Deux nouveaux parcs nationaux wallons pour sauvegarder la biodiversité
Annoncés officiellement en décembre, les deux parcs nationaux wallons sont dans les starting-blocks pour de multiples actions en faveur de la biodiversité.
Yellowstone et le Grand Canyon aux Etats-Unis, le Kruger, le Masai Mara, le Serengeti, Etosha en Afrique, Iguazu en Amérique du Sud, le Mercantour en France… A cette liste de noms prestigieux, dont l’énonciation fait immédiatement surgir des images de paysages sublimes et de faune incroyable, il faut désormais ajouter deux nouveaux venus: la Vallée de la Semois et l’Entre-Sambre-et-Meuse. Car depuis décembre, la Wallonie compte, elle aussi, deux parcs nationaux, désignés après un appel à candidatures lancé à l’été 2021. Jusque-là, la Belgique n’en comptait qu’un seul, en Flandre: le parc national de la Haute Campine, inauguré en 2006.
«Ce projet de parcs nationaux wallons prend place dans une réflexion sur la préservation de la biodiversité, avec la conscience très claire que nous devons absolument accroître nos actions en ce sens. Parce que la biodiversité, c’est la base de notre alimentation, de l’air que nous respirons, de la purification de l’eau que nous buvons… La biodiversité permet l’habitabilité de la planète, précise Céline Tellier (Ecolo), ministre wallonne en charge de l’Environnement, de la Nature et de la Forêt, et initiatrice du projet. Or, on sait que la biodiversité est en danger, à l’échelle internationale, mais aussi à l’échelle de la Wallonie, et la restaurer est un défi gigantesque.»
Il faut que le visiteur se rende compte qu’il ne vient pas à Pairi Daiza, il ne vient pas voir un lynx ou une loutre dans son espace naturel.
Pas de saupoudrage
Sept candidats ont répondu à l’appel et ont déposé une note d’intention pour la première phase de la sélection. En décembre 2021, quatre d’entre eux ont été retenus par un jury d’experts indépendants et ont obtenu chacun une subvention de 250 000 euros pour réaliser un dossier complet. Le 9 décembre 2022, un communiqué annonçait les deux projets retenus: les parcs nationaux de la Vallée de la Semois et de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Pourquoi deux? «En fonction des enveloppes budgétaires disponibles, il nous a semblé préférable de soutenir deux projets avec des moyens suffisants plutôt que d’en sélectionner davantage et de faire un saupoudrage budgétaire, justifie la ministre. «Parc national» est une catégorie qui doit rester de très haute qualité. L’idée n’est pas de brader ce concept reconnu à l’international, selon des critères définis par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).»
Les parcs nationaux constituent une des catégories des «aires protégées» dont font aussi partie les réserves naturelles. Ils ont pour caractéristique de combiner des enjeux touristiques et la nature, en mettant au cœur du projet la protection de celle-ci et l’amélioration de la biodiversité. Reflet de ce mélange entre sauvegarde de l’environnement et développement touristique, les deux parcs wallons ont reçu une double enveloppe: 13 millions d’euros accordés par Céline Tellier – dont 70% pour la préservation de la nature et 30% pour la valorisation des milieux naturels et 1,4 million d’euros accordé par la ministre Valérie De Bue (MR), en charge du Tourisme. Ajoutez à cela les 20% du budget à charge de chaque parc national et le montant total s’élève à 18 millions, à dépenser pour juin 2026.
La carte et le territoire
Si tourisme et nature sont deux domaines a priori complémentaires, tout l’enjeu des projets est de favoriser le premier sans qu’il ne devienne néfaste pour le second. Pas si évident. «Avec la pandémie de Covid, quand le Belge ne pouvait pas partir en vacances à l’étranger, la pression touristique fut très importante ici et nous avons constaté des dégradations, du vandalisme et des infractions dommageables pour l’environnement, souligne Nicolas Ancion, codirecteur, avec Hélène Poncin, du parc national de la Vallée de la Semois. Notre crainte est que la nouvelle attractivité du territoire en tant que parc national ne renforce ce phénomène, ce qui serait contre-productif.»
