Ecopower: « N’oubliez pas que l’énergie éolienne est très rentable »
Après 30 ans, Ecopower affiche un beau palmarès et l’avenir s’annonce radieux. Le pionnier de l’énergie coopérative éolienne terrestre se prépare à faire le grand saut vers les éoliennes off-shore en Mer du Nord. « Nous avons besoin de lois pour garantir la participation des citoyens dans notre approvisionnement énergétique. »
Tout a un prix. A quelques exceptions près: la lumière et la chaleur du soleil sont gratuites. Chez Ecopower, on l’a bien compris. Le vent lui aussi est gratuit dans nos contrées. La coopérative de fourniture d’électricité exploite ces deux sources d’énergie renouvelable, mais est surtout connue pour ses parcs éoliens. Tout a pourtant commencé avec l’eau, un élément naturel qui met sa force à notre disposition gratuitement, même si ce n’est pas toujours sans risque. En octobre 2021, à l’occasion de son 30e anniversaire, l’origine de la coopérative citoyenne a refait surface. Le cadre de cette célébration était le moulin à eau de Rotselaar, dont l’histoire remonte au XIIIe siècle. Non seulement il servait à moudre le grain, mais entre 1907 et 1947, le moulin sur la Dyle entraînait une turbine qui fournissait de l’électricité à tout le village.
« C’est ainsi que tout a commencé », raconte Margot Vingerhoedt. « Dirk Vansintjan vivait avec sa compagne Relinde Baeten et d’autres couples dans la meunerie, dans le cadre d’un « co-housing » avant la lettre. Ils ont décidé de restaurer le moulin et la turbine pour relancer la production d’électricité. Ce fut plus vite dit que fait, car les installations se trouvaient dans un état pitoyable. Pour le financement, ils ont opté pour une coopérative, à l’image de ce qui se faisait en Allemagne et aux Pays-Bas pour permettre aux citoyens de prendre en charge la production d’énergie. En 1991, Ecopower a vu le jour et la centrale hydroélectrique a rapidement produit suffisamment d’électricité pour 120 ménages. Peu après, le groupe s’est tourné vers l’énergie éolienne. Les premières éoliennes ont été construites en 2001 à Eeklo, une petite de 600 kW et deux grandes de 1,8 MW chacune. Imaginez: Ecopower possédait à l’époque le plus grand parc éolien de Belgique ! Le tout issu de travail de bénévoles, car la professionnalisation de la coopérative ne date que de 2003. »
Il est absurde d’abandonner la fourniture d’énergie à des investisseurs qui transfèrent leurs bénéfices à l’étranger.
Margot Vingerhoedt
Responsable de la Communication chez Ecopower
Hausse des prix de l’énergie
Depuis cette époque, les choses ont bien changé chez Ecopower. La responsable de la communication, Margot Vingerhoedt, fait partie de l’équipe des 53 collaborateurs permanents du quartier général, idéalement situé en face de la gare d’Anvers-Berchem. Nous nous installons dans une salle de réunion aux parois de verre, avec vue sur un bureau paysagé en bois durable. « Le monde extérieur a encore tendance à nous considérer comme une bande de soixante-huitards », explique Vingerhoedt. « Alors qu’en réalité, nous sommes une société de haute technologie. La société grouille d’ingénieurs et d’informaticiens, nous planifions, créons et développons nous-mêmes nos projets. »
En arrière-plan, nous entendons les collaborateurs, munis d’un casque d’écoute, converser à voix basse. Pas avec des clients, car ce mot n’est pas approprié. Ils discutent avec les coopérateurs des versements de provisions et des décomptes annuels.
Entre-temps, Ecopower compte plus de 65.000 coopérateurs. Des Flamands qui détiennent au moins une action Ecopower de 250 euros. C’est la condition pour signer un contrat de fourniture d’électricité verte produite localement.
Nous sommes trop loin du call center pour entendre, mais nous pouvons deviner que beaucoup d’appels proviennent de candidats coopérateurs. L’intérêt est énorme depuis que l’on sait que l’électricité fournie par Ecopower est environ 30% moins chère que chez les autres fournisseurs. Les intéressés sont toutefois poliment éconduits depuis qu’Ecopower a annoncé un arrêt temporaire des nouveaux contrats à la mi-janvier. Une mesure d’urgence après que la hausse sans précédent des prix de l’énergie depuis le milieu de l’an dernier ait déclenché une avalanche de nouvelles demandes.
A première vue, cette réaction peut sembler étrange. Ecopower s’est en effet donné comme objectif de fournir de l’électricité verte et produite localement à un maximum de consommateurs. Margot Vingerhoedt soupire. Ces dernières semaines, elle a dû l’expliquer de nombreuses fois. « Nous ne sommes pas une société commerciale qui vend de l’électricité dans le but d’engranger un maximum de profits », explique-t-elle.
