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Edith Singleton : « L’école doit aborder autrement les questions climatiques »

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Enseignante en haute école à Bruxelles, membre du réseau Profs en transition, éco-anxieuse autoproclamée mais infatigable porteuse de projets constructifs et collectifs, Edith Singleton, 36 ans, est à la base du premier certificat en Education relative à l’environnement proposé en Belgique francophone, à la prochaine rentrée. Parce que le besoin est criant, détaille-t-elle.

En septembre prochain, la Haute Ecole Lucia de Brouckère, sur le campus du Ceria, à Bruxelles, proposera un certificat en Education relative à l’environnement. Le premier en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il porte la griffe d’Edith Singleton, qui se bat pour que l’école aborde autrement notre rapport à la planète et aux enjeux climatiques.

Pourquoi avoir créé ce certificat ?

Edith Singleton : Un ensemble de constats de carence m’y poussaient. J’ai fait cinq ans à l’UCLouvain, et on ne m’y a jamais parlé des enjeux climatiques ; j’ai enseigné, et le système scolaire me limitait à faire faire de la gym aux élèves, donc à ne jamais aborder ces enjeux ;  à la Haute Ecole, quand j’ai voulu former mes étudiantes à la vélo-éducation – accompagner un groupe d’enfants à vélo dans la circulation, plutôt que prendre un bus pour aller à la piscine –, je me suis rendu compte qu’elles le faisaient juste parce que c’était dans le programme, sans avoir perçu les liens avec les enjeux environnementaux ; en réaction, je leur ai fait voir le film Demain, pour qu’elles intègrent l’impact de notre mobilité sur la planète mais je me suis demandé si l’éco-anxieuse, ou l’éco-malade, que je suis n’était pas en fait occupée à uniquement leur transmettre ses propres craintes et pas du tout des compétences. Alors, j’ai voulu me former à la pédagogie de la transmission des enjeux et j’ai découvert que l’Université du Québec, à Montréal (UQAM) proposait un certificat d’Education relative à l’environnement, ce qui n’existe pas chez nous, hors secteur associatif. J’ai suivi la formation, à distance, en 2021. C’était incroyablement qualitatif. Comme j’étais devenue coordinatrice développement durable, ici, à la Haute Ecole, j’y ai proposé la création du certificat.

De quoi s’agit-il concrètement ?

Edith Singleton : C’est modeste par rapport à ce que fait l’UQAM : dix crédits, une soirée toutes les deux semaines, mais c’est un début. L’objectif est de former les enseignant(e)s, de la maternelle au supérieur, en espérant qu’ils/elles forment ensuite les étudiant(e)s. Le cursus s’adresse aussi au monde associatif. On va aborder la communication, les enjeux psychologiques, notre modèle d’école, notre modèle de société, l’ouverture à l’éducation aux médias, à l’esprit critique, aux questions de genre. Et on fera intervenir des expert(e)s – – le certificat serait organisé en codiplômation avec la Haute Ecole Francisco Ferrer et l’ULB – – sur tel ou tel enjeu, pour, après, décrypter et voir comment on peut s’en resservir, mobiliser, adapter, vulgariser.

Globalement, aborder le climat et l’environnement dans l’enseignement, aujourd’hui, c’est balancer des chiffres, montrer la fresque du climat, donner des injonctions

Edith Singleton

Notre enseignement passe à côté des enjeux climatiques ?

Edith Singleton : Globalement, aborder le climat et l’environnement dans l’enseignement, aujourd’hui, c’est balancer des chiffres, montrer la fresque du climat, donner des injonctions, une sorte de « prenez connaissance de l’ampleur de la catastrophe » et puis on laisse chacun(e) complètement seul(e) face à ses émotions, à ce que ça produit intérieurement. C’est pour ça qu’on a créé le Jardin du Ceria, en 2019, sur le campus. Pour renouer un contact positif avec l’autre, le vivant, la nature. Pour remettre les mains dans la terre, pour se sentir connecté(e), voir une petite bête et se dire qu’on va faire attention, ne pas l’écraser. Pour porter soin et attention à quelqu’un d’autre. Alors seulement, le fait d’éteindre la lumière en partant prend du sens et n’est plus seulement une consigne dictée par l’adulte ou l’enseignant(e). Le modèle d’Education relative à l’environnement comprend l’environnement comme lieu auquel on se sent appartenir. Ça peut être l’école, le quartier de l’école, tout le pays, le continent et puis après ça peut être exporté à toute la planète. En fait, ce projet d’’Education relative à l’environnement, c’est remettre les écoles en lien avec le monde extérieur, où les gens ont pris conscience que le dérèglement climatique c’est du concret, du réel. Avant, l’enjeu était d’informer, de donner les bases, ce que j’appelle la culture générale du climat, de la biodiversité, etc. Maintenant, normalement, toute personne qui s’informe un tant soit peu est au courant. Du coup, je suis dans « l’après », dans la phase qui consiste à transformer le savoir en engagement. C’est pour ça que j’aimerais créer une chaire de recherche en Education relative à l’environnement, pour y faire échanger les enseignant(e)s sur ces questions-là et s’inspirer les un(e)s des autres.

Le Jardin du Ceria (DR)

Vous êtes isolée, dans ces convictions ?

Edith Singleton : Non, on est de plus en plus ! D’ailleurs, la recherche, c’est l’un des objectifs du réseau Profs en transition, créé en Belgique francophone en février 2022, et qui réunit 150 profs de l’enseignement supérieur (des 19 hautes écoles) de Fédération Wallonie-Bruxelles. Sa raison d’être est de faire collectif, de mutualiser, pour être plus efficaces – partager, c’est aussi le modèle de la transition. Le réseau est indépendant et critique, et il pousse à une espèce de voie parallèle. Si l’Education au développement durable forme de bons petits citoyens, modèles, capables de réduire leur empreinte carbone et de participer à l’effort collectif, et c’est très bien, l’Education relative à l’environnement, elle, est émancipatrice pour chaque individu. On va aider l’enfant à prendre conscience que son environnement, ses interactions avec les autres et avec la nature peuvent contribuer à ce qu’il/elle soit quelqu’un qui est mieux dans sa peau. On va construire son propre rapport au monde et aux savoirs en visant une approche critique des réalités sociales, environnementales et éducationnelles. Parce que la transition, c’est questionner les valeurs, le modèle de société dans lequel on veut vivre, l’avenir qu’on projette, ce qu’il nous faut pour être bien.

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