
Compte à rebours vers l’horloge la plus précise jamais conçue: «Il sera peut-être possible de prédire les tremblements de terre et les éruptions volcaniques»
Les scientifiques sont sur le point de développer une horloge encore plus précise que l’horloge atomique. Un modèle qui modifiera notre façon de penser le temps et l’espace. «La définition actuelle de la seconde devra être revue.»
Les horloges ultraprécises sont l’épine dorsale de nombreuses technologies devenues aujourd’hui indispensables. Elles contrôlent notamment les systèmes de navigation par satellite, synchronisent les réseaux en ligne et rendent possible le trafic aérien et les voyages spatiaux.
Depuis 1955, l’horloge de référence est l’horloge atomique. Pour donner une idée de sa précision, elle ne présente qu’une seconde de décalage tous les 300 millions d’années. Aujourd’hui, les scientifiques sont proches de mettre au point une horloge plus précise encore: l’horloge nucléaire. «On prévoit que l’horloge nucléaire ne déviera que d’un vingtième de seconde sur 13,8 milliards d’années, soit depuis le Big Bang», explique le physicien nucléaire Piet Van Duppen (KU Leuven).
De l’horloge atomique à l’horloge nucléaire
La mesure du temps consiste à évaluer combien de fois quelque chose se répète dans une certaine période donnée. Par exemple, le tic-tac d’une pendule ou les vibrations d’un cristal de quartz dans une montre. L’horloge atomique utilise les sauts d’énergie –des vibrations bien définies– des électrons dans un atome, généralement un atome de césium 133.
«On prévoit que l’horloge nucléaire ne déviera que d’un vingtième de seconde sur 13,8 milliards d’années, soit depuis le Big Bang.»
Piet Van Duppen
Physicien nucléaire (KU Leuven).
«Un atome est constitué d’un noyau atomique avec des protons et des neutrons autour duquel gravitent des électrons, explique le professeur Van Duppen. En l’exposant à des micro-ondes, ces électrons sont excités vers une orbite énergétique supérieure. Si la fréquence de cette micro-onde correspond exactement à la différence entre deux niveaux d’énergie, on obtient un signal qui permet de définir le tic-tac du temps. Ainsi, l’atome de césium 133 vibre 9.192.631.770 fois par seconde, soit à une fréquence de 9,19 gigahertz. C’est d’ailleurs la définition actuelle d’une seconde.»
«Les électrons gravitent à très grande distance du noyau atomique, ce qui rend l’horloge atomique très sensible aux champs électromagnétiques, poursuit Piet Van Duppen. Pour l’exprimer de manière imagée, si le noyau atomique avait la taille d’une bille placée sur le point central d’un stade de football, les électrons évolueraient dans les gradins. C’est ce qui explique que certaines horloges atomiques dans le monde avancent ou retardent légèrement.»
L’horloge nucléaire est beaucoup moins sujette à ces champs externes, car elle utilise les sauts d’énergie ou les vibrations des protons et neutrons à l’intérieur même du noyau atomique, ce qui donne une horloge plus stable.
Mais on ne fabrique pas une horloge nucléaire comme ça. Pour faire vibrer un noyau atomique, une quantité d’énergie extrêmement élevée est normalement requise. «Dans l’ensemble des quelque 3.000 noyaux atomiques que nous connaissons, il n’y en a qu’un seul qui peut être porté à un état d’énergie supérieur avec relativement peu d’énergie –à savoir un rayonnement proche de la lumière visible. Il s’agit du thorium-229, un isotope radioactif de l’élément thorium, qui est apparu comme sous-produit lors du programme d’armement à base d’uranium.»
Ce n’est qu’en 2016 que l’existence de cette forme exceptionnelle de vibration du thorium-229 a été confirmée. Avant cela, il ne s’agissait que d’une hypothèse. «L’année dernière, des scientifiques allemands sont parvenus à exciter un noyau atomique de thorium-229 à un état d’énergie supérieur à l’aide de lumière laser. Tous les ingrédients pour développer l’horloge nucléaire sont désormais réunis», se réjouit Piet Van Duppen, lui-même responsable de l’un de ces ingrédients. Dans le laboratoire européen des particules CERN à Genève, lui et son équipe ont découvert quelle quantité d’énergie était précisément nécessaire pour faire vibrer le thorium-229. C’était l’une des dernières pièces du puzzle.
