pêche à l'aimant
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Dépolluer les cours d’eau grâce… à la pêche à l’aimant

Le Vif

Les cours d’eau européens sont en piteux état: 60% d’entre eux ne parviennent pas à atteindre l’objectif fixé par l’Union européenne en matière de pollution. Alertés par cette situation, des bénévoles équipés d’aimants puissants s’attellent à assainir les cours d’eau du continent en remontant des métaux polluants.

Du haut d’un pont ou sur une berge, l’aimant est toujours lancé en cloche, d’un mouvement fluide qui ne vise rien en particulier. Le fil tendu, le pêcheur remonte pièces de monnaie rouillées, barres en métal tordues ou vieux vélos grignotés par l’eau. En quelques années, la pêche à l’aimant est passée d’un hobby partagé par quelques curieux à une véritable pratique écologique organisée qui dépollue les cours d’eau. La popularité de ce sport militant est venue de citoyens se filmant lors de leurs séances. Ils remontaient des objets insolites ou historiques, des armes de la Seconde Guerre mondiale, des grenades, douilles et balles. Une réelle chasse au trésor qui motive les plus curieux et collectionneurs.

Récolte journalière de l’ASBL Pêche Aveugl’Aimant

Ces petits groupes d’amateurs ont évolué, formant des ASBL engagées dans la lutte contre le changement climatique et pour la sauvegarde de la biodiversité. C’est le cas de l’association Pêche Aveugl’Aimant. Créée en 2019, elle regroupe une cinquantaine de bénévoles aux rôles variés. Ferrailleurs, plongeurs sous-marin et pêcheurs se réunissent chaque semaine pour nettoyer les cours d’eau de la Sarthe, du Maine et de la Loire. En trois ans d’activité, c’est plus de cinquante tonnes de métaux polluants qui ont été repêchés et expédiés au recyclage. Le président et fondateur de l’association, Jean-Philippe Brasier, a réussi à inspirer de nombreux groupes de pêcheurs à eux aussi s’organiser sous forme d’ASBL.

Conséquences de la pollution métallurgique

Les chercheurs de « trésors » remontent des métaux toxiques pour l’environnement, la faune comme la flore. Yannick Agnan est biogéochimiste de l’environnement et étudie les impacts de la pollution des eaux. Il se réjouit de ces initiatives entreprises par ces nouvelles ASBL : « Il fallait que quelqu’un remonte ces tonnes et tonnes de métaux de nos cours d’eau. Je crains toutefois que quelques pêcheurs ne suffisent pas à changer les choses en profondeur. Il faudrait le faire à grande échelle et, surtout, sensibiliser sur la présence de ces métaux toxiques qui n’ont rien à faire là. »

Trois vélos en un après-midi

Selon Yannick Agnan, la présence de métaux lourds comme le plomb, le mercure ou le zinc, est un danger plus conséquent pour l’environnement et la biodiversité que pour l’homme : « Quand un vélo ou un scooter revêtu de peinture au plomb ou des pièces de monnaie composées de zinc se retrouvent en contact permanent avec de l’eau, sans oxygène, cela favorise grandement les réactions chimiques. Les objets vont relâcher leurs métaux lourds et ceux-ci seront ensuite ingérés par des plantes ou des animaux aquatiques. C’est toute la chaine alimentaire qui est contaminée. » Ces éléments métalliques possèdent des propriétés cancérigènes, qui peuvent se retrouver chez les poissons et, par conséquent, ensuite chez l’homme.

Dans les alentours de Lille et de Mouscron, une vingtaine de bénévoles se rassemble chaque dimanche pour dépolluer les cours d’eau de la région. Thomas Cueff et son équipe ont commencé par curiosité : « Avant de me lancer, je regardais sur internet plein de vidéos de pêcheurs remontant des choses incroyables. Un jour, j’ai décidé d’acheter mon premier aimant et je suis allé pêcher avec quelques copains. C’était il y a deux ans. Cette simple passion du dimanche matin est devenue le combat principal de ma vie. C’est vraiment choquant de se rendre compte de la quantité de métaux qui polluent les cours d’eau. »

Thomas Cueff et son équipe

Depuis près d’un an, Thomas et son équipe fonctionnent comme une ASBL sans passer le cap. Une législation floue et une méfiance des politiques freinent les pêcheurs à s’engager en tant qu’association. Dans la plupart des pays européens, la pêche à l’aimant ne peut se faire qu’après avoir suivi une formation auprès d’une agence chargée du patrimoine et en s’acquittant d’une licence payante. Une fois ces exigences remplies, les adeptes peuvent pêcher ou envisager de fonder une ASBL. Mais dans les faits, les contrôles des autorités sont rares.

Le principal obstacle reste l’opinion des citoyens et pouvoirs locaux. Si la pratique est noble sur papier, tous ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de ces pêcheurs. Le gain soudain de popularité pour ce sport a provoqué dérives et abus. De plus en plus d’amateurs pris les berges et ponts d’assaut, laissant derrière eux ferrailles toxiques, clous rouillés et autres objets susceptibles de blesser.

Grenade datant de la deuxième guerre mondiale

« La pêche à l’aimant a une mauvaise réputation auprès des pouvoirs locaux. Beaucoup de jeunes s’y mettent sans évacuer les déchets, reconnaît Thomas Cueff. De plus, il n’est pas impossible qu’une arme ou même des grenades soient remontées à la surface. Il y a un risque réel d’explosion. La démarche est d’appeler les autorités locales qui envoient un démineur. C’est pour ces raisons de sécurité qu’il est difficile d’obtenir une autorisation pour pêcher avec son aimant. Mais je ne me décourage pas. Je continue pour prouver aux gens que ce que nous faisons est utile, essentiel même. Les communes détestent ça. Mais l’environnement, lui, adore. »

Jonas Marko

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