négligeable, qui rencontre un beau succès. « Surtout parmi notre clientèle de particuliers, relève Pierre-Yves Orban, qui sont plus sensibles que les entreprises à cet argument, qui sont très réceptifs à des cafés qui ont une histoire. Ils sont prêts à mettre le prix pour des cafés qui répondent à leurs valeurs. »

Javry a de grandes ambitions par rapport à ses importations durables : 50 % de café importé à la voile en 2025. « Je pense que c’est faisable », affirme le co-fondateur. C’est que TOWT, actif depuis 2011 avec une première expédition transmanche et qui jusqu’ici affrète de vieilles –de parfois un siècle- goélettes rénovées, entend passer très prochainement à la vitesse supérieure. « Ce transport en goélette leur a leur a permis de conscientiser le grand public mais aussi des investisseurs privés, souligne Pierre-Yves Orban. Ils ont réuni les fonds pour lancer la construction d’un voilier-paquebot qui pourrait transporter jusqu’à 1100 tonnes. » TOWT a annoncé la mise à flot de ce premier navire hors du commun en juin 2023. Et la construction de trois autres bateaux du même genre pour 2026, afin d’offrir une alternative efficace, compétitive, au transport maritime classique, qui lui risque de souffrir en prime du coût croissant des énergies fossiles. Une vraie flotte fonctionnant à l’énergie verte. Une perspective réjouissante qui rend la dégustation de ce café qui a le vent en poupe encore plus exquise.

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