«Tous les ingrédients pour développer l’horloge nucléaire sont désormais réunis.»
Piet Van Duppen
Physicien nucléaire (KU Leuven).
«L’expérience allemande a entre-temps été perfectionnée par des chercheurs américains, si bien que, dans un avenir proche, des horloges nucléaires fonctionnelles verront le jour dans les laboratoire, prévoit-il. Elles pourraient avoir la taille d’une puce, bien plus petites que les horloges atomiques de haute précision actuelles, qui occupent aujourd’hui la moitié d’un laboratoire.»
Les tremblements de terre ne seront bientôt plus une surprise
Bien que les prototypes de l’horloge nucléaire soient en plein développement, l’horloge au thorium à grande échelle relève du concept. Une fois opérationnelle, on pourra parler sans détour d’une révolution.
Premièrement, elle apportera un nouvel éclairage sur la notion de temps. «Parce qu’une horloge nucléaire fonctionne avec des vibrations lumineuses, qui sont cent mille fois plus rapides que les vibrations des micro-ondes, la seconde devra être redéfinie», remarque Piet Van Duppen. La seconde durera plus ou moins longtemps, mais elle sera décrite de manière plus précise. Ainsi, au lieu de vibrer neuf milliards de fois par seconde, le noyau atomique de thorium pourrait vibrer jusqu’à un billiard de fois ou plus par seconde.
Une définition aussi précise de la seconde mènera à des innovations qui amélioreront notre quotidien. Nous pourrons envoyer encore plus de données par seconde via Internet et déterminer notre position avec une précision encore plus grande. «Le système GPS repose sur la mesure du temps, explique Piet Van, Duppen. Plus cette mesure est précise, plus la localisation sur Terre est exacte. Aujourd’hui, nous pouvons déterminer notre position à quelques centimètres près; demain, ce sera à quelques millimètres.»
«Les horloges nucléaires peuvent détecter ces déplacements minimes et permettre ainsi, peut-être, de prédire des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre.»
Piet Van Duppen
Physicien nucléaire (KU Leuven).
Il n’est d’ailleurs pas impensable que la menace d’un tremblement de terre nous soit un jour signalée par une notification sur notre téléphone. Piet Van Duppen y croit. «Grâce à la théorie de la relativité d’Einstein, nous savons que les horloges ne tournent pas au même rythme selon la gravité. Si je monte mes lunettes d’un millimètre, la force gravitationnelle est déjà légèrement différente. Même les plus infimes mouvements tectoniques dans la croûte terrestre ont un impact sur la gravité. Les horloges nucléaires peuvent détecter ces déplacements minimes et permettre ainsi, peut-être, de prédire des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre.»
«Les applications potentielles de l’horloge nucléaire mentionnées ci-dessus sont évidentes, mais elle mènera peut-être aussi à quelque chose auquel nous ne pensons pas encore aujourd’hui, sourit Piet Van Duppen. Bon nombre d’inventions du passé sont le fruit d’années de recherche fondamentale sans visée d’application immédiate.»
Et si Einstein s’était trompé?
Outre les recherches sur le GPS et les mesures gravitationnelles, ce qui enthousiasme surtout le physicien , c’est ce que l’horloge nucléaire pourrait signifier pour la compréhension de l’univers.
«Le modèle standard de la physique stipule que certaines constantes fondamentales de la nature sont invariables. Il s’agit parfois de chiffres choisis de manière arbitraire, dont personne ne sait exactement d’où ils viennent. Et si ces constantes n’étaient pas constantes dans le temps? Une horloge atomique et une horloge nucléaire réagissent de manière différente à certaines constantes fondamentales. Si nous faisons fonctionner une horloge atomique de manière précise à côté d’une horloge nucléaire tout aussi précise, et qu’à un moment donné elles ne battent plus à l’unisson, nous aurons peut-être la preuve que ces constantes sont variables. Alors, nous serons à l’aube d’une nouvelle physique», conclut Piet Van Duppen.
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