« Nous produisons de l’électricité verte et nous la distribuons à nos membres au prix le plus avantageux possible. Si nous réalisons des bénéfices, par exemple en vendant nos surplus de production, cet argent est redistribué aux coopérateurs sous forme de dividende, à hauteur de maximum 6%. Les prix élevés actuels sont déterminés par les marchés internationaux du gaz et du pétrole. Nous pourrions donc engranger d’énormes bénéfices car l’électricité verte est aujourd’hui beaucoup meilleur marché, tout comme l’énergie nucléaire. Mais comme nous ne sommes pas liés au marché, nous refusons d’appliquer les prix en vigueur actuellement. »
Pourquoi ne pas profiter de ces circonstances particulièrement avantageuses pour doubler le nombre de coopérateurs ? « C’est simple », poursuit Vingerhoedt. « Nous ne pouvons vendre à ce prix avantageux que l’électricité que nous produisons. Si nous doublons le nombre de consommateurs, cela signifie que nous devons doubler notre capacité de production, ce qui est malheureusement impossible. »
Guerre de tranchées juridique
Cette dernière petite phrase cache une bonne dose de frustration. La capacité de production d’électricité verte d’Ecopower augmente régulièrement mais beaucoup trop lentement pour répondre à l’explosion de la demande. Ce n’est pas par manque de soleil. Le parc d’installations photovoltaïques augmente rapidement. Ecopower en installe dans toutes sortes de formats et de configurations, surtout pour le compte des pouvoirs publics et des entreprises.
Le problème se situe dans l’éolien, qui représente encore 95% de la capacité propre. « Notre portefeuille comprend aujourd’hui 20 éoliennes », explique Vingerhoedt. « Au lieu d’en construire de nouvelles, nous avons dû en détruire trois en 2021 à cause de l’échéance du permis. Les plans et projets d’élargissement sont en nombre suffisant, mais nous ne réussissons pas à les concrétiser. En Flandre, il est devenu quasiment impossible d’obtenir un permis pour une éolienne on-shore. Ces deux dernières années, nous n’avons pu en installer aucune et cela fait mal. Les permis peuvent être freinés ou refusés à tous les niveaux et nous nous heurtons quasi systématiquement à des comités de quartiers, qui avancent les arguments habituels de type « nimby ». Le bruit, l’ombre, les oiseaux et les chauves-souris et la valeur des maisons environnantes. Il est parfois touchant de constater à quel point les habitants d’un quartier résidentiel se préoccupent soudain de la biodiversité dans les bois où ils circulent sans complexe avec leurs SUV polluants. Chaque projet se transforme en guerre de tranchées juridique. S’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils s’adressent au Raad voor Vergunninsbetwistingen (Conseil des contestations de licences) et, si nécessaire, au Conseil d’Etat pour bloquer les projets d’énergie éolienne. Le monde politique nous soutient, mais il peut parfois tourner avec le vent. A Schoten, nous avons mis sur pied un dossier avec le soutien de la commune pour deux éoliennes que nous souhaitions construire sur le site d’une ancienne décharge le long du Canal Albert. Quelques opposants se sont associés pour former un comité de quartier et les politiciens locaux ont retourné leur veste. Au lieu de penser à une stratégie à long terme, positive pour le bien commun, ils se focalisent sur les prochaines élections. Nous comptions construire six éoliennes sur le terrain du SCK à Mol. Le projet était déjà bien avancé, mais la ministre flamande de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA) l’a tout de même rejeté avec l’argument bizarre qu’elle ne voulait pas hypothéquer l’avenir de l’énergie nucléaire. »
Coopératives citoyennes
Ecopower n’est pas la seule à en souffrir. De la réponse à une demande écrite du spécialiste de l’énergie du parti PTB/PVDA, Tom de Meester, au gouvernement flamand, il est apparu en mai de l’an dernier que pas moins de 253 procédures judiciaires étaient en cours contre des projets d’éoliennes. Sur la liste, on trouve des géants de l’énergie comme Engie Electrabel, EDF, Luminus et Eneco, ainsi que des sociétés énergétiques commerciales comme Aspiravi ou Elicio, qu’il ne faut pas confondre avec des coopératives citoyennes comme Ecopower ou d’autres coopératives sœurs comme Beauvent, Energent ou Volterra.
N’oubliez pas que l’énergie éolienne est très rentable. Une éolienne génère en moyenne 4 millions d’euros de bénéfices sur un cycle de vie de 20 ans
Margot Vingerhoedt ne laisse planer aucun doute: le fait qu’ils soient mis à la même enseigne en matière de permis ne signifie pas qu’ils soient des alliés naturels. « Il existe une différence entre les véritables coopératives citoyennes et les constructions de type FINcoop comme Aspiravi ou la branche d’énergie éolienne d’Engie », explique-t-elle.
