«Il y a des endroits où on tond régulièrement, d'autres de temps en temps et des zones que l'on fauche une fois par an», détaille Virginie Hess. © HATIM KAGHAT

Comment faire de son jardin un havre pour la biodiversité

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Pas besoin d’avoir un jardin sauvage pour soutenir au mieux la biodiversité. Il suffit de trouver un juste équilibre. Explication avec Virginie Hess, chroniqueuse et a(ni)matrice de nature.

C’est un peu comme une fresque vivante et mouvante, où la nature accroche tous les sens du promeneur invité. Au premier abord, il y a l’esthétique toute en courbes des différents espaces de verdure, façonnés selon leur utilité ou leur richesse florale. Après un coin potager et un vaste enclos pour les poules, le terrain de 50 ares laisse apparaître une première mare, puis une deuxième et enfin une troisième, en cours d’aménagement. La tondeuse a minutieusement contourné un large bouquet de boutons d’or, au beau milieu d’un gazon qui servait de prairie aux ruminants il y a plus de quatre ans. A 20 mètres de là, un cortège de fleurs mellifères devrait tout prochainement apporter une nouvelle touche de couleurs, peu avant la seconde partie du jardin qui, à terme, deviendra une miniforêt.

Puis les touches de nature se font plus précises, plus distinctes, comme la subtilité des coups de pinceau apparaîtrait sous le regard d’un amateur de tableaux. Il y a la fraîcheur des îlots de hautes herbes et de plantes indigènes, quelques heures après la pluie. Le concert des oiseaux, provenant d’une large haie champêtre et des arbres fruitiers. Le bond des insectes à la surface des mares, provoquant autant de petites ondes concentriques. Le balai des abeilles, la discrétion des coccinelles, sans parler des renards, blaireaux, hérissons qui s’invitent régulièrement. Logé sur les hauteurs de Dinant, le jardin de Virginie Hess est une ode logique à la nature, tout comme les chroniques qu’elle y consacre et Entrez, c’est tout vert!, l’émission qu’elle anime sur l’ensemble des médias de proximité. «Notre objectif, ici, c’était de créer une diversité d’habitats naturels qui vont évidemment attirer des espèces elles aussi très variées, sourit-elle. L’idée est d’accompagner le jardin dans son développement, en intervenant de manière ponctuelle à différents endroits.»

«L’idée est d’accompagner le jardin dans son développement, en intervenant de manière ponctuelle.»

L’incontournable tonte différenciée

La tonte différenciée, au cœur du message d’En mai, tonte à l’arrêt, fait évidemment partie des pratiques incontournables. «Il y a des endroits où on tond régulièrement, d’autres de temps en temps et des zones que l’on fauche une fois par an, poursuit-elle. C’est moins de travail, donc on gagne du temps et c’est aussi moins cher. Mais nous sommes encore dans une phase de transition: pour nous, la surface tondue est encore trop importante. Nous allons donc continuer à y planter des massifs et des petits arbustes.»

Le choix de tondre ou non certains espaces dépend de l’esthétique globale du jardin, de leur utilité – est-ce un endroit de passage, une zone de jeu pour les enfants, un lieu de repos depuis un transat? – et de ce que la nature y propose. «Cette démarche requiert d’observer son terrain, de le connaître et de savoir ce qui pousse spontanément ou non. En fonction de cela, on gardera, par exemple, des massifs d’ombellifères, mais on décidera de tondre juste à côté pour créer un chemin.» Sur un petit talus à l’arrière de la première mare, il fait sens d’y laisser pousser des orties, très utiles pour la biodiversité. Au milieu du gazon, de concevoir un petit massif de plantes ornementales. En bord de haie, de faucher une fois l’an, tout en laissant au sol un tas de branches taillées.

En fonction de ce qui pousse spontanément, «on gardera, par exemple, des massifs d’ombellifères et on tondra juste à côté pour créer un chemin». © HATIM KAGHAT

Le jardin de Virginie Hess ne s’inscrit pas dans la philosophie d’un ensauvagement débridé, plutôt dans celle d’un équilibrisme perpétuel entre l’intervention humaine et le lâcher-prise. Comme le résume l’asbl Adalia 2.0, il s’agit donc d’entretenir autant que nécessaire, mais aussi peu que possible. «Je ne suis pas dans une approche extrémiste, confirme la chroniqueuse. Pour moi, l’important est de pouvoir accueillir un maximum de biodiversité, tout en s’autorisant de temps en temps l’une ou l’autre plantation plus décorative, parce qu’on aime ça. En outre, je pense qu’une telle approche parle beaucoup plus au public que si l’on n’opte que pour du sauvage.»

Chaque jardin naturel est en effet un potentiel ambassadeur de pratiques bien plus en phase avec les défis environnementaux et climatiques. A côté du systématisme de la tondeuse, toujours solidement ancré dans les habitudes, le manque de connaissance des vertus de la nature alimente bon nombre de mythes persistants, notamment sur un inévitable envahissement d’espèces indésirables. Dans les faits, singulièrement en agissant d’abord à une petite échelle, un tel scénario ne se produit pourtant pas souvent – et n’est en rien irréversible.