En matière de structuration et de superficie, la Wallonie n’est évidemment pas comparable aux Etats-Unis ou à l’Afrique du Sud. «Les parcs nationaux à l’étranger présentent souvent en leur centre une zone cœur complètement interdite, détaille Nicolas Ancion. Autour, on trouve un premier cercle accessible principalement aux gestionnaires. Puis un deuxième pour les touristes et les naturalistes, et enfin une zone ouverte au grand public. Pour la gestion des flux, c’est relativement facile. Mais chez nous, c’est un bassin de vie, avec des villages, des enclaves qui ne font pas partie du parc national. On ne peut donc fonctionner de cette manière.»
Au vu des cartes des deux parcs, on peut deviner que la délimitation du territoire ne fut pas une mince affaire. «Notre territoire est très morcelé, le plus fragmenté des quatre candidats du deuxième tour», relève Johanna Breyne, directrice du parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse. «Au départ, il y avait le parc naturel Viroin-Hermeton, à Viroinval, et la réserve naturelle de l’étang de Virelles, à Chimay. Mais il fallait que le territoire soit continu, pas des blocs isolés. Nous avons travaillé avec la commune de Couvin pour qu’elle intègre au projet toutes ses forêts communales en Ardenne afin de faire la connexion. Un peu plus tard sont arrivées Froidchapelle et Momignies. Quant aux propriétaires privés, ils étaient seize, pour un total de mille hectares, à avoir adhéré au projet lors de la remise de la candidature. On est ici dans une démarche volontaire, contrairement à la France, par exemple, où on trace les limites du parc national et on impose une réglementation à l’intérieur de ces limites. Ici, ça se construit en sens inverse. Cela apaise les craintes.» L’appel à candidatures autorisait 20% de zones en développement, qui serviront à l’avenir à relier les zones nodales pour lesquelles un accord a déjà été trouvé avec les propriétaires. Ce sera un des chantiers du parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse, avec un gros travail de communication à activer.
Trois écosystèmes
Un des principaux points forts du projet de parc de l’Entre-Sambre-et-Meuse est sa diversité de paysages et de biotopes du fait de sa situation à cheval sur la Fagne, constituée de schiste, où les rivières serpentent entre les prairies de fauche, la Calestienne et ses pelouses calcaires où poussent de petites orchidées, et l’Ardenne, couverte de forêts anciennes. Pour chacun de ces trois milieux, le projet du parc prévoit trois actions phares en faveur de la biodiversité. «En Fagne, il s’agit de la reméandration de l’Eau Blanche, dont le cours a été canalisé, précise la directrice. L’objectif est de restaurer le fonctionnement naturel de la rivière, en remédiant par la même occasion aux problèmes d’inondations. En Calestienne, les pelouses calcicoles présentent une biodiversité qu’on ne trouve pas ailleurs mais exigent pour l’instant un entretien continu. Le but est de réinstaller le pastoralisme, à l’origine de la création de ce milieu. Nous allons restaurer ces pratiques de passage des troupeaux de moutons, qui apporteront un plus à l’aspect touristique, mais qui permettront aussi de décarboner l’entretien des pelouses, de ne plus utiliser de machines. Avec, en plus, la création de sous-produits: viande, laine, notamment en lien avec le projet «laine fleurie» de Natagora, qui vise à redynamiser la filière laine avec des moutons qui pâturent en réserve naturelle. Quant à l’Ardenne, l’objectif premier est d’arrêter l’exploitation sylvicole sur une partie de la forêt pour la laisser vieillir en libre évolution, ce qui a de nombreux avantages pour la biodiversité, mais aussi pour lutter contre l’érosion du sol, avoir une meilleure infiltration de l’eau et une meilleure résilience.» Avec cette diversité de milieux, le parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse abrite 80% des espèces de faune et de flore présentes en Wallonie. Une richesse unique.
Lynx, loutres, loups et humains
Réunissant autour du cours de la Semois deux cœurs de parcs naturels (celui de l’Ardenne méridionale et celui de Gaume), le parc national de la Vallée de la Semois fait monter ce chiffre à 84%. «Nous avons 110 espèces d’oiseaux nicheurs, soit 65% des espèces présentes en Wallonie, dix espèces d’amphibiens, six espèces de reptiles dont la vipère péliade, plusieurs poissons sur liste rouge, 19 espèces de mammifères, vingt espèces de chauves- souris sur les 24 présentes en Wallonie, 69 espèces de papillons sur les 77 espèces wallonnes. Pareil pour les abeilles, les fougères, les bryophytes…», énumère Hélène Poncin.