« Alors que nous comptons environ 3.000 coopérateurs par éolienne, les FINcoops n’en comptent que quelques dizaines. En fait, il s’agit de véhicules d’investissement où les investisseurs entrent par le biais de prêts subordonnés. N’oubliez pas que l’énergie éolienne est très rentable. Une éolienne génère en moyenne 4 millions d’euros de bénéfices sur un cycle de vie de 20 ans. L’électricité produite est bien entendu verte, mais le modèle d’exploitation sous-jacent n’a rien de commun avec le concept de coopérative. Il suffit pour s’en convaincre de lire les sept principes de l’ICA (International Cooperative Alliance ou Alliance Coopérative Internationale). Indépendance, participation économique et contrôle démocratique par les membres, attention envers la communauté, formation et éducation, coopération mutuelle… Et ce ne sont que quelques-unes des principales caractéristiques des véritables coopératives de citoyens. »
Ecopower tape depuis longtemps sur le même clou: le secteur a besoin d’une législation garantissant la copropriété et la participation des citoyens à l’approvisionnement en énergie. « L’énergie verte fait partie des biens communs, car le soleil et le vent appartiennent à tout le monde », affirme Vingerhoedt. « Aux Pays-Bas, ce principe est coulé dans la loi sur le climat: 50% de l’électricité verte produite doit provenir des citoyens. Nous demandons depuis des années un minimum de 20%. De nombreuses villes et communes ont repris ce principe dans leurs règlementations locales. Eeklo a même placé la barre plus haut, c’est-à-dire à 50%. Ce sont de nobles intentions mais, en l’absence de cadre juridique au niveau flamand, elles ne sont pas contraignantes. Pas même à Eeklo, le berceau d’Ecopower. Après notre projet, 23 éoliennes supplémentaires ont obtenu un permis, les caractéristiques géographiques du Meetjesland étant exceptionnellement bien adaptées à l’énergie éolienne. Seule une d’entre elles se trouve aux mains de citoyens via Ecopower et Volterra. »
From sea to socket
Peut-être les choses seront-elles différentes lorsqu’Ecopower franchira le pas vers l’off-shore ? Le pionnier de l’éolien de Berchem ne se lancera pas seul. Ecopower est à l’origine de la mise sur pied de REScoop, un réseau de coopératives dont la structure faîtière est dirigée par Dirk Vansintjan. 34 des 38 membres belges, coopératives et communautés énergétiques se sont unis au sein de la coopérative Seacoop voor Burgerwind op Zee (Coopérative maritime pour la production d’énergie éolienne citoyenne en mer).
L’objectif est de participer l’an prochain à l’adjudication pour le nouveau parc éolien off-shore de la Mer du Nord, d’une capacité totale installée de 1,8 gigawatt. « Si nous réussissons », poursuit Vingerhoedt, « nous pourrons fournir de l’électricité verte à un million de ménages flamands, littéralement from sea to socket (de la mer à la prise, ndlr). C’est la grande différence par rapport au projet – aujourd’hui terminé – sur la dune Thornston, dont la totalité de l’énergie produite est distribuée à des clients industriels. C’est ce qui arrive lorsque l’objectif consiste à maximiser les profits. »
Vingerhoedt nous invite à rêver d’un avenir où l’électricité « citoyenne » sera devenue la norme. « Nous traversons une triple crise », explique-t-elle. « Une crise climatique, une crise énergétique et, suite à l’éclatement de la guerre en Ukraine, nous traversons une crise de dépendance qui retient beaucoup l’attention. L’électricité citoyenne est une réponse à chacune de ces crises. N’est-il pas absurde de laisser notre approvisionnement en électricité aux mains d’investisseurs qui transfèrent les bénéfices à l’étranger ? Prenons nous-mêmes les choses en main et utilisons les bénéfices de la production d’électricité verte pour financer la transition énergétique. Nous pouvons par exemple financer l’isolation des habitations, notamment des logements sociaux au lieu de laisser cet argent s’envoler vers des paradis fiscaux. »
Pellets
A première vue, il peut sembler étrange qu’un acteur de la transition énergétique vende des pellets pour le chauffage domestique. Cette contradiction n’effraie pas Vingerhoedt. « Nous recevons de nombreuses questions à ce sujet », poursuit-elle. « Sur le plan écologique, c’est bien entendu une hérésie de faire venir par bateau des pellets du Canada pour faire tourner des centrales électriques. Mais Ecopower produit elle-même ses granulés de bois dans une usine coopérative à Ham, à base de biomasse provenant d’un rayon de maximum 150 km. Avec une chaudière performante, le rendement atteint 90%, ce qui en fait une forme durable de chauffage domestique. La Flandre compte encore près de 200.000 chaudières au mazout et au bois. Nous pourrions réduire sensiblement nos émissions de CO2 si nous pouvions les remplacer par ces chaudières à pellets modernes. Les pellets ne jouent qu’un rôle modeste dans la transition énergétique et il existe de nombreuses autres solutions. La combinaison d’une pompe à chaleur avec des panneaux solaires devient de plus en plus intéressante et les réseaux de chaleur sont une solution idéale pour les milieux urbains. Nous sommes d’ailleurs en train d’y travailler. A Mortsel, nous participons au projet Warmte Verzilverd (Chaleur monnayée), un réseau de chaleur qui alimentera un nouveau site composé de 300 logements à l’aide de l’énergie résiduelle produite par Agfa-Gevaert. A Eeklo également, nous participons à un projet de réseau de chaleur. Nous ne sommes pas dogmatiques, mais pragmatiques. Chaque (petit) pas dans la bonne direction est important. »
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