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Dans les océans, le bruit tue: «Il peut en découler un effet similaire à celui d’une bombe sur terre»

Estelle Spoto Journaliste

Le monde marin n’est pas un «monde du silence», comme l’affirmait le documentaire de Jacques-Yves Cousteau. Le bioacousticien Michel André l’a bien mis en évidence dans ses recherches. Il lutte aujourd’hui contre la pollution sonore, potentiellement mortelle, découlant des activités humaines.

«Pour détourner Jules Verne, on peut dire qu’il y a 20.000 sons sous les mers, affirme Michel André. Juste après la Seconde Guerre mondiale, quand les nouvelles technologies ont permis de commencer à entendre sous l’eau, on a découvert une dimension acoustique dont on ignorait tous les codes et qui était la garante de vie de tous les habitants sous l’eau. Le son est en effet le seul support de communication dont ils disposent, la lumière ne pouvant pas pénétrer à plus de quelques mètres sous la surface.»

Passionné depuis l’enfance par la communication chez les dauphins, formé à Toulouse comme ingénieur en biotechnologies, puis en biochimie et en physiologie animale, Michel André a passé cinq ans à étudier les dauphins à l’université d’Etat de San Francisco, avant de partir au début des années 1990 dans les îles Canaries. «Il y avait là-bas des collisions récurrentes entre les cachalots et les bateaux rapides qui desservent les îles, retrace-t-il. J’y ai réalisé ma thèse de doctorat sur la bioacoustique des cachalots, en travaillant sur ce problème de collisions. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de bruit qui m’empêchait de comprendre la distribution de cette population et je me suis demandé si tout ce bruit ne les dérangeait pas.»

«Aucun recoin de l’océan n’est épargné par ces sources de pollution sonore, avec un effet cumulatif.»

Parfois létal

Michel André comprend alors à quel point, sans même nous en rendre compte, nous influençons négativement la vie marine. «Le transport maritime, les activités des ports, la recherche de pétrole et de gaz, la construction des parcs éoliens… Toutes les activités humaines que nous entreprenons en mer produisent du bruit, souligne le bioacousticien. Le son se propage cinq fois plus vite dans l’eau que dans l’air et à des distances bien plus importantes. Les basses fréquences, les plus graves, peuvent se propager à des centaines de kilomètres. Donc aucun recoin de l’océan n’est épargné par ces sources de pollution sonore, avec un effet cumulatif.»

L’effet du bruit des humains peut avoir des conséquences diverses, jusqu’à directement tuer. «Il y a le masquage des informations sonores et des sons qui peuvent rendre sourd, mais l’effet le plus grave vient de sources d’une telle intensité que l’onde qui en découle a un effet létal, très similaire à l’effet d’une bombe sur terre, poursuit Michel André. Cela tue n’importe quel être vivant, qu’il s’agisse de plantes, de poissons ou de baleines.»

Trois types de source de ces sons mortels ont été identifiés: la prospection en mer pour les gisements de gaz et de pétrole, la construction des parcs éoliens et le sonar militaire permettant de détecter les bâtiments ennemis. En 2002, Michel André a pu en voir les conséquences destructrices: «Des exercices de l’Otan étaient menés dans les îles Canaries pour simuler une invasion. Des journalistes avaient été embarqués pour constater l’efficacité de la manœuvre. Nous avons hélas assisté en direct à l’échouage de seize baleines à bec comme conséquence de ces exercices militaires qui utilisaient des sonars basse fréquence.»

Pour Michel André, il est urgent de se reconnecter à notre environnement. © DR

Sons utiles et sons inutiles

Depuis 2003, au sein de l’Ecole polytechnique de Catalogne, Michel André dirige le premier laboratoire européen dédié à l’étude de la pollution sonore et à la recherche de solutions. Il distingue deux grandes catégories de sources. «Il y a d’abord les sources associées à des activités humaines mais dont le bruit n’apporte absolument aucun bénéfice, détaille-t-il. Dans les bateaux, on a pris soin depuis le début d’isoler les salles des machines des passagers, mais on n’a jamais pensé que le bruit diffusé dans l’eau pouvait tuer. Il faut donc installer les moteurs sur des blocs qui permettent d’absorber le son des machines pour qu’il ne passe pas dans la coque. On sait très bien le faire et c’est déjà le cas sur les nouveaux bateaux.» On peut aussi agir facilement sur l’effet de cavitation des hélices: «Quand elles tournent à grande vitesse, elles génèrent des microbulles qui, quand elles explosent, produisent énormément de bruit. Changer le dessin des hélices permet de diminuer ce phénomène.» Autre exemple: le bruit des marteaux qui enfoncent les pylônes lors de la construction de parcs éoliens en mer. «Il est possible d’entourer les pylônes d’une membrane absorbante ou de créer autour d’eux des rideaux de bulles d’air. L’air agit ici comme un miroir acoustique qui enferme une grosse partie du son dans le périmètre des bulles. Ce sont toutes des solutions à notre portée et il faut espérer que les opérateurs les mettent en place au plus vite.»

«Quand nous avons commencé à articuler notre propre langage, nous avons arrêté d’écouter la nature.»

Plus épineux: les cas où les sources sonores sont indispensables pour la recherche d’informations. «C’est le cas du sonar militaire, mais aussi de la prospection de pétrole et de gaz où l’on émet des sons d’une grande intensité pour qu’ils pénètrent toute la colonne d’eau, qui peut faire jusqu’à cinq ou six kilomètres, mais aussi plusieurs kilomètres sous le fond marin. C’est l’écho de ce son revenant jusqu’au bateau qui informera de la présence d’un puits de pétrole ou de gaz, précise Michel André. On ne peut pas empêcher ou interdire ces activités, qui sont économiquement importantes, mais on peut écouter la mer pour localiser les espèces qui pourraient souffrir de l’exposition à ces sources sonores et alerter les opérateurs pour que, pendant quelques secondes ou quelques minutes, ils permettent à ces espèces de s’éloigner. C’est ce qu’on a fait pour le problème des collisions dans les Canaries, avec le Wacs, le Whales Anti Collision System, un système passif qui écoute les sons de la mer, en identifie les différentes sources et permet de suivre en temps réel et de façon automatique la présence de ces espèces.»

A l’avenir, Michel André souhaite utiliser les câbles sous-marins de fibre optique déjà en place pour les transformer en réseau acoustique. «Nous pouvons espérer que d’ici à quelques années, ces gigantesques oreilles permettront de dresser une carte acoustique de tous les océans.» Le scientifique a également sorti ses micros de l’eau pour les accrocher dans les arbres et mesurer ainsi la santé des forêts, en particulier dans la forêt amazonienne. Pour le bioacousticien, la clé de notre avenir est dans l’écoute: «Il y a plus de 150.000 ans, quand nous avons commencé à articuler notre propre langage, nous avons arrêté d’écouter la nature. Nous avons mis des mots sur nos pensées et cela nous a sans doute empêchés de continuer à comprendre notre environnement. Je pense qu’il y a une vraie urgence à nous y reconnecter.»

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