«La régulation de la nature, grâce à la complémentarité de ses différents milieux, nous est hyperutile.»

Comment la nature s’autorégule dans le jardin

Car «ce qui est magique avec la nature, c’est que les choses s’équilibrent d’elles-mêmes, observe Virginie Hess. La première année, nous avons eu beaucoup d’algues dans la mare, la deuxième un peu moins et aujourd’hui, elle a trouvé son équilibre. Que ce soit pour nos fruitiers ou notre potager, on a besoin de la pollinisation des insectes, eux-mêmes attirés par les zones non fauchées. Nous avons la chance d’avoir des chouettes qui nichent dans une grange. Quand elles nourrissent leurs petits, on les voit voler avec des souris ou des mulots toutes les trois minutes. Jamais nous ne devrons dératiser. Au potager, nous n’avons pratiquement pas de limaces ou d’attaques de ravageurs. Beaucoup ont oublié que la régulation de la nature, grâce à la complémentarité de ses différents milieux, nous est hyperutile.»

La régulation de la nature, grâce à la complémentarité de ses différents milieux, est hyperutile au jardin. © HATIM KAGHAT

Un tel jardin s’avère en outre bien plus résilient face aux aléas climatiques qu’un rectangle uniforme de gazon. Bien qu’il soit en pente, le terrain ne devrait pas connaître (et encore moins provoquer) de ruissellements ou coulées de boue, comme les communes de Walhain et de Gembloux en ont encore subis mi-mai. Quant aux vagues de chaleur, elles assèchent bien plus lentement un sol à l’ombre des arbres, d’une haie ou recouvert d’herbes hautes. «A côté de la biodiversité, la gestion de l’eau est primordiale, complète celle qui dispense aussi des formations en communication environnementale. On a des tonneaux d’eau de pluie à plusieurs endroits, on paille beaucoup nos parterres pour maintenir l’humidité dans le sol, et les plantes sauvages couvre-sol sont des alliées de choix en période de sécheresse.»

Evidemment, les 50 ares dont dispose Virginie Hess en font un jardin hors norme en ce qui concerne la superficie. Mais il est tout à fait possible de mettre en œuvre une démarche similaire à une bien plus petite échelle, affirme-t-elle. «Encore avant-hier, j’étais dans un jardin de ville, où la propriétaire a aménagé une série de coins charmants, mêlant des zones de fauche, des sentiers, l’ombre d’un saule et une petite mare. De notre côté, nous avons fait un coin fleuri avec les enfants: on a planté des espèces de prairie sauvages sur un ou deux mètres carrés, et cela donne très bien. Un petit jardin peut parfaitement se limiter à cela.»

Une prise de conscience

Au fil de ses rencontres sur le terrain, l’animatrice constate un intérêt croissant pour des modes de gestion plus favorables à la nature dans les jardins. «Les récents épisodes climatiques ont certainement joué un rôle en ce sens. Certaines personnes voient leur pelouse calciner chaque été, d’autres leur jardin inondé. Pour mon émission, j’ai récemment découvert un jardin en pente à Nassogne où la propriétaire subissait chaque année des inondations. Elle l’a complètement transformé en aménageant une succession de massifs, entrelacés par de petits chemins recouverts d’écorces broyées. Depuis lors, elle n’a plus jamais eu de problème de ruissellement. C’est l’exemple typique d’une personne qui est passée d’un mode de gestion classique à un jardin hyperrésilient. Mais il est vrai que lorsqu’on sort de ce cercle, une bonne frange de la population n’est pas encore conscientisée. Quand j’arrache des mauvaises herbes à la main devant chez moi, je suis encore souvent interpellée par des personnes qui ne comprennent pas pourquoi je n’utilise pas de pesticides – alors que c’est interdit!»

© HATIM KAGHAT

Comme tout jardin naturel, celui de Virginie Hess est appelé à évoluer dans les prochaines années. Au gré de nouveaux massifs, non seulement bien utiles pour la biodiversité mais aussi pour l’allègement des tâches de fauche ou de tonte, qui restent conséquentes sur un telle superficie. De la croissance des quelque 400 plants d’arbres ou d’arbustes qui, peu à peu, recréeront un milieu boisé à l’arrière du terrain. De la créativité, aussi, en redessinant des sentiers ou des zones de fauche. «Reconsidérer son rapport au temps. Se souvenir que « durable » ne signifie pas « définitif ». Qui a dit qu’un jardin devait rester immuable jusqu’à la fin des temps?», interrogeait le paysagiste français Eric Lenoir, dans son Petit traité du jardin punk (2018, Terre vivante). Car rien n’est effectivement moins immuable que la nature lorsque l’humain cesse de vouloir la contrôler à l’excès.

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