La Vallée de la Semois peut aussi compter sur deux mascottes de taille: le lynx – un individu, mâle, «peut-être deux», nous dit-on – et la loutre. «Mais il faut que le visiteur se rende compte qu’il ne vient pas à Pairi Daiza, il ne vient pas voir un lynx ou une loutre dans son espace naturel», relève Nicolas Ancion. «Nous avons une fiche action dédiée au lynx, pour favoriser l’habitat qu’il apprécie, précise Hélène Poncin, pour que celui – ou les deux – qui est là reste et que d’autres individus puissent arriver naturellement. Mais on sait que ce sera compliqué, parce que les autres populations de lynx sont assez éloignées. Si, au bout des trois ans, on estime que toutes les conditions sont réunies, et qu’entre-temps le loup n’est pas partout – car dans trois ou quatre ans, il est à peu près certain qu’il y en aura – peut-être qu’on pourra envisager de réintroduire quelques lynx.» Pour l’instant, le lynx et les loutres se font très discrets, et même les photographes spécialisés qui ont réussi à les «capturer» avec leur objectif gardent ces lieux secrets pour ne pas y créer un afflux de curieux.
On retrouve ici l’équation délicate attractivité versus protection de la nature. Dans les deux parcs nationaux, un des principes est d’accueillir les touristes à des endroits stratégiques, des portes d’entrée à partir desquelles canaliser les flux sur des itinéraires déterminés et reliées avec de la mobilité douce. En Entre-Sambre-et-Meuse, cinq portes thématiques, une pour chaque commune, ont été définies. Une seule est déjà opérationnelle: l’Aquascope de Virelles, à Chimay. A Couvin s’ouvrira une Maison de la Forêt, sur le site des grottes de Neptune ; à Viroinval, l’impressionnant bâtiment de l’ancienne tannerie de Dourbes sera reconverti en centre d’accueil touristique ; à Froidchapelle, la porte reliera le parc aux lacs de l’Eau d’Heure et à Momignies, c’est une ancienne brasserie à la vapeur, où toute la machinerie est encore présente, qui sera réactivée.
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Côté Semois, on peut se reposer sur le patrimoine touristique de la région. «Les zones des portes, toutes situées en périphérie sauf Herbeumont, ont déjà une capacité d’accueil sur les plans de l’Horeca et des attractions, relève Hélène Poncin. On peut citer les ardoisières au domaine de la Morépire à Bertrix ou Ardois’Alle à Vresse, le château de Bouillon, celui d’ Herbeumont, le pont de claies à Vresse-sur-Semois… On est sur un territoire avec une riche histoire touristique. A une certaine époque, Chiny et Bouillon étaient des lieux de villégiature très prisés. Des reliquats de ces aménagements subsistent, mais ils doivent être redynamisés et transformés dans une perspective de tourisme durable.»
Preuve de l’attrait de ces projets, les appels à candidatures pour les postes créés par les parcs ont rencontré un énorme succès. «Beaucoup de gens nous disaient qu’ils cherchaient un emploi avec du sens, en accord avec leurs valeurs, précise Johanna Breyne. Avec le Covid, nombre d’entre eux se sont remis en question et sont en reconversion.» Un engouement de bon augure pour la suite des projets. Et la porte reste ouverte pour la création d’autres parcs nationaux – en Flandre, une procédure est en cours pour que leur nombre passe à quatre à la fin de cette année. «Ce sont les deux premiers parcs nationaux de Wallonie et ce ne sont pas les derniers, conclut la ministre wallonne de l’Environnement et de la Nature. Nous allons asseoir la prospérité de notre territoire non pas sur l’exploitation sans vergogne de la nature, mais au contraire sur une alliance avec elle, et ça c’est un changement culturel notable. On veut poursuivre cette dynamique.»
110
espèces d’oiseaux nicheurs peuplent le parc national de la Vallée de la Semois.
Quelques chiffres
Parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse (asbl)22 000 hectares 5 communes (Chimay, Couvin, Viroinval, Froidchapelle et Momignies)
91 fiches action
80 partenaires, dont 21 ont signé un accord de coopération sur une période de vingt ans
Parc national de la Vallée de la Semois (Fondation d’utilité publique)28 000 hectares
8 communes (Vresse-sur-Semois, Bouillon, Paliseul, Bertrix, Herbeumont, Florenville, Chiny et Tintigny)
75 fiches action
50 acteurs publics et privés réunis dans une coalition territoriale
80%
des espèces de faune et de flore wallonnes sont présentes dans le parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
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