Des coquilles dans la peinture ? Circulegg valorise les déchets des œufs
Les coquilles d’œufs recèlent des matières précieuses. Circulegg entend valoriser une grande part des 40 000 tonnes de coquilles rejetées chaque année par l’industrie agroalimentaire française. Avant d’autres pays, dont la Belgique ?
De quoi la France est-elle le premier pays producteur ? C’est en se posant cette question simple mais pertinente dans le cadre d’un « week-end start-up » autour de la valorisation des biodéchets que Yacine Kabeche, alors étudiant à AgroParisTech, s’est rendu compte que la France était le premier producteur d’œufs en Europe. 15 milliards d’œufs traités annuellement, dont 6 milliards par l’industrie agroalimentaire, via ce qu’on appelle « les casseries », des usines qui cassent les œufs, séparent les blancs des jaunes et les revendent aux industries. Chaque année, les casseries française rejettent 40 000 tonnes de coquilles d’œufs. En Belgique, le chiffre tourne autour de 12 000 tonnes. Et ces coquilles d’œufs, jusque-là, on n’en faisait pas grand-chose.
« Le premier constat qu’on a posé, c’est que les casseries ne font rien de ces coquilles et qu’elles doivent même de plus en plus payer pour s’en débarrasser. Autour de 100 euros la tonne, précise Justine Lecallier, COO et co-fondatrice avec Yacine Kabeche et Samuel Olivier de Circulegg, lancé en 2020. Pendant longtemps, dans le pire des cas, les casseries incinéraient les coquilles, ou elles les épandaient sur les sols agricoles, comme engrais. Mais cette pratique est aujourd’hui interdite par les autorités sanitaires, parce qu’il y a un risque de contamination. Donc aujourd’hui, les casseries payent des sociétés comme Veolia, qui vont traiter les coquilles thermiquement pour en faire de la chaux ou de l’engrais. Nous proposons une solution innovante, nous récupérons les coquille gratuitement et demain nous aimerions même redistribuer les bénéfices aux casseries et aux éleveurs. »
Coquille et membrane
Circulegg valorise deux parties de la coquille, séparées par un procédé mécanique breveté : la coquille proprement dite, riche en calcium, et la membrane interne de celle-ci, qui représente 3 % de l’ensemble de la coquille et qui contient des biomolécules particulièrement intéressantes : collagène, acide hyaluronique, élastine, etc. qui ont des effets prouvés cliniquement sur la beauté de la peau et sur les articulations. « On s’adresse principalement aujourd’hui aux secteurs cosmétique, des compléments alimentaires, de la nutrition sportive et de la petfood, souligne Justine Lecallier. Nous proposons une source biosourcée recyclée, une alternative au collagène qui aujourd’hui provient principalement du marin, du bovin, de matières premières qui viennent souvent de l’autre bout de la planète. Nous apportons une vraie offre différenciante au niveau du sourcing pour ces molécules.»
De leur côté, les coquilles proprement dites sont réutilisées dans le secteur des matériaux. «Le carbonate de calcium dont les coquilles sont riches est utilisé comme agent de charge, c’est-à-dire pour apporter de la charge et pour solidifier les formulations, explique la COO. Actuellement, le carbonate de calcium -qui provient des carrières de calcaire, c’est une extraction fossile -représente 30 % des formulations en peinture et des revêtements de sol. » Circulegg travaille avec de gros acteurs de ces secteurs : Durieu, Henri Amelin, Enercool, Blanchon pour la peinture ; Gerflor, Unilin, Tarkett pour les revêtements de sol. « Ce qui est intéressant pour ces acteurs, c’est que nous proposons quasiment la même composition physico-chimique, relève Justine Lecallier. Un des verrous techniques, c’est qu’il fallait obtenir la même granulométrie, très fine, de l’ordre de 20 microns, et le même taux d’humidité. Nous avons dû adapter notre process dans ce sens. »
Démonstrateur industriel
Soutenu par le plan « France 2030 » de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et lauréat en 2022 de l’appel à candidatures Seeding The Future lancé par la Fondation pour les Générations Futures, Circulegg a commencé par un process pilote de 50 mètres carrés, qui traitait de 50 à 100 kilos de coquilles par jour. Aujourd’hui l’entreprise, qui compte quinze salariés sur deux sites -à Janzé, en Bretagne et des bureaux en Île-de-France- een st au stade du démonstrateur industriel, avec une usine de 2000 mètres carrés qui traite 4 tonnes par jour. A terme, l’objectif est une giga-usine -en principe opérationnelle en 2026- capable de traiter 30 000 tonnes de coquilles par an, soit 70 % du gisement de coquilles d’œufs qui sont rejetées chaque année en France.
« Ce qui est très intéressant avec ce gisement de coquilles d’œufs, c’est que c’est très concentré géographiquement, poursuit la COO. Il existe 50 casseries en France, mais les cinq plus grosses, avec lesquelles nous travaillons déjà, représentent 80 % du gisement et elles sont toutes situées en Pays de la Loire, en Bretagne et dans le Nord. Du coup on s’est placé au centre de toutes ces casseries pour être à équidistance entre les partenaires et limiter au maximum les transports de coquilles. Et la situation est la même dans les autres pays. En Belgique et en Allemagne, les gisements de coquilles se situent là où il y a les élevages, souvent concentrés sur un même territoire principal. »
L’ambition de Circulegg est de sortir des frontières françaises. « Nous sommes déjà en discussion avec des acteurs en Belgique, en Hollande et en Allemagne pour voir s’ils sont confrontés aux mêmes enjeux de valorisation, mais aussi pour voir si ce sont les mêmes coquilles d’œufs qui sortent des casseries. Et on constate qu’il y a une standardisation à l’échelle européenne du process de cassage d’œufs. Donc finalement la matière première qu’on récupère n’est pas si différente. »
L’objectif de l’entreprise n’est pas seulement de revaloriser les coquilles d’œufs, mais aussi d’avoir un impact sur leur production. « Dans notre business model, si on arrive à pénétrer les marchés à grande échelle, une partie des bénéfices sera redistribuée aux casseries et aux éleveurs pour les encourager dans leur transition écologique, pour les accompagner dans tous les investissements nécessaires pour sortir de l’élevage intensif. »
Circulegg n’entend pas non plus se limiter aux coquilles d’œufs. « On va pas s’arrêter là, affirme Justine Lecallier. 12 millions de tonnes de biodéchets sont rejetées chaque année par l’industrie agroalimentaire en France. D’autres gisements intéressants de matières premières consommées par l’industrie ne sont pas valorisés. Nous avons conçu un petit laboratoire R&D pour étudier les possibilités par exemple -vu que nous sommes en Bretagne- pour les coquilles de moules, es coquilles Saint-Jacques, ou pour la pellicule de café. Dans quelques années, vous verrez sans doutes d’autres projets arriver. »
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